Terres, PDI et médiation

La réinstallation des PDI dans l’est de la RDC, non supervisée, risque de poser des problèmes de sécurité, dans un contexte de fragilité.

Dans l’est de la RDC, les conflits fonciers se trouvent au cœur des antagonismes, puisque la terre constitue à la fois une protection contre les temps de difficultés financières et la base de l’identité individuelle et communautaire. Toutes les terres de RDC appartiennent à l’État congolais et, du point de vue juridique, les citoyens congolais ont seulement le droit de les utiliser. Les individus paient des tributs aux chefs coutumiers en échange de leur autorisation pour cultiver les terres, créant ainsi une forme de protection, un système collectif de gestion des risques pour faire face aux incertitudes économiques.

Il est incombe donc, depuis longtemps, aux chefs coutumiers de gérer les conflits fonciers mais le gouvernement, par le biais du ministre des Affaires foncières, prêche la suprématie du droit moderne et se méfie des autres méthodes de résolution des litiges. Le ministre, Maj Kisimba Ngoy, est également à l’origine des réformes des titres de propriété et c’est lui qui a déclaré en 2009 à Goma qu’une législation foncière souveraine était la clé de la résolution des conflits ethniques dans l’Est. Afin de résoudre la question des PDI, il a autorisé la conversion des titres de propriété en vue d’intégrer les anciens titres au cadre juridique moderne et la construction de nouvelles installations en conformité avec un registre officiel des impôts fonciers.

Cependant, les chefs coutumiers perçoivent, voire dénoncent, le cadre juridique moderne comme un héritage du passé colonial, tandis que la plupart des Congolais ne connaissent pas les nouvelles lois. Au niveau local, les chefs coutumiers agissent en tant que remplaçants de l’autorité étatique, d’autant plus que l’État congolais dispose de peu de capacités et d’autorité dans les régions où les PDI sont susceptibles d’être rapatriées. Même si leur influence perd de son intensité, les chefs coutumiers doivent jouer un rôle clé dans le retour des PDI, et ce de deux manières. Premièrement, ils constituent probablement la meilleure source d’information et de suivi pour les autorités chargées du sort des PDI. Deuxièmement, il y a peu de chances que les PDI puissent vivre en paix sur leurs terres si leur réinstallation n’a pas été approuvée par les chefs coutumiers.

Comme la Conférence de Goma, en janvier 2008, a reconnu que les droits fonciers sont cruciaux pour la stabilisation et la reconstruction du pays, les agences de l’ONU ont commencé également à donner priorité à la résolution des différends fonciers. L’objectif d’UNHCR pour 2010 est de voir au moins 80 % des litiges fonciers être traitées ou résolues avec succès par les organismes compétents. UNHCR et ONU-HABITAT ont développé une approche conjointe de la résolution des conflits fonciers qui est inclut toutes les parties prenantes et qui se concentre sur la médiation, assuré soit par des comités de médiation et de résolution des conflits, soit par des médiateurs individuels. Comme elle est participative et communautaire, cette approche a rencontré un certain succès. Par exemple, le Centre de médiation établi à Kitshanga par ONU-HABITAT a permis à 183 Pygmées de retourner sur leurs terres, qui avaient été occupées alors qu’ils se trouvaient dans des camps de PDI.1

Enfin, la société civile locale agit également pour essayer de résoudre les conflits fonciers. L’ONG locale Aide et Action pour la Paix met en lumière les limitations d’une approche exclusivement juridique, encadrée par le droit congolais, qui tend à  déboucher sur une situation avec un "perdant" en colère et un "gagnant" craignant les représailles du "perdant".2 Aide et Action pour la Paix aborde la question des déplacés en sensibilisant les communautés des régions où les PDI sont susceptibles de retourner et en favorisant une approche participative basée sur la médiation, essaient d’impliquer à la fois les autorités juridiques et les chefs coutumiers. Sans la participation de ces deux entités, toute résolution risque de ne pas être reconnue par le droit congolais ou de ne pas être mise en œuvre localement, ou encore de ne pas être respectée par les parties impliquées.

Une autre ONG locale, le Pole Institute3, s’appuie sur un réseau international de chercheurs et d’experts-conseils et travaille en partenariat avec les organisations locales d’agriculteurs telles que FOPAC4, les chefs religieux et les ONG locales. Ses activités portent sur le partage d’informations (principalement par radio, pour contourner le problème de l’illettrisme) comme moyen d’autonomiser la population locale et de susciter le dialogue entre citoyens, afin qu’ils puissent commencer à élaborer leurs propres solutions et se les approprier.

Ce qui compte vraiment

L’est de la RDC attire la plupart des grands acteurs de la communauté internationale et il semblerait utile, voire crucial, de s’accorder sur un ensemble de principes directeurs en matière de coordination et de mise en œuvre. L’efficacité du retour des PDI pourrait être mesurée par trois paramètres interconnectés : la viabilité de l’action, sa capacité à résoudre les causes du déplacement et le sentiment de responsabilité que chaque partie concernée ressent vis-à-vis de l’activité.

La réinstallation des PDI concerne souvent des cas où la médiation est indispensable. Cependant, les fondements de la médiation en RDC diffèrent des modèles occidentaux de médiation qui tendent à insister sur la neutralité du médiateur, qui doit agir comme un espace de sécurité permettant aux parties impliquées de communiquer. Cette vision reflète l’importance relative de l’individu, alors qu’en RDC, la communauté est la priorité. En conséquence, en RDC, les médiateurs doivent être reconnus comme tels par la communauté de réinstallation et doivent être intégrés à son réseau social.

L’action du gouvernement, quant à elle, apparaît comme intrinsèquement ambivalente. Dans l’est, le gouvernement est fréquemment perçu comme l’une des parties au conflit. Or, l’État est aussi le seul acteur capable d’élaborer un cadre durable pour résoudre les litiges fonciers, en attaquant à la racine-même de ces litiges. L’imposition du droit moderne en RDC pourrait aussi avoir des répercussions favorables sur les investissements, qui permettraient, à long terme, à un plus grand nombre de personnes d’abandonner l’agriculture de subsistance et de développer d’autres secteurs économiques, réduisant par là-même l’importance des terres comme moyen de production.

La place de la société civile dans le spectre des parties concernées en fait un lien privilégié entre les PDI, les communautés locales et les autorités institutionnelles. La société civile peut non seulement recueillir les griefs des individus et leur donner un écho pour qu’ils soient pris en compte, mais elle peut aussi participer au développement d’un cadre juridique sur les litiges fonciers (par exemple, avec l’ébauche du Code Agricole).

Le droit moderne s’accompagne de la possibilité de commencer à réhabiliter l’État dans l’est du pays, à partir du moment où il n’est pas imposé avec force. Les efforts actuels de décentralisation en RDC vont dans cette direction, en permettant aux chefs coutumiers d’agir comme magistrats dans des cas bien définis. Dans ce contexte, il existe à la fois un espace de participation pour la société civile congolaise et les agences de l’ONU, et un besoin que celles-ci participent. Il est important qu’UNHCR et ONU-HABITAT continuent de remplir un rôle de coopération technique et de formation des médiateurs de la société civile, en différenciant progressivement le rôle du médiateur de celui de chef communautaires, un rôle qui pourrait ensuite être reconnu par le droit congolais.

En bâtissant la confiance, toutes les parties qui ont été à la source des problèmes mutuels deviennent un élément de la solution, entraînent une évolution pacifique en RDC. Afin de susciter le désir et de créer l’habitude de vivre ensemble pacifiquement et de contribuer à la résolution de l’équation complexe des PDI en RDC, d’autres recommandations plus spécifiques sont souhaitables, dont le besoin de :

  • clarifier le processus d’accès aux terres et de leurs droits d’utilisation, afin d’autonomiser les PDI
  • identifier et délimiter les territoires des chefs coutumiers
  • identifier, former et rémunérer des médiateurs communautaires de district, sous l’égide du gouvernement provincial
  • établir des Comités locaux de réinstallation des PDI, composés, sur la base du bénévolat, de chefs coutumiers, de représentants influents de la communauté locale, de porte-paroles des PDU, de membres du corps judiciaire du gouvernement provincial et de personnel de l’ONU.

Les objectifs principaux de ces Comités de réinstallation seraient les suivants :

  • recueillir et diffuser des informations sur les PDI
  • mobiliser des ressources pour la réinstallation des PDI
  • faciliter l’alerte précoce et les interventions rapides dans le cas des conflits concernant des PDI
  • promouvoir et défendre la paix, basée sur l’État de droit, entre les communautés locales.

 

Baptiste Raymond (b.p.raymond@gmail.com) est étudiant de deuxième cycle à l’Université de Columbia. En 2010, il a mené une recherche sur la déforestation, les systèmes de propriété foncière et les conflits en RDC, aux côtés de Clarissa Baldin et Séverine Losembe et en partenariat avec l’Agence Française de Développement.

2 Ce qu’il faut connaître sur le sol en droit Congolais http://tinyurl.com/sol-et-droit-congolais

4 Fédération des Organisations des Producteurs Agricoles du Congo au Nord-Kivu http://www.fopac.org/

 

 

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