VIH, réfugiés et populations affectées par les conflits en Asie

Une expérience fondée sur des faits avérés, une bonne évaluation et la volonté d’adapter les programmes aux réalités locales ont été des facteurs clés pour combattre le VIH en Asie.

Les activités VIH du HCR en Asie – qui ont débuté sérieusement en  2005 – étaient basées sur des approches définies dans ses Plans stratégiques de 2005-2007 et 2008-2012, mais adaptées afin d’accommoder des facteurs spécifiques à la région Asie. Ceux-ci incluaient la nature peu intense et concentrée de l’épidémie dans la plupart des pays (où l’infection au VIH se concentrait autour de la prostitution non protégée, le partage de matériel d’injection contaminé et les rapports sexuels non protégés entre hommes) ;  le fait que la majorité des pays asiatiques n’est pas signataire de la Convention sur les réfugiés de 1951 ou de ses protocoles de 1967(1); et les mouvements significatifs de population à l’intérieur de la région (liés ou non à des conflits).

Résultats positifs obtenus au cours des cinq dernières années:

  • Extension de l’accès aux services de prévention(2) pour les populations les plus fortement à risque avec 55% des sites qui en 2009 s’occupaient au moins d’une population clé – une augmentation sur aucun site en 2005.
  • Augmentation de l’accès aux services clés relatifs au VIH pour les populations réfugiées dans 66% des sites.
  • Des progrès considérables en termes de disponibilité des traitements antirétroviraux (ARV) : parmi les pays de la région accueillant plus de 10 000 réfugiés, 100% d’entre eux offrent aux populations réfugiées un accès au traitement ARV lorsque celui-ci est disponible pour les populations locales.
  • Augmentation de l’accès et de la disponibilité des informations relatives au VIH, avec 66% des sites de réfugiés disposant fin 2009 de systèmes d’information de base.
  • Extension de la base documentaire sur la vulnérabilité et les risques de VIH parmi les personnes déplacées interne (PDI) résultant d’un conflit.

Alors même que des progrès ont été accomplis, l’expérience acquise dans la région a mis en lumière un certain nombre de défis qui apparaissent au cours de différentes phases.
 
Phase d’urgence

Il est maintenant largement admis, pour traiter le VIH de manière adéquate dans les situations humanitaires, que les interventions doivent débuter rapidement lors de la réponse initiale et qu’elles doivent être  étendues lorsque la situation se stabilise. Au vu des priorités en compétition, l’attention apportée à la nécessité d’effectuer des priorités entre les interventions sur la base de ce qui est faisable et de ce qui aura le plus d’impact, reste cependant inadéquate.

Bien plus, la réponse multisectorielle face au VIH dans la région et le rôle que les secteurs clés comme les abris, la protection, l’eau et l’assainissement jouent pour réduire la vulnérabilité et les risques de VIH, sont  des aspects qui sont encore mal compris.

De plus, les programmes nationaux relatifs au VIH qui existaient dans les pays touchés par le conflit et le déplacement ont souvent des difficultés à s’adapter aux changements associés au déplacement et à la nécessité d’établir des priorités. C’est un aspect qui est aggravé par le fait que les agences onusiennes centrées sur le développement sont souvent réticentes à adapter leurs stratégies sur le long terme afin de couvrir des besoins plus immédiats et à l’évolution rapide. Finalement et de manière cruciale, dans les situations de conflit l’insécurité freine invariablement la réponse. En 2008 au Sri Lanka, le projet national VIH de garantie de la qualité du dépistage du VIH n’avait toujours pas été étendu au Nord-est touché par le conflit alors que toutes les autres régions du pays avaient été incluses.

Phase post-urgence

Au cours de la phase post-urgence, il y a d’autres défis. Les réfugiés et les PDI bien souvent ne sont pas inclus dans les Plans stratégiques nationaux sur le VIH (PSN). Dans les pays pertinents d’Asie, en 2005 54% des PSN mentionnaient les réfugiés mais seulement 18% mentionnaient des activités à l’intention des réfugiés ; et seulement 22% des neuf pays qui ont plus de 10 000 PDI, reconnaissent leur existence dans leurs plans – et aucun d’entre eux ne prévoyait d’activités à leur intention. Les populations déplacées, particulièrement les réfugiés, manquent fréquemment de personnes pour défendre leurs intérêts au cours des processus d’élaboration des plans stratégiques et des autres initiatives nationales relatives au VIH, comme les Propositions du Fonds Mondial, parce qu’ils sont considérés comme une question politiquement sensible. Néanmoins, certains progrès ont été réalisés dans le cas du Sri Lanka et de la Thaïlande, dont les PSN les plus récents tiennent compte de l’existence des personnes déplacées.

Une expérience considérable a été accumulée mondialement et dans la région sur la manière de traiter le VIH dans les situations de réfugiés installés dans des camps. En Asie, un nombre important de réfugiés vivent hors des camps, y compris dans des zones urbaines – comme en Iran et en Malaisie. Dans ces types de situations offrir des services aux réfugiés, et notamment des services relatifs au VIH, présente des défis particuliers. Dans ces situations, les réfugiés sont souvent parsemés géographiquement, ils n’ont qu’un contact minimal avec le HCR ou ses partenaires, et reçoivent des services de santé et des services relatifs au VIH d’un certain nombre de prestataires différents, y compris des prestataires privés. Les informations sur les services auxquels ils ont accès et sur leurs besoins spécifiques en termes de santé et de VIH font souvent défaut. C’est pourquoi, toute une série d’interventions sont nécessaires pour atteindre les réfugiés qui ne vivent pas dans des  camps, et notamment ceux d’entre eux qui vivent en milieu urbain.

 

Des approches novatrices en Malaisie

La Malaisie accueille plus de 70 000 réfugiés, principalement de Myanmar/Birmanie, qui sont dispersés à travers l’ensemble de la zone de la vallée de Kelang (qui comprend Kuala Lumpur). Fin 2009, il y avait 124 réfugiés qui recevaient un traitement ARV avec le soutien du Ministère de la santé et du HCR. Suite à des expressions de préoccupation concernant l’observation des traitements ARV parmi les réfugiés, un certain nombre de mesures pour aider les réfugiés sous ARV et pour faciliter le respect des protocoles de traitement ont été introduites avec un succès considérable.

Une approche multi-niveau à la maison, au sein de la communauté et au niveau des installations à été adoptée. Les interventions à domicile incluaient des boîtes de dosage, des alarmes par téléphone portable et un soutien pour garantir un apport nutritionnel adéquat. Les activités au sein de la communauté incluaient d’assigner les personnes vivant avec le VIH à un psychologue travaillant dans la communauté, à des numéros d’urgence sur le téléphone portable et à des groupes de soutien pour le traitement. Tous les réfugiés ont accès aux services dans un seul hôpital, Sungoh Bulai, à Kuala Lumpur, qui a structuré ses services de manière à répondre aux besoins des réfugiés. Tous les nouveaux rendez-vous et les rendez-vous de suivi pour les réfugiés sont, par exemple, programmés pour le même jour de la semaine afin de faciliter l’accès à des interprètes parlant les langues appropriées pour les réfugiés et à des psychologues formés. Suite à ces interventions, les prestataires de soins médicaux ont signalés que la moyenne de la suppression de la charge virale chez les réfugiés s’était améliorée de manière significative et était comparable à celle des patients nationaux. Quant au taux de satisfaction par rapport au soutien reçu, il était élevé.

 

Améliorer l’accès aux services relatifs à la violence sexuelle s’est avéré difficile. L’accès des réfugiés et autres migrants forcés aux centres spécialisés peut s’avérer limité et dans les cas où la législation nationale impose aux fournisseurs de services de signaler les personnes ayant survécus à des actes de violence sexuelle à la police, les prestataires de santé ne peuvent pas garantir la confidentialité de leurs services. Bien plus, les programmes nationaux relatifs à la violence basée sur la différence de sexe sont souvent mal développés. Dans de nombreux pays, la prophylaxie du lendemain dans le cas du VIH ne fait pas partie de la réponse apportée à la violence sexuelle.

Même si des progrès significatifs ont été réalisés au niveau de la programmation, les progrès en termes de surveillance comportementale ou biologique auprès des populations les plus à risques  parmi les populations affectées par les conflits dans la région n’ont pas suivi au même rythme. Dans les situations de réfugiés ou assimilées, il s’est avéré difficile d’initier des interventions relatives au VIH à destination des groupes les plus à risques à cause de facteurs comme la nature fermée de certains sites, et la stigmatisation et la discrimination considérables à laquelle ces populations doivent faire face en plus de leur statut de réfugié. Parmi les autres difficultés il convient de mentionner la taille réduite des échantillons et des considérations éthiques. De plus, il y a pénurie de données, biologiques et comportementales, concernant les réfugiés urbains. Des progrès ont néanmoins été effectués au niveau des approches qualitatives, l’action et l’apprentissage participatifs ont été utilisés pour identifier les risques et les vulnérabilités associés à la prostitution parmi les réfugiés urbains à Dehli. Des évaluations précoces ont été effectuées en ce qui concerne l’utilisation de drogues en Thaïlande et au Pakistan ce qui a résulté en une amélioration des programmes.

 

Leçons
L’inclusion des réfugiés et des populations déplacées aux initiatives nationales relatives au VIH est un premier pas nécessaire, mais qui de manière isolée ne réussira pas à garantir l’accès aux services. Le plaidoyer en faveur de l’inclusion des réfugiés et des populations déplacées aux initiatives nationales relatives au VIH est une composante clé de la programmation relative au VIH du HCR au niveau national. Cependant, alors qu’il se peut qu’une politique nationale soutienne l’accès des réfugiés, ceux-ci ont fréquemment des besoins spécifiques qui peuvent freiner leur capacité à se prévaloir de ses services. Ces besoins spécifiques peuvent être un langage ou des antécédents culturels  différents de ceux de la communauté d’accueil, un taux moins élevé d’alphabétisme que celui de la communauté d’accueil, la crainte d’être harcelé ou arrêté et l’incertitude à propos de leurs droits. Tous ces facteurs doivent être pris en considération.

Les activités de prévention du VIH parmi les réfugiés et les autres personnes relevant de la compétence du HCR dans la région doivent cibler les personnes qui présentent les risques de contamination les plus élevés. Les réfugiés et les PDI sont souvent considérés comme des populations homogènes alors que, comme toutes les populations, ils comprennent des personnes qui ont des facteurs de risques variables. En se conformant aux directives régionales sur le traitement du VIH dans les situations de faible prévalence/d’épidémie concentrée, les interventions relatives au VIH en faveur des personnes relevant de la compétence du HCR en Asie doivent cibler ceux qui présentent les risques de contamination les plus élevés comme les prostituées et leurs clients, les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes et les utilisateurs de drogues injectables. Les interventions auprès de la population générale, comme les activités d’information de masse, même si elles semblent toucher davantage de personnes, auront moins d’impact.
 
Il est possible d’atteindre des populations marginalisées et fortement stigmatisées et de proposer des services relatifs au VIH dans une situation fermée, même en présence de fortes contraintes socioculturelles. Etablir la confiance avec la communauté concernée peut prendre du temps mais il est nécessaire de développer la capacité des intéressés à se prévaloir des services – et il est essentiel que cette confiance soit maintenue. Le travail avec les pairs et avec des personnes-relais de confiance au sein de la communauté permettra d’atteindre les personnes les plus à risques.

Une évaluation correcte des risques et des vulnérabilités en termes de VIH ainsi que de l’environnement opérationnel de chaque population relevant de la compétence du HCR est nécessaire pour concevoir des interventions appropriées. Chaque contexte est différent et une approche unique pour tous n’est pas adaptée. Une évaluation locale est nécessaire pour déterminer quelles intervention sont les mieux adaptées et pourquoi, et pour identifier les obstacles possibles aux activités prévues ainsi que des solutions potentielles.
 
Ann Burton (burton@unhcr.org) a été Coordinatrice régionale en matière de VIH/sida pour l’UNHCR à  Bangkok de 2005 à mai 2010, elle est maintenant Responsable santé publique pour l’UNHCR à  Dadaab, au Kenya.

L’auteur souhaite remercier Susheela Balasundaram du HCR Malaisie pour sa contribution à cet article.

(1) Parmi les signataires de la Convention sur les Réfugiés de 1951 en Asie, se trouvent le Cambodge, la Chine, les Philippines et l’Iran.

(2) Notamment, la prise en charge des IST, la fourniture de préservatifs masculins et féminins, d’aiguilles et de seringues propres ainsi que des informations données par les pairs, des groupes de soutien par les pairs et une communication visant au changement de comportement.

 

 

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