Faire du Cadre d'action global pour les réfugiés une réalité

Alors qu’ils travaillent à l’adoption d’un Pacte mondial sur les réfugiés, les États mettent actuellement en œuvre le Cadre d'action global pour les réfugiés. Comment les parties prenantes à cette mise en œuvre, y compris les nouveaux acteurs, peuvent-elles concrétiser le plus efficacement possible cette approche collective des grands mouvements de réfugiés ?

Le Cadre d'action global pour les réfugiés (« Comprehensive Refugee Response Framework », ou « CRRF » en anglais), l’une des deux annexes de la Déclaration de New York pour les réfugiés et migrants (la Déclaration de New York), trace les contours d’une réponse globale aux mouvements de réfugiés à grande échelle, en s’appuyant sur une démarche collective impliquant un éventail d’acteurs et d’approches. Son objectif est « d’alléger les pressions exercées sur les pays d’accueil concernés, d’accroître l’autonomie des réfugiés, d’élargir l’accès à des solutions faisant appel à des pays tiers et d’aider à créer dans les pays d’origine les conditions nécessaires au retour des réfugiés dans la sécurité et la dignité »[1]. Fondamentalement, le Cadre souhaite faire évoluer les cultures, les mentalités et les méthodes de travail. Il a pour but d’impliquer un large éventail de parties prenantes et d’inciter à réfléchir de manière plus créative pour donner aux réfugiés les moyens d’acquérir plus d’autonomie tout en apportant une assistance de meilleure qualité aux communautés qui les accueillent. En se basant sur les enseignements tirés de la mise en application du CRRF, les États travaillent à l’adoption du Pacte mondial sur les réfugiés (PMR).

Plusieurs pays, dont l’Ouganda et la Tanzanie, ont répondu à l’appel pour mettre en œuvre le cadre. Plan International Tanzanie et Plan International Ouganda ont financé le travail d’un consultant auprès de la communauté dans son ensemble, en vue d’identifier les résultats à atteindre et les défis à surmonter pour garantir le succès de la mise en œuvre du cadre. De nombreuses observations et recommandations émises dans le présent article s’inspirent des réunions organisées en mai et juin 2017 avec des ONG, des représentants du gouvernement et le HCR en Tanzanie et en Ouganda, ainsi que des discussions ultérieures à Genève[2].

Tirer les enseignements des tentatives précédentes
L’adoption unanime par l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) de la Déclaration de New York en septembre 2016 était historique : jamais auparavant autant d’États ne s’étaient engagés à mieux répondre à la problématique des réfugiés et des migrants. Par cette déclaration, les États s’engagent également à élaborer deux pactes d’ici 2018 : le PMR et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Même si le manque d’attention portée aux personnes déplacées de l’intérieur (PDI) est significatif, il ne faut pas pour autant dédaigner cette opportunité d’améliorer notre réponse collective aux réfugiés et aux migrants.

Toutefois, le CRRF et le prochain PMR ont été accueillis avec un enthousiasme modéré. Un grand nombre de leurs concepts, idées et approches ont déjà été avancés par le passé. Beaucoup de ces concepts ont également été mis à l’essai auparavant, sans nécessairement rencontrer de succès. Par exemple, les efforts pour faire participer un plus large éventail de parties prenantes aux réponses apportées aux réfugiés (que l’on désigne ici par l’approche « de la société entière ») ont déjà été déployés par le passé sous diverses appellations. Il en va de même de l’implication dès le début des acteurs du développement dans les réponses apportées aux réfugiés, qui n’est pas nouvelle non plus. Pour que le CRRF donne les résultats escomptés, il est important de tirer les enseignements des tentatives précédentes, y compris des échecs, et de les intégrer très tôt au processus afin de ne pas répéter les mêmes erreurs. Il faudra également surmonter plusieurs défis pour que la mise en œuvre du CRRF soit couronnée de succès.

Une formulation simple et pratique : le langage de la Déclaration de New York et du CRRF, qui ont été négociés à New York, ne se traduit pas facilement dans la pratique. À l’heure actuelle, il n’existe toujours aucune description claire, concise et cohérente des implications du CRRF en termes concrets. Même l’acronyme utilisé n’évoque pas grand-chose pour la plupart des gens, à tel point que cette situation a fini par inciter le Haut-commissaire, dans le cadre des consultations annuelles du HCR avec les ONG, à suggérer (en ne plaisantant qu’à moitié) d’organiser un concours pour rebaptiser le CRRF.

Le CRRF est censé entraîner l’évolution des méthodes de travail, qu’il s’agisse des méthodes des parties prenantes actuellement impliquées ou de celles qui devraient l’être. Cependant, il ne sera pas suffisant de simplement rebaptiser les actions et les programmes en cours ou de ressusciter de vieilles idées pour mettre en place les changements graduels nécessaires. Il est particulièrement urgent de communiquer et de diffuser des directives pratiques pour mettre en lumière tous les éléments nouveaux et différents, qui pourront ensuite être contextualisés dans chacun des pays du CRRF. À défaut, le CRRF risque de faire l’objet de différentes interprétations qui se traduiront simplement par un remodelage superficiel des activités en cours.

Dialoguer avec les administrations locales, de district et régionales : les États se sont accordés sur la Déclaration de New York sans que l’on sache avec exactitude quelle a été l’ampleur des consultations menées avec les administrations locales, de district et régionales, c’est-à-dire celles qui répondent quotidiennement aux besoins des réfugiés. Ces parties prenantes doivent également entrer en jeu dès le début du processus de mise en œuvre, non seulement pour que leurs contributions soient entendues, mais aussi pour qu’elles puissent bénéficier de l’appui nécessaire pour diriger cette nouvelle manière de répondre.

Les réfugiés relèvent souvent de la compétence d’un Commissaire aux réfugiés ou d’un ministère particulier. Toutefois, le CRRF envisage de fournir des services destinés tant aux réfugiés qu’aux communautés d’accueil. Un tel changement implique la participation des ministères responsables de ces services (par exemple, la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement), qui sera essentielle pour faire évoluer la manière dont les réponses sont planifiées, conçues, budgétisées et déployées. Sans cet engagement et cette participation précoces des autorités, il sera difficile de garantir l’inclusion des réfugiés dans les plans de développement locaux ou de district, et dans les plans nationaux. C’est également à ces niveaux de planification, locaux et régionaux en particulier, que les questions de genre, d’âge et de diversité pourront être intégrées et abordées.

Écouter la voix des réfugiés et des communautés d’accueil : pour garantir la bonne mise en œuvre du CRRF, il sera essentiel de trouver les moyens d’écouter les priorités et les idées des réfugiés, en particulier des femmes et des filles réfugiées, et de les faire participer autant que possible aux processus décisionnels. Il sera également important de favoriser l’inclusion des jeunes issus des communautés de réfugiés et d’accueil. Comme c’est le cas pour de nombreux processus de ce type, la difficulté consiste à trouver un moyen d’engager les personnes de manière constructive sans toutefois faire naître des attentes trop élevées. En outre, on observe déjà une certaine lassitude vis-à-vis des consultations en Tanzanie alors que la mise en œuvre du CRRF n’y a pas encore vraiment commencé. Il convient donc d’élaborer une approche coordonnée du dialogue avec les communautés dans les pays participants si l’on souhaite véritablement incorporer les perspectives des réfugiés et des communautés d’accueil.

Agir pour le décloisonnement : cela fait déjà plusieurs dizaines d’années que des initiatives sont mises en place pour favoriser la collaboration entre les acteurs de l’humanitaire et du développement, et harmoniser la transition entre la phase d’intervention d’urgence et la phase de développement. La terminologie a évolué au cours des années (de « division » à « fossé » puis « liens » (nexus)) et des améliorations ont effectivement été apportées, mais l’objectif reste hors d’atteinte. Le CRRF nous donne une autre chance de réaliser cette ambition.

Les acteurs de l’humanitaire et du développement ont une formation différente et appliquent des approches différentes ; leurs mécanismes de coordination sont différents, ils dialoguent avec différentes sections du gouvernement et leurs bailleurs de fonds sont souvent différents. Bon nombre de ces donateurs fonctionnent de manière cloisonnée, quoique certains d’entre eux s’efforcent de fournir des financements plus flexibles et de rationaliser leurs approches. Après de nombreuses années, la Banque mondiale et d’autres banques de développement trouvent enfin les moyens de s’engager plus efficacement dans les réponses au déplacement, mais elles amènent dans leur sillage une culture et des méthodes de travail qui leur sont propres. L’engagement des bailleurs de fonds en faveur de l’efficacité de l’aide doit être un élément de la mise en œuvre du CRRF.

À l’heure actuelle, il n’existe aucune plateforme de coordination réunissant un groupe globalement représentatif d’acteurs de l’humanitaire et du développement et d’autres parties prenantes issues de la société entière, dont les gouvernements, les bailleurs de fonds, les acteurs du secteur privé et les banques de développement. Ici, le défi consistera à établir des mécanismes de coordination qui soient représentatifs sans pour autant être inefficaces, et qui réunissent ces parties prenantes pour qu’elles approuvent collectivement les résultats à atteindre. Toutefois, une telle plateforme ne devra pas compromettre la rapidité de l’intervention humanitaire, ni les principes qui la sous-tendent.

Évolution des mentalités : pour que le CRRF fonctionne, la mentalité des acteurs participant traditionnellement à l’action en faveur des réfugiés devra évoluer. Les organisations humanitaires devraient passer le relais aux autres acteurs bien plus rapidement qu’elles ne le feraient habituellement. Les acteurs du développement devraient réfléchir aux  moyens de devenir plus flexibles et réactifs aux besoins des zones et des communautés accueillant des réfugiés. Bien entendu, ces évolutions sont plus faciles à décrire qu’à réaliser. Les secrétariats et comités directeurs du CRRF en cours d’établissement dans plusieurs pays peuvent jouer un rôle important pour favoriser ces évolutions. Les organisations qui interviennent à la fois dans les domaines de l’humanitaire et du développement, par exemple les ONG, pourraient être en mesure de naviguer entre ces deux cultures opérationnelles.

Les précédentes tentatives de faire évoluer les mentalités n’ont pas disposé du temps ou de l’espace nécessaire, ni de mesures incitatives clairement définies, tandis que les bonnes idées n’ont pas toujours été mises en œuvre à cause des luttes entre institutions pour défendre leur « pré carré ».  Pour attirer les financements qui leur permettent de fonctionner, les institutions comptent sur leur profil et leurs capacités. Le CRRF, s’il est correctement mis en œuvre, impliquera pour de nombreuses organisations (humanitaires) une réduction du volume de travail qu’elles doivent accomplir puisque d’autres acteurs entreront en jeu. Cela posera un défi fondamental à leurs méthodes de travail habituelles, à leur financement et, potentiellement, au nombre et au type de personnel qu’elles emploient. Ces menaces existentielles, auxquelles les organisations opposeront probablement une résistance, doivent être abordées ouvertement.

Définir un calendrier réaliste : alors qu’il est nécessaire de réaliser des avancées à court terme pour perpétuer la dynamique, il est tout aussi nécessaire d’adopter une perspective à long terme afin d’apporter les changements espérés. Dans certains pays, l’intégration des réfugiés au plan de développement national impliquera d’attendre l’élaboration du prochain plan. Un calendrier plus réaliste, étalé sur cinq à huit ans, permettrait de disposer du temps nécessaire pour la mise en œuvre des changements systémiques.

Partage des responsabilités : le PMR est l’occasion de donner une forme beaucoup plus concrète au partage des responsabilités à l’échelle mondiale. Cependant, il faudra énormément de volonté politique pour analyser réellement comment il est possible de partager de manière plus équitable les responsabilités en matière de protection et d’assistance aux réfugiés. En l’absence d’une telle approche mondiale, les pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés dans le monde risquent de se retrouver débordés, en particulier lorsque les ressources nécessaires pour répondre aux besoins les plus élémentaires des réfugiés ne sont même pas fournies. De nombreux pays du CRRF peinent déjà à répondre à ces besoins. Et en l’absence de fonds suffisants pour couvrir les besoins élémentaires, comment le CRRF sera-t-il mis en œuvre dans ces pays, et ailleurs ?

S’attaquer aux causes profondes : alors que le CRRF se concentre, à juste titre, sur les différents éléments et différentes phases du déplacement, l’un de ses objectifs les plus importants est de s’attaquer aux causes profondes. Dans la Déclaration de New York, les États se sont engagés non seulement à s’attaquer aux causes profondes de la violence et des conflits armés, mais aussi à s’efforcer de trouver des solutions politiques et de régler les différends de manière pacifique, et à contribuer à la reconstruction. Si les États prennent au sérieux de tels engagements, le nombre de personnes en fuite décroîtra, et il sera plus probable de trouver des solutions durables.

 

Manisha Thomas manishathomas@gmail.com
Consultante travaillant pour Plan International

Nous remercions les collègues de Plan International en Ouganda : Rashid Javed ; en Tanzanie : Jorgen Haldorsen, Richard Sandison et Gwynneth Wong ; et au siège : Roger Yates et Leslie Archambeault, pour leurs contributions à cet article.

Plan International www.plan-international.org
 

Structure de coordination du CRRF : faire participer de nouveaux acteurs
Le secrétariat tanzanien est coprésidé par le Ministère de l’Intérieur et le Bureau du président chargé de l'administration régionale et du gouvernement local (PO-RALG). Ses membres incluent les ministères sectoriels du gouvernement, les autorités régionales, des agences de l’ONU, la société civile (y compris des ONG humanitaires et de développement), la Banque mondiale et des acteurs du secteur privé et du monde universitaire. Plusieurs des bureaux gouvernementaux participant au travail du secrétariat n’ont jamais travaillé auparavant sur les questions relatives aux réfugiés ; cette nouvelle approche facilite l’inclusion des réfugiés dans les plans de développement et les budgets nationaux. Le secrétariat de Tanzanie, et les plateformes semblables sous l’égide d’autres gouvernements dans d’autres pays où le CRRF est déployé, ont pour mission d’élaborer des stratégies claires pour engager la participation des autorités locales, de districts et régionales à la mise en œuvre du CRRF, et mettre en place des mécanismes d’engagement prévisible et durable avec les acteurs intervenant auprès des réfugiés.

En Somalie, à une échelle régionale, les États membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement ont signé la Déclaration de Nairobi en mars 2017, s’engageant ainsi à poursuivre ensemble une approche exhaustive de la quête de solutions durables pour les réfugiés somaliens, et s’accordant sur un ensemble d’engagements. Les politiques relatives aux réfugiés des pays d’accueil voisins seront reliées au plan national de développement de la Somalie dans l’objectif de mettre en place les conditions d’un retour durable. En Somalie, le CRRF cherche à soutenir les efforts de construction de l’État et de consolidation de la paix du gouvernement. Surtout, le CRRF contribue aux cadres existants, dont l’Initiative pour les solutions durables (Durable Solutions Initiative), l’Approche globale de la sécurité (Comprehensive Approach to Security) et le Programme de réformes budgétaires (Fiscal Reform Agenda). Les actions en cours dans le cadre du CRRF incluent l’organisation d’un forum national sur les solutions pour les réfugiés et les PDI par le gouvernement de Somalie, de même qu’une feuille de route régionale accompagnée de plans d’action nationaux des pays de la région accueillant des réfugiés somaliens en vue de soutenir les principes du CRRF et de faciliter la réintégration des réfugiés somaliens. Parmi ces initiatives, on peut citer les projets RE-INTEG, financés par l’UE, dont l’objectif est de faciliter l’intégration durable des réfugiés rapatriés et l’intégration locale des PDI. Avec le soutien de l’UE, le HCR, ONU-HABITAT, le PNUD et l’OIM mettent actuellement en œuvre un éventail d’initiatives communautaires multisectorielles à Kismayo et Mogadiscio.

Des informations sur tous les pays participants sont disponibles sur le portail numérique mondial du CRRF : http://crrf.unhcr.org/fr



[1] Assemblée générale des Nations unies, Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, résolution adoptée par l’Assemblée générale le 19 septembre 2016, A/RES/71/1, 3 octobre 2016 http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/71/1

 

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.