Répondre à la migration forcée des personnes LGBT en Afrique de l’Est

Suite à l’adoption de la loi contre l’homosexualité en décembre 2013 en Ouganda, des centaines de personnes LGBT ont fui au Kenya en quête sécurité. Pour apporter une réponse efficace, diverses interventions doivent être menées en Ouganda et au Kenya.

Au cours des dix dernières années, les personnes gays, lesbiennes, bisexuelles et transgenres (LGBT) de nationalité ougandaise ont fui vers différents pays pour y trouver la sécurité et y solliciter l’asile, mais jamais en aussi grand nombre ou de manière aussi visible que suite à l’adoption de la loi ougandaise contre l’homosexualité en décembre 2013. Les données fournies par l’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) et d’autres prestataires de services au Kenya indiquent qu’au moins 400 Ougandais LGBT se sont rendus au Kenya entre janvier 2014 et février 2015 en quête de sécurité et d’asile. L’immense majorité des personnes identifiées avaient autour de vingt ans et s’identifiaient comme des hommes gays. En plus de ces demandeurs d’asile, il a également été signalé que des Ougandais LGBT se réinstallaient temporairement au Kenya, de manière légale (en franchissant un point de contrôle frontalier officiel) ou clandestine.

Les bailleurs internationaux, les organisations locales et les fournisseurs de services aux réfugiés, dont l’UNHCR, ont peiné à répondre. Parallèlement, le Kenya a mis en place un ensemble de mesures strictes dont les réfugiés présents sur son sol ont subi les conséquences.[1] Étant donné les complexités des facteurs d’attraction et de répulsion en jeu, mais aussi du contexte difficile du Kenya, les parties prenantes doivent considérer un éventail de stratégies non seulement pour s’attaquer aux causes du flux de réfugiés venus d’Ouganda mais aussi pour répondre aux besoins actuels des migrants forcés LGBT au Kenya.[2]

Facteurs d’attraction et de répulsion

Bien que la loi contre l’homosexualité soit le facteur de motivation le plus évident, cet exode sans précédent d’Ougandais LGBT ne peut pas être uniquement imputé à l’adoption de cette loi. Il existait déjà de nombreux facteurs de répulsion en Ouganda qui, en fait, ont été exacerbés par cette loi, perçue comme une carte blanche pour la discrimination et les mauvais traitements. En 2014, les organisations ougandaises travaillant auprès de la communauté LGBT ont documenté une augmentation générale des signalements de menaces et incidents de violence, de chantage, de « sortie du placard » forcée par voie médiatique, de perte d’emploi et d’exclusion scolaire.[3] De plus, une grande majorité de personnes pensait que la loi contre l’homosexualité obligeait les citoyens à dénoncer les personnes suspectées d’appartenir à la communauté LGBT, si bien que des personnes ont été rejetées par leur famille, expulsées de leur domicile ou signalées à la police de manière préventive, avant même que le projet de loi ne soit ratifié. Parallèlement, se sentant menacées par la disposition de la loi rendant illégale la « promotion » de l’homosexualité, de nombreuses organisations fournissant des services à la communauté LGBT ont initialement suspendu ou restreint leurs programmes. De plus, ces organisations ne disposaient pas des capacités suffisantes pour répondre aux demandes d’assistance à la réinstallation et de protection des personnes LGBT victimes de menaces.

L’annulation de la loi contre l’homosexualité par la Cour suprême ougandaise en août 2014 n’a pas vraiment apaisé cet environnement hostile. Certains militants ougandais ont même suggéré que, puisque la loi avait été annulée pour des raisons techniques et non pas pour sa substance, son annulation enhardissait le public à prendre les choses en main. Ce sentiment s’est renforcé lorsque les parlementaires ougandais ont déposé une requête en faveur de la réintroduction du projet de loi puis lorsqu’il a été signalé, en novembre 2014, que des politiciens étudiaient une nouvelle loi ciblant la communauté LGBT : le projet de loi pour la prohibition de la promotion des offenses contre nature. Alors que les différents cas d’arrestation et de violence ont fortement influencé les personnes choisissant de migrer, dans le climat de peur généré par ce projet de loi, d’autres ne souhaitaient tout simplement pas attendre qu’un incident se produise.

Au Kenya, l’UNHCR et ses partenaires ont initialement donné priorité à la nouvelle population de réfugiés inattendue et accéléré la réinstallation des Ougandais LGBT. Dans un pays où les réfugiés attendent plusieurs années dans l’espoir d’être réinstallés, au moins un cas ougandais a été traité avec célérité, dans un délai record de huit mois entre son arrivée au Kenya et sa réinstallation aux États-Unis. Aux personnes qui avaient choisi de ne pas se rendre au camp de réfugiés de Kakuma, un partenaire de l’UNHCR versait une allocation mensuelle, initialement mise à disposition de tous les demandeurs d’asile ougandais LGBT à Nairobi. Plusieurs organisations kenyanes dirigées par des personnes LGBT ont mis à disposition des nouveaux arrivants les services qu’elles proposaient déjà ou mis en place de nouveaux programmes pour répondre à leurs besoins spécifiques. Les services et l’appui disponibles au Kenya, de même que le traitement rapide par l’UNHCR, ont agi comme des facteurs d’attraction de plus en plus puissants alors que les informations relatives à ces nouvelles ressources se propageaient progressivement en Ouganda. Ce facteur d’attraction a peut-être été particulièrement puissant pour les jeunes Ougandais LGBT, dont les possibilités d’instruction et d’emploi sont limitées par la stigmatisation et la discrimination, et que l’absence de filet de sécurité sociale rend particulièrement vulnérables.

Défis

Les Ougandais LGBT qui avaient fui au Kenya en espérant y trouver un environnement plus sûr et ouvert et un passage automatique vers l’Occident ont vite perdu leurs illusions. En termes d’attitudes homophobes, le Kenya diffère peu de l’Ouganda, et ce pays s’est également doté de lois anti-sodomie utilisées pour harceler les personnes LGBT et les mettre arbitrairement en détention. À Kakuma, les Ougandais LGBT ont signalé être victimes de discrimination par le personnel des partenaires d’exécution de l’UNHCR et par la police, de menaces et de harcèlement de la part des autres réfugiés et d’agressions physiques. La plupart ont fini par s’installer dans des « zones de protection », qui leur apportaient une plus grande sûreté mais qui accroissaient également leur visibilité.[4]

Ceux qui s’étaient établis à Nairobi ne se portaient guère mieux. En raison de la politique de camp de regroupement poursuivie par les autorités kenyanes, les demandeurs d’asile et les réfugiés ne sont pas autorisés par la loi à s’établir en dehors des zones désignées et ils sont passibles d’une amende ou d’emprisonnement si la police les trouve en dehors de ces zones. Parallèlement, en raison de la posture adoptée par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme, tous les étrangers établis au Kenya sont plus susceptibles d’être arrêtés, mis en détention, maltraités et expulsés. De plus, les Ougandais LGBT peinaient à trouver un logement sûr et abordable. Certains d’entre eux ont été dénoncés à la police par leurs voisins ou victimes d’agressions violentes. En dépit du soutien financier et social apporté par l’UNHCR et d’autres organisations, de nombreux Ougandais LGBT éprouvaient des difficultés à subvenir à leurs propres besoins dans l’environnement comparativement coûteux du Kenya où, de surcroît, la loi ne les autorise pas à travailler.

Comme l’UNHCR avait initialement donné priorité à tous les réfugiés ougandais LGBT et qu’une assistance financière avait été octroyée à ceux qui s’étaient établis à Nairobi, cela laissait à penser que tous les demandeurs d’asile ougandais LGBT bénéficieraient du même soutien, indifféremment de leur degré de vulnérabilité, et que le dépôt d’une demande d’asile au Kenya était un moyen sûr d’être rapidement réinstallé. Mais alors que le nombre de réfugiés augmentait et que les ressources financières restaient limitées, l’UNHCR et ses partenaires n’ont eu d’autre choix que de réévaluer s’ils pouvaient poursuivre durablement cette approche. De plus, des accusations de trafic d’êtres humains et de demandes d’asile frauduleuses compliquaient encore la situation. Ainsi, fin 2014, l’UNHCR et ses partenaires avaient commencé à évaluer les besoins au cas par cas, ne catégorisant plus automatiquement tous les Ougandais LGBT comme vulnérables.

L’UNHCR se tournait de plus en plus vers les organisations LGBT kenyanes pour fournir une assistance humanitaire aux migrants ougandais. Toutefois, les types d’assistance que l’UNHCR espérait que ces organisations puissent apporter, et que les migrants demandaient également, n’avaient jamais fait partie des programmes de celles-ci, même pour les Kenyans LGBT. Quant aux organisations LGBT kenyanes qui avaient élargi leurs services existants pour inclure les Ougandais, par exemple les services de santé et de conseil, ou qui avaient mis en place des programmes temporaires d’assistance et de logement, leurs ressources financières et humaines étaient poussées à leurs limites. De plus, un grand nombre de ces organisations craignaient mettre en danger leurs propres activités en fournissant de manière probablement illégale des services à une population établie au Kenya, et redoutaient également que l’attention accrue portée plus globalement à la communauté LGBT risquait de compromettre les avancées réalisées par le mouvement LGBT au Kenya. Parallèlement, en Ouganda, les organisations travaillant auprès de la communauté LGBT, bien que profondément soucieuses du bien-être et de la sûreté des personnes réfugiées au Kenya, estimaient qu’elles ne disposaient pas des capacités suffisantes pour apporter un soutien direct à ces personnes, ces dernières de trouvant de surcroît au-delà de leur champ d’action.

Cette situation était exacerbée par les militants internationaux qui avaient lancé des appels aux dons, envoyé des fonds pour permettre aux Ougandais LGBT de fuir au Kenya et promis de les aider à « s’échapper » pour trouver une vie plus sûre. Les migrants entretenaient des attentes élevées relativement aux personnes qui souhaitaient les aider et, alors que le délai de traitement des dossiers des réfugiés s’allongeait, le défi était alors de savoir comment aider un groupe tellement focalisé sur la réinstallation à devenir auto-suffisant.

Recommandations

Un éventail de stratégies est nécessaire pour surmonter les vulnérabilités et les défis auxquels se heurtent actuellement les migrants forcés LGBT au Kenya et pour combattre les causes sous-jacentes du flux de réfugiés en provenance d’Ouganda. Bien que ces recommandations s’attachent à la situation en Ouganda, elles sont également pertinentes pour la région en général et pour tout autre endroit où l’on observe une situation semblable.

La diffusion d’informations est cruciale pour aider les personnes à prendre des décisions éclairées. Les organisations ougandaises LGBT devraient donc fournir des informations fiables et précises au sujet du processus de demande d’asile, de la réalité de la vie dans les camps, des risques à Nairobi et des possibilités de réinstallation. Ces informations devraient être intégrées aux formations dans les domaines juridique et de la protection destinées aux militants et aux organisations LGBT, mais aussi disséminées aux membres de la communauté LGBT via les réseaux informels, en utilisant les médias sociaux, et en veillant à ce qu’elles parviennent jusqu’aux personnes LGBT pauvres et en milieu rural. Enfin, les alliés internationaux devraient communiquer les mêmes informations et les mêmes messages que les organisations locales aux personnes en quête d’assistance.

Afin de déterminer comment transformer la réinstallation temporaire au Kenya (et dans d’autres pays d’Afrique de l’Est) en une option plus sûre et plus viable, les organisations LGBT œuvrant dans la région devraient collaborer pour évaluer les risques, identifier et localiser les possibilités de réinstallation et développer des moyens de communication plus proactifs et structurés. Les organisations ougandaises devraient également évaluer si les formations de type « Connaissez vos droits » organisées dans le pays ont eu l’impact recherché.

Les bailleurs et les organisations locales devraient a) évaluer les priorités en matière de programmes et de financement pour déterminer s’ils combattent les vulnérabilités qui poussent les personnes à migrer ou solliciter l’asile ; b) explorer les possibilités de soutenir et d’élargir les programmes relatifs à la santé, au soutien psychosocial et aux moyens de subsistance ; et c) examiner plus profondément comment il serait possible de renforcer la protection et la sécurité des membres de la communauté LGBT en prêtant davantage attention à ces questions.

Au Kenya, les prestataires de services aux réfugiés et les organisations LGBT travaillant auprès des migrants forcés devraient fournir aux nouveaux arrivants de plus amples informations concernant leurs options mais sans leur conseiller immédiatement de solliciter l’asile, puisqu’un grand nombre de personnes s’imagineront alors qu’elles seront directement réinstallées dans un pays tiers. La réinstallation n’est pas et ne peut pas être la solution pour tous les migrants forcés LGBT.

Les bailleurs et les groupes de la région devraient aider les groupes de réfugiés LGBT à s’organiser et à travailler à l’identification de leurs besoins, de leurs priorités et des solutions possibles. L’appui de conseillers locaux, tels que les groupes LGBT kenyans et les prestataires de services aux réfugiés, est vital pour apporter des informations sur le contexte local (par exemple, comment obtenir un permis de travail, accéder aux services et identifier les quartiers les plus sûrs) et de l’aide en matière de stratégies personnelles de sécurité, mais aussi pour orienter les personnes vers des prestataires de services ouverts aux personnes LGBT.

Comme le traitement des demandes de réinstallation est long et que tous les réfugiés ne seront pas réinstallés, il convient de soutenir le développement d’options de logements dispersés au Kenya et l’élaboration de programmes de formation et de génération de revenus. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il sera probablement difficile d’agrandir l’échelle des stratégies de protection pouvant fonctionner pour un petit nombre de demandeurs d’asile LGBT, ou de poursuivre durablement ces stratégies avec un plus grand nombre de personnes.

Il est également crucial d’organiser des formations de sensibilisation pour les prestataires de services aux réfugiés et les partenaires LGBT locaux afin de garantir que les services soient accessibles et qu’ils répondent aux besoins particuliers de cette communauté. De plus amples efforts doivent être déployés pour engager la police kenyane et sensibiliser les chefs communautaires et religieux, notamment dans les camps de réfugiés, afin de combattre la stigmatisation et le harcèlement.

Enfin, un exercice conjoint d’identification des rôles et des ressources par les organisations LGBT d’Ouganda et du Kenya contribuerait à dresser le tableau des besoins généraux dans ce contexte particulier et à identifier les déficits de financement. Cet exercice devrait également permettre de renforcer leurs capacités à résoudre les problèmes, à planifier et à défendre conjointement leur cause – auprès de l’UNHCR, des prestataires de service et des bailleurs.

 

Gitta Zomorodi gittazomorodi@gmail.com
Consultante en droits humains et philanthropie



[1] Voir Wirth A (2014) « Réflexions sur une décision rendue par la Cour suprême du Kenya concernant les camps de regroupement », Revue Migrations Forcées no. 48  www.fmreview.org/fr/foi/wirth

[2] Basé sur des recherches conduites entre décembre 2014 et mai 2015, commanditées par The Global Philanthropy Project http://globalphilanthropyproject.org. Rapport complet :

http://globalphilanthropyproject.org/2016/03/15/sogi-related-forced-mig…

http://tinyurl.com/Zomorodi-2016-east-africa. Voir également le no. 42 de la Revue Migrations Forcées sur le thème « Orientation sexuelle et identité de genre et protection des migrants forcés »  www.fmreview.org/fr/osig

[3] Voir HRAPF (2015) Uganda Report of Violations Based on Gender Identity and Sexual Orientation

http://hrapf.org/publications/research-papers/

[4] Voir Freccero J (2015) « Abriter des personnes déplacées victimes de violence sexuelle et sexiste », Revue Migrations Forcées no. 50  www.fmreview.org/fr/dayton20/freccero

 

 

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