Une vision de la restitution au Myanmar

Les personnes déplacées au Myanmar pendant les décennies du conflit civil, de même que les personnes déplacées plus récemment, ont besoin de recours et d’assistance juridiques pour regagner accès à leurs terres et leurs propriétés. Le Myanmar a besoin d’une vision précise de la restitution pour mettre fin à ses guerres civiles et au déplacement.

Le soleil se couche sur un village d’une région rurale du Myanmar, où un groupe d’hommes et de femmes parlent d’une annonce qu’ils ont récemment vue affichée dans le bureau municipal, loin de là. Cette annonce fait état des revendications d’une entreprise sur certaines parcelles de terre que les familles du village cultivent depuis des décennies. Selon l’annonce, ces terres sont aujourd’hui officiellement classées comme inoccupées et une partie d’entre elles ont déjà été clôturées et utilisées pour cultiver l’hévéa. La date d’échéance indiquée pour soumettre des objections est passée bien avant que les agriculteurs concernés n’aient pu se rendre compte de la situation. Certains des habitants du village, qui cultivaient ces terres avant d’être déplacés, vivent aujourd’hui ailleurs et ne sont pas informés de la situation. Quels sont leurs recours ?

La nécessité de la restitution des logements, des terres et des propriétés

Dix ans après la promulgation de la nouvelle constitution du Myanmar en 2008 et le commencement de la période de transition gouvernementale, la recherche de la paix et de solutions réelles et efficaces aux déplacements et aux accaparements de terres passés et présents se poursuit, en dépit de quelques avancées positives (quoique timides) par les autorités. Pendant les guerres civiles, des villages entiers ont été déplacés par la force, leurs habitants étant également soumis au travail forcé et victimes de violences basées sur le genre[i]. Aujourd’hui encore, le cadre juridique est un mélange complexe de législation datant de l’époque coloniale et de lois plus récentes, ces dernières visant de toute évidence à favoriser l’investissement privé et l’acquisition massive des terres sans mesures de protection adéquates en faveur des droits des agriculteurs et de leur famille[ii]. Les lois gouvernant l’acquisition des terres favorisent de manière disproportionnée l’État, les forces armées et les entreprises entretenant des relations privilégiées avec ces entités, ou favorisées par celles-ci, et accordent moins d’importance aux droits des personnes et des communautés concernées.

Certaines mesures ont été prises en vue de la restitution des terres confisquées, notamment l’établissement d’instances gouvernementales pour étudier les revendications foncières. Une nouvelle politique nationale d’affectation des terres a été approuvée en janvier 2016, laquelle inclut des éléments innovants et particulièrement progressifs (dans le contexte du Myanmar) en matière de reconnaissance des droits fonciers coutumiers, de la restitution et de l’inclusion des femmes dans la gouvernance foncière, même si le gouvernement a attendu 2018 pour établir le Conseil national d’affectation des terres chargé de mettre en œuvre cette politique. Il s’agit d’une évolution prometteuse qui pourrait servir de fondement aux procédures de restitution suite aux déplacements forcés et à l’accaparement illégal des terres, conformément aux normes internationales. Toutefois, en général, ces mesures sont loin d’avoir répondu aux attentes.

Le Myanmar a récemment ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui définit un ensemble d’obligations juridiques précises pour protéger les droits au logement, fonciers et de propriété (LFP). Les normes telles que définies par le PIDESC et les normes connexes telles que les Principes concernant la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées, adoptés en 2005 par les Nations Unies (les « Principes Pinheiro »[iii]), devraient encadrer la gouvernance foncière dans le pays.

Au nord-est du pays, dans les États Kachin et Shan, plus de 100 000 personnes déplacées vivent dans des communautés d’accueil ou dans des huttes de bambou en périphérie de villes telles que Myitkyina et Bhamo, ou le long de la frontière chinoise. Elles sont déplacées depuis la reprise du conflit en 2011 et, en l’absence de véritables possibilités de retourner chez elles, elles cherchent des solutions qui leur permettraient de se réinstaller ailleurs. Les femmes PDI ont été particulièrement lésées par la perte de leurs terres dans la mesure où elles dépendaient souvent de cette unique culture de subsistance. Ayant perdu leurs moyens de subsister de manière indépendante, elles doivent désormais s’en remettre à l’assistance humanitaire. En outre, les pressions accrues sous l’effet du déplacement et de la perte des moyens d’existence se traduisent par une augmentation de la violence conjugale[iv].

Cependant, les droits LFP des communautés déplacées ne figurent pas parmi les priorités du processus de paix engagé par le gouvernement, qui peine à trouver un terrain d’entente avec les organisations ethniques armées (OEA), dont certaines ont signé un cessez-le-feu bilatéral ou national. En ce sens, l’inclusion formelle des droits et des procédures de restitution des logements, des terres et des propriétés dans le processus de paix pourrait favoriser la promotion de l’inclusion et de la participation[v]. À l’heure actuelle, les mécanismes de gouvernance foncière du gouvernement et ceux des OEA fonctionnent en parallèle, sans feuille de route précise pour les intégrer au processus de paix. Aucun de ces deux systèmes n’offre de véritables recours contre les infractions aux droits LFP et aucun n’a défini de plan précis pour établir un système de gouvernance foncière ou un mécanisme de restitution dans le cadre du processus de paix. Une discussion éclairée sur la restitution des logements, des terres et des propriétés pourrait, par exemple, trouver sa place au sein du comité thématique sur les terres et autres mécanismes associés du gouvernement.

En effet, la garantie juridique des droits fonciers est une condition fondamentale pour que les communautés puissent bénéficier d’une meilleure protection de leurs droits dans les zones touchées par les conflits. Ces questions ont été reconnues lors de la Conférence de paix de Panglong en mai 2017 par voie d’un accord provisoire reconnaissant l’importance des droits fonciers et de l’établissement d’une politique foncière centrée sur les personnes, respectueuse des droits et sensibilisée à la question du genre, de même que le droit au retour des PDI et des réfugiés.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance des droits LFP dans le processus de construction de la paix. Ce processus repose sur la restauration de ces droits qui sont les garants de la justice et de l’égalité, de la réconciliation, de la fin définitive de l’accaparement des terres, de la réforme et de la redistribution foncières, et d’une gestion foncière adéquate. Sans restitution, les membres des communautés affectées par les litiges fonciers se sentiront à jamais lésés. La restitution redonne un sentiment d’égalité et de justice, et établit un cadre pour protéger les droits des personnes et éviter qu’elles ne deviennent des sans-abris. De surcroît, plus le processus de restitution se poursuivra et plus la pression publique sera forte pour que les acteurs participant à l’accaparement de terres mettent fin à ces pratiques.

Crise dans l’Arakan

Les perspectives de mise en marche d’un processus national de restitution se sont encore davantage éloignées en août 2017 avec le déplacement forcé de 650 000 personnes de la partie nord de l’État d’Arakan vers le Bangladesh, de l’autre côté de la frontière. Ces événements sont la manifestation d’une tendance au déplacement en masse de longue date, qui a commencé au début des années 1960 et qui se poursuit au fur et à mesure que la législation sur la citoyenneté devient de plus en plus restrictive[vi]. Parallèlement, dans le centre de l’État d’Arakan, plus de 100 000 personnes déplacées lors des émeutes intercommunales de 2012 continuent de vivre dans des camps désolés, sans liberté de mouvement ni accès aux services essentiels. Dans de nombreux cas, leurs anciennes terres ont été occupées et elles ont peu d’espoir de récupérer leur bien.

En réponse à la question du retour éventuel dans l’État d’Arakan des réfugiés actuellement établis au Bangladesh, le gouvernement du Myanmar a répondu que le rapatriement au pays pourrait être autorisé pour les personnes possédant des papiers d’identité. Toutefois, comme (selon le gouvernement) les terres « brûlées » reviennent à l’État, ces personnes rapatriées ne pourront pas exercer leur droit à la restitution de leur logement et de leurs terres ; elles seront « réhabilitées » et forcées de résider dans de nouveaux camps ou des villages modèles[vii]. Bien entendu, l’idée de saisir les terres des personnes déplacées contre leur gré au motif qu’elles ont été abandonnées va à l’encontre des normes internationales, y compris du PIDESC, et de certaines dispositions de la constitution nationale de 2008 en matière de respect des procédures régulières, des droits de propriété et de non-discrimination. De surcroît, les informations selon lesquelles les rapatriés seraient placés dans des camps temporaires semblent suggérer que la situation des camps de PDI du centre de l’Arakan pourrait se reproduire. L’intention du gouvernement d’étudier le statut de citoyenneté des rapatriés à l’aide des mécanismes opaques de la loi de 1982 sur la citoyenneté est également préoccupante.

Conclusion

Le soleil s’est couché et les habitants du village sont sur le point de retourner dans leur maison de bois. Ils ont convenu d’écrire une lettre collective à l’administrateur municipal et d’en remettre également une copie à l’entreprise envisageant de s’accaparer les terres et à un journaliste. Cela suffira-t-il à stopper ce processus ? En pratique, des actions collectives et populaires sont en effet déjà parvenues à stopper, ou du moins à ralentir, certains accaparements de terres ces dernières années. Mais évidemment, ce n’est pas suffisant.

Le Myanmar a besoin d’un programme exhaustif de restitution LFP qui établisse des recours clairs et accessibles contre les accaparements de terres passés et présents mais aussi d’un cadre pour la paix entre les OEA, le gouvernement et l’armée. Ce programme doit s’appuyer sans ambiguïté sur les droits humains reconnus par le Myanmar lors de la signature de traités internationaux tels que le PIDESC et d’autres normes applicables. Ces normes doivent être traduites en lois et procédures, et être appliquées de manière efficace à tous les niveaux, en partant de l’État jusqu’au village. Les mesures prises par les autorités du Myanmar dans le cadre d’initiatives telles que le Conseil national d’affectation des terres sont particulièrement bienvenues. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que tout le monde tire profit de la restitution au Myanmar, même dans les zones les plus reculées du pays.

 

José Arraiza carraiza@hotmail.com
Spécialiste en information, conseil et assistance juridique, Conseil norvégien pour les réfugiés, Myanmar www.nrc.no

Scott Leckie scott@displacementsolutions.org
Directeur, Displacement Solutions http://displacementsolutions.org

Les points de vue exprimés dans cet article sont personnels et ne représentent pas la position officielle de ces deux organisations.

 

[i] Consultez le numéro de 2008 de la Revue des migrations forcées sur le thème « Birmanie : les personnes déplacées » www.fmreview.org/fr/birmanie   

[ii] Human Rights Watch (2016) « The Farmer Becomes the Criminal » Land Confiscation in Burma’s Karen State, p. 54–59.
www.hrw.org/report/2016/11/03/farmer-becomes-criminal/human-rights-and-land-confiscation-karen-state

[iv] Trocaire et  Oxfam (2017) Life on Hold: Experiences of women displaced by conflict in Kachin State, Myanmar, p. 43-44, 48.
www.trocaire.org/sites/default/files/resources/policy/life-on-hold-trocaire-oxfam-2017.pdf

[v] Conseil norvégien pour les réfugiés et Displacement Solutions (2017) Restitution in Myanmar http://displacementsolutions.org/category/myanmar-hlp-initiative/

[vi] Kyaw N N (2017) « Unpacking the Presumed Statelessness of Rohingyas », Journal of Immigrant & Refugee Studies, 15(3), p. 269–286.
www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15562948.2017.1330981

[vii] « Government will take over burned Myanmar land – Minister », Reuters, 27 septembre  2017 https://uk.reuters.com/article/uk-myanmar-rohingya/government-will-take-over-burned-myanmar-land-minister-idUKKCN1C20OS

 

 

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