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Protéger et secourir les migrants dans les situations de crise

La dimension migratoire de la crise libyenne est venue alimenter le débat grandissant sur les liens entre crises et migration. Une «crise migratoire» survient lorsqu’une catastrophe entraîne des mouvements de population à grande échelle qui sont complexes aussi bien en termes des personnes affectées que des itinéraires suivis pour rejoindre des lieux sûrs et rester en vie. Elle peut bouleverser fortement les systèmes humanitaires existants qui ont été conçus pour répondre aux besoins des réfugiés et des PDI car elle concerne une plus grande variété de personnes, issues de diverses catégories et présentant un large éventail de besoins et de vulnérabilités.

Le besoin d’interventions immédiates ou prévisibles en cas de crise n’est certainement pas nouveau dans le débat humanitaire. Néanmoins, si les populations en question sont des migrants (pour lesquels le refuge le plus sûr dans la plupart des cas est leur pays d’origine), réussir à mettre en place des interventions rapides, prévisibles, efficaces et adaptées exige que nous reconsidérions certains aspects de notre réponse aux besoins humanitaires, notamment en termes de rôles, de coordination et d’architecture institutionnelle.

C’est aux États qu’incombe avant tout la responsabilité de protéger et de secourir les personnes touchées par les crises résidant sur leur territoire, dans le respect du droit humanitaire international et des droits humains. Le cas échéant, les États doivent autoriser l’accès aux personnes touchées par les crises afin que d’autres États puissent leur fournir une assistance humanitaire, y compris les pays dont des ressortissants sont affectés et d’autres acteurs concernés. Aux cours des crises modernes, les États cherchant à fournir protection et assistance à leurs ressortissants ont souvent manqué de ressources et de capacités. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en raison de son mandat mais aussi de ses ressources opérationnelles, de son expérience et de son savoir-faire en matière de gestion des mouvements de population, s’est imposée au fil du temps comme la principale organisation de confiance pour aider les États à répondre à leurs obligations envers les populations de migrants touchées par une crise. Dans les situations où une crise se traduit par des schémas complexes de mobilité humaine, l’intégration des approches humanitaires et de gestion de la migration s’est avérée cruciale pour élaborer un système d’orientation efficace qui permette d’aider les migrants fuyant en masse et franchissant des frontières internationales, surtout lorsque ces migrants présentent diverses vulnérabilités et divers besoins de protection.

Au cœur de la crise

Au cours des six premières semaines de la crise humanitaire en Libye, plus de 7000 personnes en moyenne arrivaient chaque jour aux frontières de la Tunisie, de l’Égypte, du Tchad, du Niger et de l’Algérie, mais aussi, par la mer, de Malte et de l’Italie. Parmi les personnes ayant fui vers les pays frontaliers de la Libye ou ailleurs se trouvaient des travailleurs migrants et leur famille, des réfugiés, des demandeurs d’asile, des enfants non accompagnés, des victimes du trafic illicite des personnes et d’autres individus présentant des vulnérabilités particulières. Un certain nombre de migrants étaient également restés piégés au sein des zones de conflit ; l’OIM a aidé 35 000 d’entre eux à s’échapper d’un environnement dangereux.

46 gouvernements ont fait appel à l’OIM pour protéger et secourir leur population de ressortissants migrants. Toutefois, au début de l’intervention, il a fallu organiser de nombreuses discussions et activités de plaidoyer au sein de la communauté internationale afin de donner une nouvelle orientation à la stratégie humanitaire initiale. Au bout d’un certains temps, les camps ont fini par servir uniquement d’installations de transit pour faciliter l’évacuation des populations, et non pas de lieux où sont dispensées protection et assistance comme dans les crises de déplacement prolongées.

L’évacuation de migrants aux origines diverses est un exercice difficile qui demande d’inventer de nouveaux types de coordination entre les gouvernements, les acteurs humanitaires internationaux, les autorités de gestion de la migration, les responsables consulaires, les acteurs militaires et les compagnies de transport. L’intervention lors de la crise libyenne illustre le niveau remarquable de coopération internationale et de motivation dans les pays d’origine comme de transit, et parmi les acteurs fournissant une assistance externe.

De plus, le besoin de services de gestion de la migration est apparu comme un aspect crucial, mais souvent ignoré, de ce type d’intervention en cas de crise. Ces services permettent par exemple de gérer le mouvement des populations franchissant les frontières, d’assurer l’existence d’un mécanisme de réorientation efficace pour les personnes présentant des vulnérabilités particulières ou des besoins de protection particuliers, et de délivrer des documents de voyage et des laissez-passer aux migrants sans papiers.

Alors que 3 % seulement des migrants établis en Libye ont fui la crise en prenant le chemin de l’Europe, souvent sur des embarcations en mauvais état, il est largement admis que, s’il ne leur avait pas été offert une assistance immédiate pour rentrer dans leur pays, un bien plus grand nombre de migrants auraient été exposés au risque du trafic illicite des personnes et menacés par les réseaux de contrebande leur promettant de les faire sortir de la zone de conflit pour les mener vers l’Europe ou ailleurs.

Perspectives futures

Il semble clair qu’une «crise migratoire» telle que celle qui s’est déroulée en Libye risque de produire des schémas de migration forcée dont les caractéristiques ne sont pas les mêmes que celles des déplacements auxquels sont préparés les acteurs humanitaires. La prise en compte des vulnérabilités des migrants soulève naturellement des questions sur le degré général de préparation des États lorsqu’ils doivent fournir protection et assistance à tous leurs ressortissants établis à l’étranger en cas de crise. Suite à la crise libyenne, plusieurs pays asiatiques ont reconnu qu’il était nécessaire de mieux gérer les évacuations humanitaires au niveau national et régional et, ce qui est tout aussi important, de favoriser la réintégration des ressortissants qui reviennent au pays et se retrouvent au chômage, parfois endettés après avoir financé un long trajet migratoire.

La crise libyenne a mis en lumière à quel point il est important de mieux comprendre les schémas migratoires mondiaux afin d’élaborer des interventions plus efficaces et plus humaines, puisque les difficultés et les besoins particuliers des migrants viennent fortement compliquer les interventions en cas de crise. Elle révèle également les importants défis que rencontrent les systèmes de gestion de la migration intégrés à une intervention humanitaire. Parmi les différents outils de gestion qui permettent de garantir une intervention humaine et efficace pour les populations en mouvement, on peut citer les services consulaires d’urgence, les systèmes d’orientation pour les personnes aux besoins de protection particuliers et la protection temporaire des migrants franchissent une frontière internationale. L’OIM continuera d’encourager et d’appuyer les efforts pour que la dimension migratoire des crises soit prise en compte et étudiée au sein de la communauté internationale.

 

Mohammed Abdiker mabdiker@iom.int est le directeur des opérations et des interventions d’urgence et Angela Sherwood asherwood@iom.int est chargée de recherche en politique pour l’Organisation internationale pour les migrations www.iom.int

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