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Risques encourus par les demandeurs d’asile déboutés après leur expulsion

Les personnes dont la demande d’asile a été déboutée se retrouvent dans une situation vulnérable quand elles sont ensuite expulsées vers leur pays d’origine. Dans certains endroits, le simple fait de demander l’asile dans un autre pays est considéré comme un acte de trahison et expose le demandeur à de graves risques. Quant aux anciens mineurs non accompagnés, ils sont vulnérables car ils connaissent peu le pays dans lequel ils sont rapatriés. De plus, la confidentialité des demandes d’asile risque d’être bafouée par les mécanismes de coopération entre les services d’immigration, de police et de renseignement du pays expulsant la personne et du pays d’origine en vue de produire des documents de voyage d’urgence[1].

 

Le principe de non-refoulement interdit de renvoyer des demandeurs d’asile ou des personnes expulsables dans un pays où leur vie et leur liberté sont considérées comme menacées. Pourtant, plusieurs pays de l’UE continuent de renvoyer les personnes dont les demandes ont été déboutées dans des pays où des anciens demandeurs d’asile ont déjà été persécutés. Un groupe d’étudiants de Sciences Po a développé une méthodologie permettant d’examiner les données existantes sur les risques auxquels font face les demandeurs d’asile déboutés suite à leur expulsion ; ils ont découvert des preuves d’extorsion, de persécution et d’emprisonnement en République démocratique du Congo (RDC), au Sri Lanka et en Érythrée, entre autres pays[2].

 

Le retour en RDC, au Sri Lanka et en Érythrée

 

Au cours des sept années précédant 2015[3], la France a expulsé 590 citoyens congolais dont la demande d’asile avait été déboutée. Cependant, il arrive que les autorités congolaises traitent les demandes d’asile dans un autre pays comme des actes de trahison, tandis que presque tous les demandeurs d’asile rapatriés que l’organisation Justice First a suivi en 2011 avaient été emprisonnés, torturés, forcés de payer une rançon, violés ou victimes de harcèlement sexuel.

 

Une étude par le Home Office (ministère de l’Intérieur) du Royaume-Uni a révélé que les personnes rapatriées en RDC étaient immédiatement convoquées au Bureau congolais de la migration dès leur arrivée à l’aéroport et parfois interrogés par l’Agence nationale du renseignement à Kinshasa. Ces personnes font face à de nombreux risques, de l’extorsion impliquant des sommes comprises entre 6000 $ et 25 000 $ à l’emprisonnement sans accès à un avocat ou encore à la détention dans des conditions déplorables. Certaines personnes ont été forcées de signer un document affirmant qu’elles avaient quitté l’aéroport sans aucune difficulté mais qu’elles avaient été arrêtées chez elles quelques heures plus tard ; les rares fois où la mission MONUSCO de l’ONU a tenté d’intervenir, les autorités congolaises ont nié l’existence d’une quelconque possibilité que des personnes aient été détenues[4].

 

Le Sri Lanka occupe le cinquième rang des demandes d’asile déboutées en France. En dépit des rapports publiés en 2012 par des organisations telles que Human Rights Watch, Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT) et Freedom from Torture qui font part de témoignages d’extorsion, d’emprisonnement arbitraire et de torture[5], la France a renvoyé 750 personnes au Sri Lanka au cours des sept dernières années. Ces rapports décrivent comment ces personnes sont souvent arrêtées, soit à l’aéroport soit à leur domicile quelques jours après leur retour, et maintenues en détention pendant une semaine à six mois. ACAT a révélé que les Tamouls sri-lankais expulsés étaient torturés à leur retour dans l’objectif de les forcer à avouer des liens supposés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ; l’organisation Tamils Against Genocide confirme quant à elle que le simple fait d’avoir passé du temps dans un pays occidental constitue un risque vis-à-vis des autorités locales.

 

Bien que la situation des Érythréens ait changé en 2016, dans la mesure où le taux d’acceptation des demandes d’asile en France a augmenté et qu’ils ont été inclus dans les programmes de réinstallation au niveau européen, la France a tout de même débouté 2 250 demandes d’asile et expulsé 350 Érythréens au cours des sept dernières années. Les études conduites par le HCR et Human Rights Watch en 2009 et 2014 ont révélé que le simple fait d’avoir quitté l’Érythrée expose les migrants concernés et leur famille à des enquêtes, des représailles et des mauvais traitements. Les autorités érythréennes soupçonnent les personnes ayant demandé l’asile ailleurs d’avoir cité la persécution en Érythrée comme motif justifiant leur demande d’asile, ou bien d’avoir encouragé les groupes d’opposition depuis l’étranger. Parallèlement, en 2011, des sources britanniques ont soutenu que les personnes qui avaient demandé l’asile étaient également suspectées par les autorités d’avoir quitté l’Érythrée de manière illégale, ce qui leur donne une raison supplémentaire de réaliser des enquêtes et de soumettre ces personnes à des représailles et des persécutions. À leur arrivée, les Érythréens rapatriés sont souvent détenus dans de mauvaises conditions, dans des cellules surpeuplées. Amnesty et le HCR ont signalé des arrestations arbitraires, des emprisonnements non justifiés et des cas de mauvais traitements, de torture et de décès. Les cas de détention sont nombreux ; des personnes expulsées de Malte en 2002 et de Libye en 2004 ont par exemple été arrêtées à leur arrivée puis torturées, certaines d’entre elles ayant très probablement été tuées. Selon la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, les demandeurs d’asile dont la demande est déboutée « disparaissent généralement à leur retour [6] ». La connaissance de ces violations des droits humains ne semble pas empêcher l’Union européenne de coopérer avec le régime dans le cadre des conditions du Processus de Khartoum, qui vise à faciliter les rapatriements.

 

Dans d’autres pays également, le retour s’avère problématique pour les migrants dont la demande d’asile a été déboutée. L’organisation non-gouvernementale française Anafé a répertorié des cas de détention arbitraire en Guinée Conakry et au Tchad ; une organisation irlandaise et plusieurs journaux britanniques ont confirmé que des Soudanais expulsés avaient été assassinés à leur retour à Khartoum ; et d’autres organisations ont fait part de risques semblables en Iran.

 

Le besoin de suivi

 

Dans certains pays, il existe de grands risques que les droits humains des demandeurs d’asile déboutés soient violés à leur retour. La décision de les expulser peut donc s’apparenter à un refoulement. Néanmoins, les États et les organisations internationales ne collectent pas systématiquement d’informations sur la situation des droits humains des demandeurs d’asile déboutés et rapatriés de force. Le suivi post-expulsion peut contribuer à améliorer les politiques relatives aux réfugiés de trois manières au moins : premièrement, en permettant d’apporter un soutien aux demandeurs d’asile expulsés ; deuxièmement, en aidant à identifier et documenter les craintes des demandeurs d’asile expulsés de force, lorsque celles-ci sont fondées ; et troisièmement, en fournissant des informations précieuses pour les rapports d’information sur le pays d’origine.

 

Pour être efficace, une politique migratoire doit se baser sur des données probantes. À l’heure actuelle, les décideurs ne savent pas ce qui arrive aux expulsés après leur rapatriement dans leur pays d’origine. Même lorsque les risques post-expulsion ne sont pas élevés au point de s’apparenter à un refoulement, les États procédant à l’expulsion ont la responsabilité politique d’éviter d’exposer les personnes à l’extorsion, à la confiscation de leurs biens, à des interrogatoires, à l’intimidation et à la détention arbitraire.

 

Jill Alpes m.j.alpes@gmail.com
Chercheuse post-doctorante, Vrije Universiteit Amsterdam www.vu.nl ; Chercheuse invitée, CERI Sciences Po Paris

Charlotte Blondel charlotte.blondel@sciencespo.fr

Nausicaa Preiss nausicaa.preiss@sciencespo.fr

Meritxell Sayos Monras meritxell.sayosmonras@sciencespo.fr

Sciences Po Paris www.sciencespo.fr



[1] Voir également Alpes M J et Sørensen N N (2016) Post-deportation risks: People face insecurity and threats after forced returns, Danish Institute for International Studies Policy Brief  www.diis.dk/en/research/deportation-puts-migrants-and-rejected-asylum-seekers-risk

[2] Nous tenons à remercier Marie Conciatori, Suzanne Seiller et Janine Uhlmannsiek pour leur participation au projet de recherche « Airport casualties: migration control and human rights in countries of origin » (d’octobre 2014 à mai 2015). Pour consulter les données (2015, visitez la rubrique « Resources » dans « Post-deportation risks: Criminalized departure and risks for returnees in countries of origin) » sur www.refugeelegalaidinformation.org/post-deportation-monitoring-network

[3] EUROSTAT (2015) Third country nationals returned following an order to leave – annual data (rounded) et First instance decisions on applications by citizenship, age and sex: Annual aggregated data (rounded). http://ec.europa.eu/eurostat/web/products-datasets/

[4] Royaume-Uni : Ministère de l’Intérieur (Home Office) (2012) Democratic Republic of the Congo: Report of a Fact Finding Mission to Kinshasa Conducted between 18 June 28 June 2012, p33 www.refworld.org/docid/538871264.html

[5] Freedom from Torture (2012) Sri Lankan Tamils tortured on return from the UK www.refworld.org/docid/505321402.html; Human Rights Watch (2012) UK: Halt Deportations of Tamils to Sri Lanka www.refworld.org/docid/50ebe8352.html

[6] (28 mai 2013) Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, Sheila B. Keetharuth (A/HRC/23/53) www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session23/A.HRC.23.53_ENG.pdf

 

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