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Moyens d’existence des réfugiés : nouveaux acteurs, nouveaux modèles

Outre l’abri, l’eau, la nourriture et l’éducation, les réfugiés (comme tout le monde) ont besoin d’un emploi productif. Générer un revenu de manière à couvrir ses besoins essentiels et ceux de sa famille est fondamental pour la dignité humaine, et il s’agit d’un droit humain selon la Déclaration universelle des droits de l’homme. Bien plus, il apparait de plus en plus clairement que les réfugiés peuvent contribuer au développement économique dans les pays hôtes si on leur donne la chance de participer. Le capital humain que représentent les réfugiés (compétences et expérience) peut apporter des produits et des services nouveaux sur le marché local, alors que le capital financier comme les virements et l’aide internationale peuvent contribuer à stimuler l’économie. Toutefois, dans une majorité de pays, les réfugiés n’ont toujours pas le droit de travailler.

Du point de vue des pays hôtes, les gouvernements devraient reconnaître tout d’abord, qu’un cadre juridique qui permet l’inclusion économique des réfugiés peut être porteur d’avantages pour les pays hôtes, et ensuite, qu’il est préférable que les droits au travail soient accordés dès que possible de manière à ne pas empêcher ou retarder la contribution potentielle des réfugiés à l’économie. Une législation du travail restrictive encourage des activités économiques informelles et prive les pays hôtes d’une population économiquement active qui dans d’autres circonstances pourrait payer des impôts et consommer, produire et vendre des biens et des services. Il n’est ni souhaitable, ni logique, de suspendre les droits au travail jusqu’à l’intégration juridique des réfugiés (à travers la naturalisation, par exemple) qui peut prendre énormément de temps. Les réfugiés continueront à travailler mais ils seront exclus des possibilités d’emploi officiel et décent. De bonnes pratiques (en Norvège, en Suède, au Danemark et en Allemagne, entre autres) montrent qu’un soutien à une insertion précoce dans le marché du travail – par exemple, grâce à la certification des compétences, à l’apprentissage et à des programmes permettant de faire correspondre un emploi à des compétences professionnelles – permet aux réfugiés de devenir des membres actifs au sein des communautés d’accueil. Bien entendu, c’est quelque chose qu’il est bien plus facile d’accomplir dans des pays où les économies locales sont capables d’absorber un afflux de main-d’œuvre et où les ressources et les infrastructures existent déjà pour orienter efficacement les réfugiés vers les opportunités qui conviennent.

Toutefois, 84 % des réfugiés dans le monde sont accueillis par des pays en développement, dont la plupart ont des taux de pauvreté et de chômage élevés. Dans de tels contextes, le développement de politiques et la conception de programmes destinés à promouvoir les moyens de subsistance des réfugiés doivent prendre en compte les préoccupations des pays hôtes. C’est dans ce type de cas que les acteurs du développement peuvent apporter leur aide. Le Mécanisme de financement concessionnel de la Banque Mondiale en est l’un des exemples déterminants ; il alloue des prêts concessionnels à des pays à revenu intermédiaire qui accueillent des réfugiés de manière à élargir les possibilités d’emploi et améliorer les infrastructures locales, au bénéfice des populations hôtes et réfugiées. Parallèlement, les « Principes directeurs sur l’accès au marché du travail des réfugiés et autres personnes déplacées de force[1] » de l’Organisation internationale du Travail (OIT) attestent de la nécessité de créer de véritables cadres de gouvernance, ainsi que de l’importance du secteur privé pour générer des emplois productifs décents.

L’inclusion économique est bien entendu impossible sans l’engagement des employeurs, des investisseurs, des prestataires de services et des autres acteurs du secteur privé. Néanmoins, l’identification d’opportunités susceptibles de générer un véritable impact sur les réfugiés et les communautés hôtes peut s’avérer un processus long et fastidieux, particulièrement lorsque les discussions entre les secteurs humanitaires et privés sont uniquement menées au niveau mondial, très loin de la réalité locale.

Améliorer les manières de travailler

La communauté humanitaire est de plus en plus consciente qu’elle doit changer ses modes habituels de travail. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, a récemment opéré de nombreux changements stratégiques dans différents domaines : allocations en espèces et identification biométrique, développement de stratégies pluriannuelles et multipartenaires, et développement de stratégies relatives aux moyens de subsistance. Traditionnellement, de nombreuses interventions sur les moyens de subsistance se concentraient sur le développement de compétences et l’octroi de subventions, et étaient mises en œuvre sans véritable analyse des besoins et des capacités des réfugiés. Ces interventions n’avaient pas le potentiel nécessaire pour générer un impact véritable et durable sur les réfugiés, et encore moins sur les communautés d’accueil. Le HCR, ainsi que plusieurs de ses partenaires et d’autres organisations humanitaires, évoluent et optent pour le développement de stratégies plus ciblées, prenant en compte les réalités du marché et axées sur les résultats.  

L’enjeu clé de ce repositionnement stratégique est de placer la compréhension des mécanismes du marché au cœur de l’élaboration de programmes d’appui aux moyens de subsistance. Pour ce faire, le HCR a émis des Critères minimaux régissant les programmes d’appui aux moyens de subsistance (Minimum Criteria for Livelihoods Programming)[2], ainsi que des orientations (en partenariat avec l’Organisation internationale du Travail, OIT) qui soulignent la nécessité d’identifier et de prioriser certains secteurs spécifiques, puis de déterminer par l’analyse si les « chaînes de valeurs » de chacun de ces secteurs[3] offrent des opportunités pour l’inclusion des réfugiés selon des critères comprenant le potentiel de croissance, l’adéquation avec les capacités des réfugiés et la faisabilité de l’intervention. La sélection du secteur prend en compte les tendances économiques, mais aussi le contexte politique, légal et socioculturel, y compris les règles, les règlementations et les normes, les fonctions de soutien disponibles, ainsi que le profil de la communauté de réfugiés et des communautés hôtes. Cette analyse permettra aux intervenants d’identifier des opportunités et des moyens d’intervention susceptibles d’augmenter la participation des réfugiés, sans exacerber les tensions entre les réfugiés et la communauté hôte. Des exemples de tels secteurs comprennent la restauration en Egypte, la culture du maïs, du manioc et de l’arachide en Zambie, et l’alimentation et les boissons au Costa Rica. Une analyse co-réalisée par l’OIT et le HCR en Egypte a indiqué que des formations à l’entreprenariat ainsi que l’allocation de subventions de démarrage pouvaient aider des réfugiés syriens à tirer avantage de la popularité de la cuisine syrienne, des programmes ont donc été pensés en conséquence.

Au niveau mondial, le HCR ainsi que d’autres organisations cherchent à établir des liens entre les artisans issus de populations réfugiés et les marchés mondiaux grâce à l’initiative MADE51 (Market Access, Design and Empowerment – accès aux marché, conception et autonomisation)[4], qui se fixe comme objectifs de renforcer la capacité technique d’entreprises locales, éthiques et sociales et leur permettre de gérer des collections uniques créées par des réfugiés, tout en leur apportant le soutien nécessaire pour qu’elles puissent développer leur image de marque et déployer une stratégie de marketing à l’international.

L’objectif global de cette manière de travailler est d’utiliser les mécanismes du marché déjà existants de manière à promouvoir l’intégration économique durable des réfugiés. Ce faisant, il est capital que le HCR et les autres agences humanitaires évitent de devenir des acteurs du marché. Par le passé, cet aspect s’est avéré problématique. Il existe de nombreux exemples de formations aux activités génératrices de revenus mises en œuvre par des agences humanitaires qui ont conduit les réfugiés à produire des biens qui ont ensuite été vendus directement aux agences ; dès que les fonds des agences humanitaires étaient épuisés, l’activité cessait sans réelle participation économique des réfugiés ni bénéfice sur le long terme pour la communauté hôte. Les agences humanitaires doivent jouer le rôle de facilitateur en veillant à ce que les réfugiés et les membres vulnérables des communautés hôtes aient accès aux opportunités offertes par le marché, tout en faisant attention à ne pas s’engager directement dans la production, ou à devenir eux-mêmes distributeurs ou consommateurs. Les agences peuvent, cependant, ajouter de la plus-value en développant des modèles qui prouvent que les réfugiés ont le potentiel de contribuer positivement à l’économie locale ; ces modèles doivent à terme être placés sous la direction de partenaires de développement, d’acteurs du secteur privé et/ou des gouvernements.

L’approche de progression

L’approche de progression est un exemple de ce type essayé par le HCR et ses partenaires en phase pilote dans différents contextes depuis 2013, y compris au Burkina Faso, au Costa Rica, en Équateur et en Égypte. L’approche de progression est une initiative qui vise à sortir les foyers de la pauvreté en leur offrant – sur une durée donnée – une assistance humanitaire à court terme, des formations aux activités génératrices de revenus, du soutien à l’emploi ou à l’emploi en tant qu’indépendant ou auto-entrepreneur, et une composante importante d’encadrement et de mentorat. Les mentors identifient les besoins de protection et autres besoins d’un foyer, et mettent les participants en relation avec les services nationaux et locaux existants. Une évaluation intermédiaire du programme pilote à Santo Domingo en Équateur, a montré que l’approche est prometteuse. Moins d’une année après le lancement de l’initiative (et durant une année où l’Équateur a connu une crise financière et une catastrophe naturelle), 57 % des foyers disposaient d’une source régulière de revenus (comparativement, ce taux était de 49 % avant le début de l’initiative) ; la moyenne des revenus mensuels par foyer est passée de 269 US$ à 282 US$ ; 34,6 % des foyers ont perçu un revenu au-dessus du seuil de pauvreté national (contre 28,3% auparavant) ; et 78 % des foyers étaient en mesure de manger trois repas par jour (contre 60,4 % auparavant).

Les gouvernements et les acteurs du développement recourent de plus en plus fréquemment à l’approche de progression comme outil de protection sociale dans une variété de contextes qui ne comportent pas de populations réfugiées, et ces acteurs commencent désormais à prendre contact avec le HCR et d’autres agences humanitaires dans le but d’intégrer les populations déplacées dans leurs programmes. USAID (l’Agence des Etats-Unis pour le développement international) va investir 37 millions de dollars dans un projet pilote de progression en Ouganda qui ciblera à la fois les communautés hôtes et les réfugiés ; en Équateur, le ministère de l’Inclusion sociale et économique s’est dit intéressé par une collaboration basée sur la mise en place d’une approche de progression dans l’objectif d’étendre son propre programme de protection sociale ; en Afghanistan et au Pakistan des rapatriés et des personnes déplacées internes (PDI) sont intégrées à des programmes basés sur l’approche de progression menés par des institutions qui pratiquent la microfinance.

Inclusion financière

L’accès aux services financiers est un autre secteur qui a nécessité des innovations majeures, car les approches traditionnellement envisagées par les agences humanitaires en termes d’initiatives de microfinancement se sont révélées, dans de nombreux cas, non-viables. Plutôt que de gérer directement les fonds renouvelables, le HCR et ses associés commencent à adopter une posture de facilitateurs qui consiste à s’assurer que les réfugiés ont accès aux services financiers. Le HCR travaille avec l’Agence suédoise de coopération internationale au développement dans le but d’établir un dispositif de garantie des crédits pour les agences qui proposent des services financiers, et notamment des crédits aux réfugiés et aux populations hôtes. Le projet de garantie va aider à financer trois ou quatre prestataires de services financiers qui sont à la fois viables d’un point de vue financier, et socialement orientés avec comme objectif d’encourager les prêts accordés aux réfugiés tout en démontrant la viabilité des initiatives de microfinancement destinées à ce secteur de la population. L’UN Capital Development Fund (UNCDF) s’est également engagé à soutenir l’accès des réfugiés aux services financiers dans plusieurs pays d’Afrique, en fournissant une assistance financière et technique aux prestataires qui rendent leurs services accessibles aux réfugiés. 

Et après ?

Un plus grand nombre de modèles doivent être mis à l’épreuve et davantage de fonds réservés au développement doivent être investis ; certains modèles fonctionneront mieux que d’autres, et certaines stratégies d’intervention qui fonctionnent pour certaines populations ne fonctionneront pas nécessairement pour d’autres. Des échecs sont à prévoir alors que la communauté internationale apprend à répondre aux besoins de cette population vulnérable tout en cherchant également à obtenir des résultats positifs pour les communautés hôtes. Une vigilance continue – et, donc un investissement dans les processus d’évaluation – sera nécessaire en vue de tirer des enseignements et faire en sorte de rendre possible la réplication des meilleures pratiques.

 

Ziad Ayoubi ayoubi@unhcr.org
Responsable Moyens de subsistance
, HCR Genève

Regina María Saavedra saavedra@unhcr.org
Responsable adjointe Solutions durables, HCR Mexique

www.unhcr.org


[3] OIT/HCR (2017) Guide des Interventions d’Appui aux Moyens de Subsistance Axées sur le Marché en faveur des Réfugiés : http://www.ilo.org/empent/areas/value-chain-development-vcd/WCMS_613848/lang–fr/index.htm

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