Il existe deux catégories principales d’identité en matière de genre : l’une ‘normative’, qui correspond aux cas dans lesquels le sexe biologique et le genre tel que ressenti sont en accord, et l’autre ‘transgenre’, qui correspond aux cas dans lesquels le genre ressenti est différent du sexe biologique de la personne. Bien que les questions relatives aux personnes transgenres soient souvent amalgamées aux questions touchant aux lesbiennes, aux gays et aux bisexuels (LGB), il existe des différences importantes, qui n’ont souvent rien en commun, entre la sexualité, qui concerne le désir, et le genre, qui concerne l’identité propre de la personne. Comme l’homophobie, la transphobie est courante dans de nombreux endroits du globe, même dans des pays où il est tout à fait légal d’être transgenre.
L’identité transgenre exclut souvent les personnes qui s’en réclament des différents types de protection qu’offre la citoyenneté dans leur pays d’origine, et elles sont menacées d’être stérilisées de force ou castrées et risquent des viols ‘de correction’, des violences domestiques, d’être obligées de se prostituer, des violences institutionnelles et même parfois d’être exécutées. En Europe, de nombreux pays imposent la stérilisation avant qu’une personne ne soit légalement autorisée à changer de genre.
C’est dans l’ignorance des autorités, qui ne sont pas sensibilisées à la différence entre genre et sexe biologique, que réside le défi principal. La ‘transition’ est le processus extérieur qui consiste à assumer publiquement son genre ressenti à travers sa manière de se vêtir, son comportement, le recours à des hormones ou à la chirurgie. En Indonésie, le gouvernement national ne reconnait une personne transgenre qu’une fois que cette personne a subi une chirurgie de réaffectation du genre, mais les personnes qui sont à des stades précoces de transition, ou celles qui ne souhaitent pas être opérées, sont laissées en dehors de toute protection. De nombreuses personnes transgenres vivent dans la crainte constante d’être découvertes. Dans un cas, un couple indonésien dans lequel le mari était en cours de transition a été dénoncé comme couple lesbien par les voisins, et la police religieuse locale les a menacés de décapitation.
Même après leur arrivée dans un pays d’accueil, les demandeurs d’asile transgenres continuent de faire face à des risques. Des recherches ont montré que les personnes transgenres sont « particulièrement susceptibles de subir des violences physiques, sexuelles et émotionnelles dans le cadre des centres de détention pour demandeurs d’asile et dans les hébergements communautaires partagés destinés à des personnes du même sexe » et qu’en conséquence, ces personnes «courent un risque particulièrement élevé d’automutilation ou de suicide » pendant la période de la procédure d’asile.[1]
Le manuel de formation du Service du contrôle aux frontières du RU intitulé ‘Gender Identity Issues in the Asylum Claim’[2] (Questions d’identité liées au genre dans le cadre de la demande d’asile – auquel nous nous référerons ci-après en parlant du manuel GII) est principalement utilisé pour éduquer les fonctionnaires du Service du contrôle aux frontières du RU et les familiariser avec les questions liées à la transsexualité et l’évaluation des témoignages. Le document décrit différents types de persécution que les personnes transgenres sont susceptibles de subir dans leur pays d’origine, évoque les possibilités de réinstallation interne (déplacer le demandeur d’asile vers une autre partie de son pays plutôt que de lui donner l’asile au RU), et traite des instruments internationaux pertinents tels que la Convention sur les réfugiés de 1951, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Loi sur l’égalité de 2010. Les questions liées aux LGB et particulièrement celles relatives aux personnes transgenres sont complexes, mais malgré cela les fonctionnaires chargés de la gestion des dossiers n’ont droit qu’à une seule journée de formation sur les questions touchant aux LGB avant qu’ils n’aient à prononcer des jugements, qui dans de nombreux cas, peuvent s’avérer des jugements de vie ou de mort. Les orientations contenues dans le manuel GII sont vagues, sujettes à des interprétations erronées et souvent fondées sur des présupposés normatifs.
Prouver son identité de genre
Les demandeurs d’asile sont supposés être capables de s’identifier en tant que transgenres dès leur premier entretien, malgré le fait qu’ils ne soient peut-être pas familiers avec la terminologie transgenre utilisée au RU, et qu’ils ne sachent donc peut-être pas comment se décrire eux-mêmes face au Service du contrôle aux frontières du RU. On considère également comme « raisonnable de demander à la personne concernée de pouvoir faire un compte-rendu circonstancié de tous les incidents de persécution qu’elle aurait subi », et cela même s’il peut être immensément difficile pour les individus concernés d’avoir à relater des expériences traumatiques. Le manuel GII conseille également qu’il est raisonnable de demander à la personne « si elle a tenté de redresser la situation, et/ou d’explorer pourquoi elle n’a pas demandé protection », prétendument dans le but d’aider le fonctionnaire à construire un historique des expériences vécues par le demandeur. Toutefois, les études ont montré que dans la pratique, ce type d’exigences peut constituer un obstacle au succès des demandes, dans la mesure où les fonctionnaires peuvent décider qu’une personne qui n’a pas cherché protection ne se sentait pas suffisamment menacée. Même si cela peut sembler raisonnable dans le contexte du RU, il est possible que cela le soit beaucoup moins dans des zones où il se peut que des policiers et d’autres représentants officiels, et mêmes des membres de la famille, participent au viol, à la torture ou à l’assassinat des personnes transgenres.
Dans le cadre des demandes émanant de personnes transgenres, les fonctionnaires chargés des entretiens reçoivent pour directive « d’explorer ce que le demandeur perçoit être son identité de genre actuelle et d’établir la gamme de comportements et les activités qui dans son existence informent ou affectent l’identité de genre de l’individu, ou la manière dont cet individu est perçu ». La formule « identité de genre actuelle » ne tient aucun compte des éléments qui démontrent que de nombreuses personnes transgenres, sinon la plupart, ont ressenti une variance de leur genre ou de leur sexe depuis leur enfance. La référence à une « gamme de comportements » est troublante en ce qu’elle est évocatrice de normes considérées comme essentielles (les femmes font ceci, les hommes font cela), et dans son implication qui voudrait que pour être légitimement transgenre, une personne doit se comporter d’une certaine manière. Bien plus, en se concentrant sur la manière dont les personnes sont perçues par les autres, les orientations du manuel GII démentent les expériences vécues par de nombreuses personnes transgenres qui affirment qu’elles se sont toujours ressenties comme transgenre, indépendamment de la manière dont elles étaient perçues de l’extérieur. Ce qui pose question, est la notion selon laquelle pour être transgenre il faudrait déjà être en transition, ce qui n’est pas le cas. Tout cela va à l’encontre des expériences que vivent de nombreuses personnes transgenres, ainsi que d’une part substantielle de la théorie transgenre qui établit l’identité de genre comme interne et déconnectée de la morphologie corporelle. En d’autres termes, ‘effectuer une transition’ entre un genre et un autre, a beaucoup moins à voir avec ‘changer’ de genre qu’avec le fait de faire correspondre l’extérieur avec l’intérieur.
Le manuel GII pousse également ceux qui doivent prendre des décisions à rechercher des preuves d’une transition comme par exemple « certains ou tous les ajustements personnels, légaux ou médicaux suivants : en parler à la famille, aux amis et aux collègues ; changer son nom et/ou son sexe sur les documents officiels, s’habiller, se comporter et/ou vivre comme une personne de sexe différent ; suivre une thérapie hormonale ; et possiblement subir une chirurgie ». En se référant à des pratiques qui sont courantes au RU, le manuel GII ignore entièrement le fait que les aspects d’une ‘transition’ extérieure ne sont bien souvent pas possibles socialement, médicalement et/ou légalement dans le pays d’origine du demandeur d’asile, et que de ce fait ils ne peuvent pas être considérés comme un indicateur du genre ressenti.
Prouver le bien-fondé des craintes
Lors de l’évaluation des motifs de demande, le rôle principal du décideur consiste à « estimer objectivement s’il existe des motifs raisonnables permettant de croire que le demandeur …ferait l’objet de persécutions » s’il était rapatrié. Savoir si le pays d’origine d’un demandeur « prend des mesures raisonnables pour éviter les persécutions et les souffrances » infligées aux personnes transgenres est l’axe central des lignes directrices de l’Agence du contrôle aux frontières du RU. Les lignes directrices reconnaissent que, même s’il peut sembler qu’un État qui ne criminalise pas l’homosexualité ou l’identité transgenre offre un degré ‘raisonnable’ de protection, cela n’est souvent pas le cas dans la réalité ; toutefois, il n’existe pas de règles spécifiques sur ce qui constitue « des motifs raisonnables » ou des « mesures raisonnables ». Les fonctionnaires chargés des dossiers ont pour consigne « d’estimer objectivement s’il existe des motifs raisonnables pour penser qu’il y aurait un risque réel de subir des atteintes graves » sans aucune indication claire du niveau de preuve requis.
Le manuel GII oriente les décideurs vers les Informations sur les pays d’origine (COI[3]) pour déterminer les motifs d’asile invoqués. Néanmoins, l’information disponible dans les COI n’est actualisée que périodiquement et il n’y a que peu ou pas d’information concernant les lesbiennes et les personnes transgenres dans la plupart des rapports COI. L’un des risques les plus importants pour les demandeurs d’asile transgenres réside dans le fait que le manque d’information sur les discriminations spécifiques envers les personnes transgenres est souvent considéré comme une absence de menaces. Un fonctionnaire de haut niveau a fait la remarque suivante : « Je n’arrive pas à envisager pourquoi il y aurait des circonstances dans lesquelles les persécutions envers les homosexuels ne feraient pas l’objet de dénonciations … Vous êtes en droit de vous demander, en l’absence de preuves, si ces persécutions ont véritablement lieu ».[4] Dans le cas de certains pays les données du COI sont trompeuses. Par exemple, certains États, comme l’Iran, permettent la chirurgie de réaffectation du genre comme moyen pour éviter l’homosexualité, plutôt que pour soutenir les identités transgenres, alors que les demandes d’asile de personnes LGBT provenant de pays considérés comme généralement sans danger, comme la Jamaïque, sont souvent sommairement rejetées.
Le COI est également utilisé pour établir s’il serait sans danger de réinstaller un demandeur d’asile transgenre dans une autre région à l’intérieur de son propre pays. La réinstallation est fondée sur l’idée qu’un groupe spécifique, local, est responsable des persécutions, mais dans le cas des personnes transgenres les agents de persécution sont typiquement la police et la société en général, et donc une réinstallation ailleurs n’est pas susceptible de constituer une amélioration substantielle des conditions de vie des personnes transgenres. De plus, il n’existe pas de mesure objective de ce qui constitue ‘la sécurité’.
Alors que le manuel GII cherche dans une certaine mesure à saisir la nature complexe et variée des questions liées à l’identité de genre, ces efforts sont annulés par la notion contradictoire selon laquelle le statut transgenre est quelque chose qu’il est possible de vérifier et de démontrer. Cette interprétation erronée est la cause d’une grande partie des difficultés auxquelles l’agence du contrôle aux frontières du RU soumet les demandeurs transgenres – et qui vont d’une attente à ce que soient fournies des preuves immédiates et cohérentes de persécution, à une trop grande confiance accordée à des COI incomplètes, en passant par l’obligation d’avoir à démontrer un élément interne d’identité. Et en contrepartie, cela a permis au gouvernement du RU (et à de nombreux autres) de détenir et d’accélérer les procédures concernant des demandeurs d’asile LGBT afin de renvoyer des personnes qui ont des craintes légitimes concernant leur sécurité sur le lieu de leurs persécutions.
Jhana Bach jhana_b@hotmail.com vient de terminer un MA (Master) en Études sur le genre et sur les femmes à l’Université de Lancaster. Elle est membre du Groupe de recherche sur la migration de l’Université de Lancaster
http://tinyurl.com/LU-migrancy-research-group
[1] Tim Cowen, Francesca Stella, Kirsty Magahy, Kendra Strauss et James Morton, ‘Sanctuary, Safety and Solidarity: Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender Asylum Seekers and Refugees in Scotland’, 2011: p.13 http://www.equality-network.org/wp-content/uploads/2013/05/Sanctuary-Safety-and-Solidarity.pdf
[4] Nathanael Miles, ‘No Going Back: Lesbian and Gay People and the Asylum System’, Stonewall, 2010: p.13 www.stonewall.org.uk/what_we_do/research_and_policy/2874.asp