L’engagement que le Canada a pris fin 2015 d’accepter de réinstaller 25 000 réfugiés syriens est arrivé dans un contexte où certains autres pays envisageaient des mesures comme la confiscation des biens des réfugiés, l’enregistrement des réfugiés musulmans entrant sur leur territoire ou la fermeture complète de leurs frontières à tous les réfugiés. Pourquoi le Canada a-t-il décidé de s’opposer à cette tendance de plus en plus courante et quelles ont été les conséquences de cette décision?
Quelques facteurs peuvent expliquer l’attitude du Canada. Premièrement, la réponse publique du Canada face à la crise des réfugiés a pris, au fil du temps, un élan considérable encore renforcé par la nouvelle du décès d’Ayan Kurdi, cet enfant syrien de trois ans qui s’est noyé pendant la traversée en bateau entre la Turquie et la Grèce qu’il effectuait avec sa famille – et dont la demande de réinstallation au Canada avait été rejetée, un fait qui a surgi à cette occasion. Cet événement a marqué un basculement en renforçant l’indignation publique qui exigeait du gouvernement canadien de modifier ses politiques jusque-là plus restrictives à l’égard des réfugiés.
Deuxièmement, les élections nationales au Canada en octobre 2015 se sont avérées opportunes. Pendant la phase pré-électorale, les candidats au poste de premier ministre ont répondu aux attentes de l’opinion publique favorable à une augmentation de la réinstallation en faisant chacun leur propre promesse de réinstaller des réfugiés syriens.
Troisièmement, les citoyens exigeaient de leur gouvernement qu’il soit à la hauteur de la rhétorique sur l’identité canadienne perçue comme compatissante, activement engagée au sein de la communauté internationale et ouverte aux nouveaux arrivants. Il n’est donc pas surprenant que les citoyens aient poussé le gouvernement à faire un effort en matière de réinstallation des réfugiés syriens, dans la mesure où depuis longtemps de nombreux citoyens avaient démontré qu’ils souhaitaient eux-mêmes sponsoriser des réfugiés. Au Canada, la société civile joue un rôle déterminant dans la réinstallation puisque des individus peuvent réinstaller des réfugiés par le biais de ce qui est appelé le système du « Groupe de cinq » qui permet à un groupe d’au moins cinq citoyens canadiens ou résidents permanents au Canada de faire venir des réfugiés au Canada s’ils prennent la responsabilité de les aider après leur arrivée.[1]
Les ressources nécessaires à la réinstallation
La réinstallation est une forme de partage de la responsabilité et la reconnaissance d’une coopération internationale entre les pays. Il n’existe toutefois aucun impératif juridique sur l’obligation de réinstaller des réfugiés, et les pays choisissent d’accepter des réfugiés volontairement et peuvent fixer eux-mêmes leurs propres quotas et critères. La décision du Canada d’accepter 25 000 réfugiés syriens[2] était, en ce sens, son propre choix.
L’engagement du gouvernement nouvellement élu de réinstaller des Syriens obéissait principalement à une impulsion électorale, et par la suite à la nécessité de démontrer la capacité du nouveau gouvernement d’agir promptement et de remplir ses promesses. De fait, une fois le gouvernement porté au pouvoir en octobre 2015, rien n’était clair quant à la manière dont il allait s’y prendre pour remplir sa promesse. En conséquence, les délais ont dû être étendus de fin 2015 à fin février 2016. Depuis son élection le gouvernement fédéral a réalisé des efforts énormes en vue d’atteindre la cible qu’il s’était fixé de réinstaller 25 000 réfugiés syriens au Canada, mais il est probable qu’à trop se concentrer sur le nombre de personnes à réinstaller, la qualité de la prestation des services de réinstallation fournis en ait souffert les conséquences.
De manière décevante, les services de réinstallation au Canada n’ont toujours pas reçu du gouvernement un appui équivalent à celui proposé en vue de réinstaller physiquement les réfugiés au Canada. En d’autres termes, avec un afflux aussi important et rapide de réfugiés, les capacités des services de réinstallation ont été débordées et ils n’ont disposé ni des ressources suffisantes pour répondre adéquatement aux besoins des réfugiés, ni du temps nécessaire à la mobilisation de fonds supplémentaires.
Suite aux coupes budgétaires répétées des gouvernements antérieurs affectant le secteur de la réinstallation, les services destinés aux « nouveaux arrivants » – chargés d’accueillir et d’apporter de l’assistance aux réfugiés réinstallés et aux autres migrants – ont eu bien des difficultés à répondre à une telle augmentation du nombre d’arrivants. À cause de l’ampleur et de l’échelle de ces arrivées, trouver des cours de langues et/ou des écoles ou encore fournir des logements sont des services, pour n’en nommer que quelques-uns, qu’il est devenu très difficile de remplir. Des réfugiés, par exemple, ont dû rester dans des hébergements temporaires pendant un nombre de semaines bien plus élevé que d’ordinaire.[3] En réponse à ce problème, le secteur privé et la société civile ont joué un rôle extrêmement actif pour résoudre les besoins à leur arrivée de milliers de syriens et tenter de remplir ces lacunes. Il fallait également pouvoir compter sur des professionnels qualifiés en vue de soutenir ce groupe spécifique de personnes et répondre à l’ensemble de leurs besoins variés et compliqués, particulièrement dans le cas des réfugiés assistés par le gouvernement dont les vulnérabilités et les besoins sont bien plus importants que ceux d’autres groupes de nouveaux arrivants.
Un traitement équitable ?
En répondant à la pression populaire, le gouvernement canadien a consenti des avantages spéciaux à ces nouveaux réfugiés syriens qui arrivaient. Ainsi, les réfugiés syriens qui sont arrivés dans le pays après la venue au pouvoir du nouveau gouvernement n’ont pas eu besoin – contrairement aux réfugiés d’autres nationalité et aux réfugiés syriens arrivés antérieurement – de rembourser au gouvernement l’emprunt qui avait permis de payer leur voyage au Canada. Mais qu’en est-il des Syriens qui sont arrivés alors que le gouvernement précédent était au pouvoir ? Qu’en est-il des autres réfugiés qui se réinstallent en même temps que les Syriens ? En tentant de promouvoir une vision favorable et empathique à l’égard de la population syrienne, le gouvernement a dans les faits créé deux classes de réfugiés, au détriment de la justice et de l’équité. D’autres institutions – notamment du secteur privé et les services sociaux – ont suivi cet exemple en offrant différents avantages aux Syriens nouvellement arrivés au Canada. Mais cet accueil a eu pour conséquence de rendre invisibles d’autres réfugiés. Les experts, les praticiens et les défenseurs des réfugiés au Canada exhortent à davantage de justice et d’équité dans cette intervention.
Le Canada, au niveau national et international, est en train de prendre un engagement manifeste et très positif à l’égard des réfugiés. Tout ce qui a été entrepris par le gouvernement national au cours des derniers mois a été remarquable, comme l’a été la réponse accueillante du public canadien dans son ensemble. En outre, les normes du Canada en matière de réinstallation sont élevées du fait de la priorité accordée à l’intégration des nouveaux arrivants et parce que le pays dispose déjà d’un système de réinstallation bien établi. Qu’en est-il par contre de la réflexion consacrée aux implications à long terme de la réinstallation de ces réfugiés – et des autres réfugiés ? Étant donné que 10 000 réfugiés se réinstallent au Canada chaque année,[4] que 25 000 réfugiés syriens ont été réinstallés en l’espace de quatre mois et qu’il faut encore y ajouter 10 000 réfugiés syriens supplémentaires qui seront assistés par le gouvernement d’ici à fin 2016[5], de tels nombres ne pourront qu’exercer des pressions conséquentes sur la prestation de services aux réfugiés pour l’année à venir et au-delà.
Dans le contexte des attaques récentes à Paris et Bruxelles, et les vagues subséquentes d’islamophobie, cette initiative de réinstallation des Syriens au Canada représente de plus en plus un défi pour les canadiens. La sécurité du traitement des réinstallations est devenu un sujet de discussion et de controverse publiques, et le nouveau gouvernement s’est senti dans l’obligation de communiquer régulièrement des informations sur la réinstallation afin d’apaiser les craintes des Canadiens.
Seul le temps pourra dire si le nouveau gouvernement continuera d’apporter son soutien au secteur de la réinstallation et s’il démontrera – une fois passés les gros titres et les cibles atteintes – qu’il accorde de la valeur à une intégration réussie des réfugiés. S’il est possible d’en accomplir autant et si des quotas aussi ambitieux peuvent être atteints pour peu que les circonstances s’y prêtent, alors nombreux sont ceux qui osent espérer que l’élan suscité par cette réponse puisse être maintenu à l’avenir en faveur d’autres initiatives de réinstallation au Canada. Se pose maintenant la question de savoir si ce soutien extraordinaire à l’égard des réfugiés au Canada se convertira en un véritable réseau plus solide de soutien et de prestation de services capable non seulement de les aider à leur arrivée mais aussi de maintenir un appui à la réinstallation durable et à grande échelle tout au long des années à venir.
Anne-Marie Bélanger McMurdo abelangermcmurdo@gmail.com
Ancienne étudiante en Master, Centre d’Études sure les Réfugiés, Université d’Oxford; elle travaille actuellement à Toronto au Canada. Cet article a été rédigé à titre personnel.
[1] www.cic.gc.ca/english/refugees/sponsor/groups.asp
http://www.cic.gc.ca/francais/refugies/parrainer/groupes.asp [pour la version en français]
[2] Un ensemble de réfugiés assistés par le gouvernement et sponsorisés de manière privée.