Les individus qui fondent leur demande d’asile sur des persécutions relatives à leur orientation sexuelle doivent défendre leur cas dans la catégorie ‘groupe social particulier’ de la Convention sur les réfugiés de 1951. Cette catégorie a été pendant longtemps la plus contestée des causes de la Convention sur les réfugiés, et les demandes qui s’y rapportent peuvent déboucher sur un processus d’application à la fois long et complexe. Parce qu’il s’agit de demandes d’asile fondées sur la sexualité de la personne concernée, le fait d’avoir à donner des preuves de sa sexualité peut encore compliquer ces cas.
Actuellement au RU, il n’y a pas de statistiques disponibles pour indiquer le nombre de personnes qui demandent ou ont demandé l’asile pour des raisons liées à leur identité sexuelle. Cependant, des ONG estiment qu’en 2008, 1 200 à 1 800 lesbiennes, gays et personnes bisexuelles ont déposé une demande d’asile,[1] provenant principalement des Caraïbes, de l’Afrique et du Moyen Orient. Bien qu’ils soient peu nombreux, on dispose cependant de peu d’informations sur les demandeurs d’asile gays en tant que groupe et les recherches universitaires qui retracent leur expérience restent très limitées. |
Le présent article est basé sur une recherche doctorale qui examine la manière dont des femmes lesbiennes naviguent à travers le processus d’asile au RU, ainsi que sur les impacts de ce processus sur leur expérience, leur identité et leur bien-être[2]. Toutes les femmes interrogées avaient vécu des expériences de violence physique et sexuelle dans leur pays d’origine et ont décrit avoir été la cible et avoir subi des ‘viols de correction’[3], des tortures, des peines d’emprisonnement et des violences familiales du fait de leurs relations avec des personnes du même sexe. Toutes ces femmes ont cherché à obtenir la protection internationale au motif de leur orientation sexuelle, et sept d’entre elles avaient obtenu le statut de réfugié alors que pour quatre d’entre elles, le processus de demande d’asile au RU était encore en cours d’examen au moment de l’étude. Ces femmes venaient de la Jamaïque, de Gambie, d’Ouganda, du Nigeria, du Pakistan et d’Arabie Saoudite, tous des pays qui discriminent ouvertement et légifèrent contre l’homosexualité.
Constations principales
Dans tous les cas le processus d’asile, les argumentations légales et les comparutions devant les tribunaux ont été considérés par ces femmes comme des expériences confuses qui leur ont laissé un sentiment d’impuissance. Les femmes ont fréquemment parlé du stress et de la gêne qu’elles ont ressentie lorsqu’elles ont eu à parler de leurs expériences traumatiques sur demande. Elles ont également trouvé particulièrement difficile à gérer la pression générée par l’obligation d’être crue, et leur frustration de ne pas toujours comprendre les décisions et les jugements pris par rapport à elles par l’Agence du contrôle aux frontières du RU (UKBA) et les juges chargés de l’immigration. Les femmes interrogées ont indiqué qu’elles avaient ressenti comme une préoccupation majeure la manière dont certains décideurs individuels comprenaient et interprétaient la ‘sexualité’ et les hypothèses qu’ils émettaient sur l’apparence, les caractéristiques et le comportement d’une ‘lesbienne’ – des perceptions qui se sont avérées avoir une influence déterminante sur le résultat des demandes d’asile de ces femmes.
- Parler de sexualité
L’étude a montré que devoir parler de détails privés et intimes dans un contexte public et légal était particulièrement perturbant. Dans la mesure où ces femmes n’avaient jamais antérieurement discuté de leur sexualité avec des étrangers, le fait de déclarer leur identité lesbienne à l’UKBA lors des entretiens initiaux d’évaluation a souvent été décrit comme un épisode particulièrement stressant. Le fait de ne pas avoir droit à un espace privé lors de ces entretiens initiaux d’évaluation et l’anxiété provoquée par la possibilité que leur conversation soit entendue par d’autres sont des facteurs qui rendaient les choses encore plus difficiles.
Étant donné que les participantes avaient subi des actes de violences sexuelles dans leur pays d’origine (y compris pour certaines d’entre elles, perpétrés par des fonctionnaires de police ou pendant qu’elles se trouvaient en garde à vue), le fait de devoir révéler leur sexualité à des personnes en position d’autorité constituait une expérience angoissante. Avoir à parler du fait d’être lesbienne dans le cadre d’interrogatoires et de comparutions devant les tribunaux a été décrit comme émotionnellement épuisant. Une femme a expliqué comment elle s’est mise à pleurer, trembler et se sentir comme si elle était en train de s’effondrer physiquement et émotionnellement après un interrogatoire. En outre, des récits ont émergé concernant ce qui était perçu comme une absence de sympathie, de sensibilité ou une incapacité totale à apprécier les difficultés que les femmes éprouvaient à parler de détails aussi intimes.
- Pertinence des questions
Avoir à rendre compte de détails intimes et être questionnées sur leurs désirs sexuels et leurs relations en séances publiques s’est également avéré difficile, et pour certaines cette expérience n’a pas été sans effets sur leur santé mentale et leur bien-être. De plus, la pertinence des questions posées a été mise en cause. Des femmes ont été interrogées par exemple sur les positions utilisées au cours de l’acte sexuel et on leur a également demandé de justifier pourquoi elles avaient décidé d’être homosexuelles tout en sachant que cette pratique était illégale dans leur pays d’origine. Plusieurs femmes ont expliqué qu’on leur avait demandé quels types de programmes elles regardaient, si elles lisaient Oscar Wilde [un écrivain britannique célèbre pour son homosexualité], à combien de Marches Gay Pride elles avaient participé et quels clubs gays elles fréquentaient. L’une des femmes a relaté que l’un des juges de l’immigration avait remarqué qu’elle ne ressemblait pas à une lesbienne, alors qu’à une autre, il a été affirmé en audience qu’elle ne pouvait pas être lesbienne parce qu’elle avait deux enfants. De toute évidence, il arrivait fréquemment que la décision concernant la validité de l’affirmation d’être lesbienne soit évaluée en fonction du niveau de conformité par rapport à des stéréotypes occidentaux. Le fait de ne pas correspondre à ces idées préconçues a souvent eu pour résultat un refus de la demande d’asile et une remise en question de la crédibilité individuelle de certaines femmes.
- La nécessité d’afficher sa sexualité
Face à la pression de se conformer à des stéréotypes occidentaux, certaines femmes se sont senties obligées de modifier leur apparence et de s’habiller d’une manière décrite comme « plus ‘Butch’ (masculine)». Même si plusieurs femmes ont eu le sentiment que cela pourrait contribuer à renforcer l’aspect légal de leur demande d’asile, elles ont également expliqué qu’il ne s’agissait pas nécessairement pour elles d’une option évidente ou souhaitable. Deux participantes avec des enfants, ont déclaré ne pas souhaiter afficher publiquement leur homosexualité par crainte pour la sécurité de leurs enfants. L’impression que d’autres demandeurs d’asile considéraient l’homosexualité comme « immorale », « mauvaise » et « inacceptable », les amenait à penser que « sortir du placard » pourrait contribuer à leur isolement. Des femmes ont relaté avoir vécu des expériences dans lesquelles elles avaient été mises à l’écart ou qu’on leur avait demandé de quitter un groupe de soutien à des réfugiés du fait de leur sexualité, un problème particulièrement traumatique lorsque ces groupes avaient été jusque-là leur principale source de réconfort et d’assistance. La crainte que d’autres migrants puissent faire circuler des rumeurs à leur sujet ou les menacer contribuait également à renforcer leur insécurité. En conséquence, certaines femmes ont demandé d’être logées séparément des autres personnes provenant de leur pays d’origine, une situation qui à son tour les faisait se sentir encore plus isolées.
- Liberté sexuelle
Malgré les nombreuses difficultés auxquelles les demandeuses d’asile lesbiennes doivent faire face au RU, un certain nombre d’expériences positives ont également été identifiées. Toutes les femmes ont indiqué qu’elles avaient la sensation de pouvoir maintenant être elles-mêmes et qu’elles se sentaient respectées pour la première fois dans leur vie. Certaines femmes avaient initié leurs propres groupes de soutien afin d’apporter une aide émotionnelle et pratique à d’autres lesbiennes demandeuses d’asile.
À la suite de cette étude nous recommandons :
- Des recherches supplémentaires sur les expériences et les persécutions vécues par les demandeuses d’asile lesbiennes dans leurs pays d’origine dans le but d’aider les femmes à soumettre des preuves objectives de leurs assertions ; il est important que des recherches de ce type reconnaissent les différences entre les cultures et les contextes tout en cherchant à identifier des similarités dans les expériences vécues.
- Davantage de clarté (à la fois au niveau national et international) concernant l’interprétation et l’application du droit des réfugiés relatif aux demandes d’asile fondées sur l’identité sexuelle de la personne.
- Mise à disposition d’un espace discret et confidentiel pour permettre aux femmes de parler du motif de leur demande lors des entretiens initiaux d’évaluation.
- Une formation pour les personnes chargées des entretiens sur la nécessité de faire preuve de plus de sensibilité et de compréhension par rapport aux difficultés culturelles, aux émotions négatives, et de mieux comprendre à quel point il peut être difficile de devoir parler de soi et de s’identifier en tant que lesbienne.
- Un travail de collaboration entre les personnels juristes et les agences internationales afin d’arriver à une meilleure compréhension de la complexité attachée à la sexualité et éviter ainsi le recours aux stéréotypes.
- Un complément de recherches sur les tensions qui peuvent exister entre les demandeurs d’asile eux-mêmes par rapport aux questions liées à l’homosexualité, et une meilleure prise de conscience de ces problèmes.
- La fourniture par les ONG et les prestataires de services d’une assistance et de services ciblés à l’intention des demandeuses d’asile lesbiennes en vue d’atténuer leur isolation et de leur apporter des informations et un soutien adaptés.
Claire Bennett C.M.Bennett@Soton.ac.uk est Chercheuse associée à l’Université de Southampton, au Centre for Population Change de l’ESRC (Conseil de la recherche économique et sociale). Felicity Thomas F.Thomas@Exeter.ac.uk est Chargée de cours à l’Université d’Exeter et elle est également Chercheuse associée à l’Université du Sussex, au Royaume-Uni.
[1] Alasdair Stuart ‘Over Not Out: Refreshed 2012: An update on progress against the original
recommendations of the Over Not Out Report (2009)’ [Over Not Out: Révisé en 2012 : Une actualisation des progrès par rapport aux recommandations du rapport original Over Not Out de 2009], Londres: Metropolitan Migration Foundation
[2] Une série d’entretiens individuels répétés ont été menés avec onze femmes pendant une période de six mois.
[3] Viol d’une personne motivé par la perception de son orientation sexuelle ou de genre ; la conséquence attendue de ce viol, telle que conçue par son auteur est de ‘corriger’ l’orientation de la personne – de la rendre hétérosexuelle ou de l’obliger à se conformer aux stéréotypes sexospécifiques en vigueur.