Au vu de l’importance croissante de la protection des droits humains dans le contexte des changements climatiques et des catastrophes induites par le climat, les Institutions nationales des droits humains peuvent jouer un rôle dans l’investigation et le suivi des questions de droits humains. Aux Philippines, ce rôle est assumé par la Commission des droits humains des Philippines (ci-après : la Commission), une instance indépendante.
La Commission a entrepris une enquête nationale sur les changements climatiques afin d’étudier leurs effets sur les droits humains. Dans ce cadre Greenpeace s’est chargé d’agir en tant que pétitionnaire principal au nom des communautés touchées par les changements climatiques[1]. L’enquête a recueilli les témoignages des communautés touchées et a examiné la façon dont les changements climatiques affectaient leurs logements et leurs terres, leur accès aux moyens de subsistance et aux ressources naturelles, ainsi que la jouissance de leurs droits humains d’une manière plus générale. Ces changements comprennent l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des températures terrestres et océaniques, ainsi que des événements dévastateurs tels que le typhon Haiyan de 2013. En outre, la Commission a également mené une enquête nationale sur la situation des droits humains des personnes déplacées à l’intérieur du pays.
Par le biais de ces enquêtes, la Commission a identifié les changements climatiques comme étant des facteurs qui contribuent à une exposition accrue des communautés affectées à des violations de leurs droits humains – c’est-à-dire des facteurs créant une vulnérabilité supplémentaire pour des personnes dont les droits humains risquent d’être violés, ou se trouvent déjà sans protection[2]. Ces enquêtes visent à inciter les décideurs politiques à répondre à des questions de droits humains en lien avec le climat, et à trouver des moyens pour prévenir ou faire face aux déplacements induits par le climat. Les témoignages sont recueillis auprès des membres des communautés locales, de la société civile et des groupes de défense, et ces témoignages, ainsi que les contributions des experts universitaires, forment le cœur des questions adressées aux décideurs politiques au cours de l’enquête. Au cours des auditions de l’enquête, les différentes parties amenées à témoigner fournissent des informations sous serment, ce qui signifie que toute déclaration non corroborée peut constituer un motif de poursuite pour parjure.
Les enquêtes nationales sont également importantes dans la mesure où elles ont pour objet de contrôler le respect par les États de leurs obligations internationales en matière de droits humains et de formuler des recommandations au Congrès sur les mesures à prendre pour améliorer la protection et la promotion des droits humains. Dans le contexte des déplacements liés au climat, la Commission a été en mesure d’inviter et d’interroger des acteurs gouvernementaux (également sous serment) sur des questions clés relatives aux déplacements liés au climat. Parmi ces auditions ont figuré, entre autres, des questions portant sur le manque de préparation, les limites des mécanismes locaux d’intervention face aux impacts et sur l’implication des grandes entreprises privées.
Les lois n’ont toujours pas rattrapé la réalité de la menace que représentent les changements climatiques pour la jouissance des droits humains. L’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets ont été intégrées à la loi sur les changements climatiques de 2009 et à celle sur la réduction et la gestion des risques de catastrophes de 2010, mais une lecture attentive de ces textes montre que la législation se concentre sur une efficacité structurelle et organisationnelle, plutôt que sur des aspects substantiels tels que l’amélioration de la qualité de vie des communautés affectées et la participation significative des communautés dans la prise de décision. Aucune norme relative aux droits humains, telle que le respect des conventions internationales, n’a été introduite. La Commission doit s’attaquer à un autre problème crucial, à savoir la difficulté de faire appliquer ses principales recommandations. La Commission n’a pas de pouvoir de poursuite, ce qui limite sa capacité à imposer la coopération dans le cadre de ses recommandations.
Alors que la Commission a pour mandat d’enquêter sur l’impact des changements climatiques sur la jouissance des droits humains, les mandats des Institutions nationales des droits humains ne couvrent habituellement pas les agissements des entreprises privées. Les Institutions nationales peuvent faire des recommandations aux grandes entreprises, mais ne peuvent pas exiger d’elles qu’elles s’y conforment. La relation entre les entreprises et les droits humains est un aspect du régime des droits humains qui est encore en évolution.
Face à de tels défis, la Commission en est toujours à accomplir son mandat par le biais de partenariats, soit nouveaux, soit existants, avec des organisations de la société civile, des organisations non gouvernementales, des centre universitaires, voire même des organisations internationales non gouvernementales et intergouvernementales. Les organisations de la société civile engagées dans un travail environnemental apportent leur expertise sur les aspects scientifiques des changements climatiques, tandis que les groupes de prestation de services sur le terrain aident à organiser les communautés pour faire face aux impacts des changements climatiques au niveau local. La participation de ces groupes aide la Commission à plaider auprès du gouvernement, ainsi qu’à présenter la question devant des plateformes internationales telles que l’Alliance mondiale des Institutions nationales de droits humains, le Forum Asie-Pacifique et le Forum des Institutions nationales de droits humains de l’Asie du Sud-Est. Au cours des cinq dernières années, ces forums ont manifesté leur intérêt non seulement à soutenir les efforts de plaidoyer relatifs à la protection des droits humains dans le contexte des catastrophes liées au climat, mais aussi à intégrer des activités d’enquête sur les violations des droits humains liées au climat à leurs propres programmes axés sur le climat.
Le plaidoyer législatif est également crucial pour renforcer les mécanismes de reddition de comptes et contraindre le gouvernement à traiter les changements climatiques comme une question de droits humains. Un examen des cadres juridiques existants est nécessaire. L’inclusion de la Commission en tant qu’observateur des structures d’atténuation et d’adaptation face aux changements climatiques au sein du gouvernement pourrait s’avérer utile pour qu’une approche basée sur les droits humains soit adoptée en réponse aux changements climatiques. Un cadre juridique distinct pour la protection des personnes déplacées, y compris celles déplacées par les impacts liés au climat, doit également être sérieusement envisagé.
Il reste encore beaucoup à faire, mais les enquêtes nationales sur les déplacements liés au climat et les droits humains peuvent constituer un premier pas vers la création d’un environnement de protection juridique plus solide pour les communautés affectées.
Reinna S Bermudez reinna.chr@gmail.com
Directrice du Centre
Tamara Ligaya J Damary tljdamary.chr@gmail.com
Assistante chargée de la protection des personnes déplacées
Centre pour les Crises, les Conflits et la Protection humanitaire, Commission des droits humains des Philippines
[1] Commission des droits humains des Philippines, « Enquête nationale sur les changements climatiques». https://chr.gov.ph/nicc-2/ (en anglais)
[2] Documenté à partir de l’enquête nationale de la Commission des droits humains des Philippines sur les droits humains des personnes déplacées à l’intérieur du pays, Audiences de Visayas, 21-22 octobre 2021. (en anglais)