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L’Europe et l’avenir de la politique internationale sur les réfugiés

Pendant longtemps, l’Union européenne (UE) s’est félicitée d’être un phare en matière de régionalisme, mais sa paralysie actuelle sur la question du système commun d’asile risque de représenter l’échec le plus sévère dans l’histoire de ce projet. Jusqu’à présent cette année, plus de 800 000 réfugiés et migrants sont arrivés sur le continent depuis la mer et l’on s’attend à ce que ce chiffre dépasse le million début 2016.[1] L’UE rencontre beaucoup de difficultés à trouver une réponse effective à cette situation, et même si les chiffres paraissent impressionnants, elle pourrait gérer la crise plus efficacement et en préservant le bien-être et la dignité de ceux qui fuient le conflit et la persécution, si elle l’approchait de manière proactive et mettait en place des mécanismes permettant de répartir la responsabilité collective entre ses 28 États membres.  

Cette situation perd beaucoup de son importance lorsqu’elle est comparée à la réponse des États hôtes dans les pays d’origine, particulièrement ceux qui entourent la Syrie et où le nombre des réfugiés écrase jusqu’aux quotas les plus conséquents que chaque État européen accueillerait individuellement dans le cadre d’un système partagé; et malgré cela l’Europe continue de se préoccuper de désagréments entre États membres à propos de problèmes de réinstallation et de clôture de frontières. Entre 2007 et 2013, l’UE a consacré près de 2 milliards d’euros à la sécurité de ses frontières extérieures; elle a également investi des sommes conséquentes dans des initiatives liées à la migration, comme des centres de réception et de détention dans des pays non-européens afin d’empêcher l’arrivée d’autant d’immigrants potentiels que possible. Par contre, seulement 17 % (c’est-à-dire 700 millions d’euros) des dépenses effectuées au cours de la même période ont été consacrées à la réinstallation et à l’intégration des réfugiés. Se contenter de fermer la porte à double tour ne signifie pas qu’il y aura une diminution du nombre de réfugiés en route vers l’Europe. Les politiques les plus efficaces que l’UE puisse mettre en place devront se concentrer sur les causes profondes de la migration vers ses côtes, et ce sont des causes qui sont à résoudre dans les pays d’origine des réfugiés.

Les moteurs de la migration en avant

C’est principalement parce que la communauté internationale ne leur apporte pas un soutien adéquat dans les endroits où ils sont déplacés que les réfugiés sont prêts à prendre tous les risques majeurs associés au voyage jusqu’en Europe. Comme l’illustre la crise des réfugiés syriens, le soutien diminue de plus en plus à mesure que la situation se prolonge, et les pays hôtes et les réfugiés en sont réduits à se débattre seuls. Dans mon pays, le Plan jordanien de réponse n’a reçu qu’approximativement 34 % du financement demandé, alors que seulement 20 % des 289 millions de dollars US de l’appel de l’UNHCR pour 2015 ont été couverts. Les difficultés immenses que rencontrent de nombreux réfugiés dans leur vie quotidienne en sont le résultat et c’est pour cela qu’ils en sont réduits à chercher des options meilleures en Europe et ailleurs.[2] Une grande partie de cette assistance est toutefois consacrée à l’assistance d’urgence et les coupures réalisées par le Programme alimentaire mondial dans son assistance aux pays hôtes de la région avec les conséquences dramatiques qu’elles ont au niveau des familles démontrent parfaitement à quel point ces solutions sont insoutenables en soi. Si l’Europe est réellement décidée à s’attaquer de manière efficace, et en accord avec les valeurs fondamentales qui sont celles de l’Union, à la crise qu’elle rencontre actuellement, elle doit être prête à adopter des approches audacieuses et novatrices dans sa manière d’aider les réfugiés et les pays hôtes qui les accueillent bien au-delà de ses frontières.

La possibilité d’une réponse européenne renforcée

Des stratégies sont nécessaires en vue de dépasser les modèles verticaux dominants d’assistance aux réfugiés pour passer à une aide qui promeuve leur autonomie et leur autosuffisance. L’UE pourrait jouer un rôle de pionnier à cet égard en faisant progresser la politique internationale vis-à-vis des réfugiés et en la rendant plus pertinente face aux défis du 21e siècle. Sous l’impulsion de la Commission européenne, de nouveaux partenariats pourraient être établis entre les bailleurs internationaux, les réfugiés, les États hôtes et le secteur privé. Des recherches menées par le West Asia-North Africa Institute montrent dans le détail à quoi des partenariats nouveaux avec un potentiel de succès élevé pourraient ressembler en prenant la Jordanie comme modèle.[3]

En bref, une position politique plus sensée au niveau de l’UE consisterait à réallouer certaines dépenses de sécurité (comme celles liées au contrôle des frontières) afin de soutenir des formes novatrices et plus durables d’assistance aux réfugiés à l’intérieur des pays hôtes dans leur région d’origine. Encourager un investissement à grande échelle dans les pays hôtes dans des secteurs de fabrication industrielle qui emploient à la fois de la main-d’œuvre réfugiée et locale, à des taux préétablis et avantageux pour les deux communautés est une mesure politique dont le potentiel est énorme. Cela nécessiterait de la part de l’UE un appui qui dépasse la simple assistance financière – comprenant, mais pas exclusivement, des concessions commerciales ainsi que des exemptions de taxes visant à inciter l’investissement d’entreprises industrielles déjà implantées dans le pays. Des initiatives de ce type pourraient fonctionner et compléter, plutôt que se substituer aux quotas de réinstallation et à la poursuite de l’assistance d’urgence.    

Pour qu’un tel modèle puisse fonctionner, il serait nécessaire de conclure des accords de partenariats entre les pays hôtes de la région et l’UE. Afin d’en minimiser les risques, il faudrait également accompagner ces accords d’un cadre juridique facilitant les flux de capitaux et protégeant toutes les parties impliquées. Il faudrait notamment revoir les règles d’origine préférentielle de l’UE afin de permettre le travail des réfugiés dans la production de biens manufacturés et de leur exportation vers les marchés européens. Même si les règles d’origine de l’UE sont mondiales et qu’elles sont en place depuis très longtemps, une concession de ce type, assortie d’autres conditions de vérification en matière de qualité des produits finis, pourraient être accordées sur une base bilatérale aux pays hôtes. Un accord sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels pourrait permettre par exemple aux produits manufacturés par des réfugiés syriens de pénétrer sur le marché européen sans nécessiter de contrôles techniques supplémentaires. Un partenariat de cet ordre constituerait un engagement de la part de l’UE de rechercher des solutions plus durables face aux défis des crises de réfugiés, et serait un premier pas en direction d’une résolution des échecs de la politique mise en place pour contenir les débordements actuels en Europe qui sont à l’origine du problème.

Ce type d’initiative répondrait également aux impératifs tels qu’inscrits dans la communication récente de la Commission européenne Éléments relatifs à la stratégie régionale de l’UE pour la Syrie et l’Iraq, ainsi que pour la menace que constitue l’EIIL/DAECH.[4] Dans ce document la Commission articule la nécessité de développer des approches pour répondre « aux besoins de développement à long terme des personnes déplacées » et « renforcer les capacités locales de résilience en Syrie, en Iraq et dans les pays voisins touchés ».

Conclusion

Le projecteur restera probablement focalisé sur l’Europe pendant encore un certain temps et une grande partie de l’attention suscitée par la crise des réfugiés continuera de mettre en lumière des questions touchant à la réinstallation, au contrôle des frontières et aux aspects procéduriers de la politique d’asile de l’UE. Même s’ils sont importants, ces domaines ne sont pas ceux que l’Europe doit résoudre en priorité pour développer une approche efficace face à la crise actuelle. De nouveaux types de partenariats avec les pays hôtes dans les régions d’origine des réfugiés pourraient s’attaquer à des phénomènes comme ceux de la dépendance vis-à-vis de l’aide et de la lassitude des pays hôtes, et orienter la politique internationale sur les réfugiés vers des initiatives plus durables et plus mutuellement avantageuses. C’est la meilleure possibilité qui s’offre à l’Europe de réduire le nombre des nouveaux arrivants sur ses côtes et aussi d’éviter les nombreuses pertes en vie humaine qui accompagnent ce processus. Plus important encore, cela pourrait représenter une transition vers des politiques internationales sur les réfugiés qui offrent des possibilités aux communautés hôtes comme aux réfugiés tout en respectant la dignité humaine.

 

Prince El Hassan bin Talal

Fondateur et Président du West Asia–North Africa Institute (WANA) http://wanainstitute.org/en

Il est possible de contacter l’auteur par l’intermédiaire de: info@wanainstitute.org



[1] UNHCR, Refugees/Migrants Emergency Response – Mediterranean http://data.unhcr.org /mediterraneanregional.php Novembre 2015.

[2] En septembre 2015, la Commission européenne et ses États membres avaient mobilisé plus de 4,2 milliards d’euros en secours d’urgence, et des fonds supplémentaires avaient été promis. Commission européenne (2015) Fiche-info ECHO – Crise syrienne – novembre 2015t http://ec.europa.eu/echo/files/aid/countries/factsheets/syria_en.pdf

[3] WANA Institute (2015) Forging New Strategies in Protracted Refugee Crises: Syrian Refugees and the Host State Economy

http://wanainstitute.org/en/publication/forging-new-strategies-protracted-refugee-crises-syrian-refugees-and-host-state-economy

 

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