Les catastrophes liées à l’eau, notamment les inondations, sont chaque année à l’origine des plus grands déplacements provoqués par des catastrophes naturelles. Dans les prochaines décennies, sous l’effet du changement climatique, les inondations devraient fort probablement s’intensifier, de même que leurs impacts sur le déplacement.[1] En 2010, des inondations soudaines ont affecté plus de 18 millions de personnes au Pakistan, parmi lesquelles neuf millions ont perdu leur logement. Parallèlement, en Colombie, 93% des municipalités du pays avaient observé des inondations ou des glissements de terrain à partir de décembre 2010, tandis que dès fin 2011, près de cinq millions d’habitants avaient été touchés et des milliers avaient été déplacés, parfois même à plusieurs reprises. Il est important de noter ici que ces inondations se sont produites dans deux pays où de nombreuses personnes avaient déjà été déplacées par des conflits continus et de longue durée, ce qui n’a fait qu’accroître les vulnérabilités et les difficultés.
Au moment des inondations, le Pakistan comme la Colombie avaient déjà mis en place des cadres de gestion des catastrophes relativement sophistiqués. Néanmoins, dans un pays comme dans l’autre, le manque de capacités et de coordination (surtout au niveau local) ont entravé la possibilité d’une intervention plus rapide et plus efficace pour contenir les déplacements.
En Colombie, un nouveau système de secours en cas d’inondation («Colombia Humanitaria»), doté d’importantes ressources financières, n’avait pas pour objectif de renforcer les capacités du pays mais plutôt de les contourner. Au Pakistan, l’Autorité nationale de gestion des catastrophes (ANGC) était peu dotée en personnel et en ressources financières et n’exerçait aucune autorité sur les Autorités provinciales de gestion des catastrophes (APGC). Dans chaque pays, l’application insuffisante des lois et des procédures de gestion des catastrophes au niveau local a fortement entravé l’intervention, dans un contexte où les pouvoirs n’étaient pas seulement les premiers intervenants, mais aussi parfois les seuls à intervenir.
Comme les inondations se sont déroulées sur une longue période de temps dans chacun de ces pays, différents types de mouvement ont été provoqués simultanément dans différentes régions des pays, y compris la fuite et l’évacuation d’urgence, le rapatriement et, dans une certaine mesure, la réinstallation. Pourtant, dans l’ensemble, et malgré la quantité impressionnante de personnes déplacées, la durée du déplacement en lui-même s’est révélée relativement limitée, la plupart des personnes retournant chez elles dans l’espace d’une année. La menace de la poursuite des violences n’empêchait pas les personnes de rentrer chez elles, et nombre d’entre elles étaient rentrées avant même que les eaux de crue s’étaient dissipées. Toutefois, les interventions menées n’ont pas tenu compte de la cadence rapide des retours et ont préféré concentrer leurs efforts d’assistance sur les personnes déplacées par les inondations dans des camps de PDI centralisés. Selon les mots d’un fonctionnaire de l’ONU: «Au moment où nous avions enfin fini de monter les camps, ils étaient vides».
Parallèlement, les besoins et les vulnérabilités des populations de retour étaient principalement les mêmes que pendant leur déplacement. La plupart d’entre elles avaient retrouvé leur logement et leurs biens sévèrement endommagés ou détruits si bien qu’elles n’avaient d’autre choix que de vivre dans des abris de fortune, peu sûrs, à proximité de leur ancien logement, sans accès à l’eau propre ni à l’assainissement. Toujours selon les mots du même fonctionnaire de l’ONU: «Nous avions besoins d’une stratégie pour les personnes de retour, et non pas d’une stratégie de retour».
Au vu du rythme accéléré des retours, les programmes de «relèvement rapide» auraient dû être avant tout l’occasion d’aider les populations déplacées à se remettre plus rapidement et à accroître leur résilience face aux futurs chocs. Pourtant, dans les deux pays concernés, la phase de relèvement rapide de l’intervention était distincte de la phase d’intervention d’urgence tandis que le financement et la mise en œuvre des programmes de relèvement rapide se sont révélés difficiles. En Colombie, la lenteur du processus de construction des abris était particulièrement préoccupante. De nombreuses familles ayant perdu leur maison avaient été déplacées trois ou quatre fois alors qu’elles attendaient la fin des travaux de construction de leur logement transitionnel. Enfin, l’incapacité des États à contenir le risque de répétition des déplacements en permettant aux personnes de retourner dans des zones sujettes aux inondations a eu pour effet d’accentuer les vulnérabilités et d’éroder la résilience. Au Pakistan, les inondations qui ont sévi l’année suivante ont provoqué le déplacement des mêmes personnes une deuxième fois.
Dans chaque pays, les PDI qui n’étaient pas rentrées volontairement ont fini par être forcées de le faire sous la contrainte des politiques gouvernementales exigeant la fermeture des camps et des abris après l’écoulement d’une certaine période de temps suite à la catastrophe. Même les personnes n’ayant nulle part où aller ont dû partir, ce qui s’est souvent traduit par un déplacement secondaire.
En Colombie, les inondations avaient touché de manière disproportionnée les personnes qui avaient déjà été déplacées par le conflit armé qui sévissait dans le pays depuis des dizaines d’années. Pourtant, comme la Colombie s’est dotée d’institutions distinctes pour répondre aux besoins des personnes déplacées par les conflits et des personnes déplacées par des catastrophes naturelles, et comme la législation colombienne relative aux PDI ne couvre pas ce deuxième cas de figure, les inondations n’ont déclenché aucune des procédures et des protections ni aucun des droits que la Colombie a prévu dans le contexte d’une intervention d’urgence face aux déplacements massifs provoqués par un conflit. Au contraire, c’est un ensemble totalement différent d’institutions gouvernementales et de procédures qui est entré en jeu, et qui s’est avéré beaucoup moins efficace.
En revanche, le Pakistan délègue aux deux mêmes institutions l’autorité d’intervenir en cas de déplacements provoqués par des conflits ou des catastrophes naturelles, à savoir l’ANGC au niveau national et les APGC au niveau provincial. Ces capacités institutionnelles ont été mises à l’œuvre de manière évidente en réponse aux inondations du Khyber Pakhtunkhwa, où l’expérience de l’ANGC, tant en matière d’intervention en cas d’urgence humanitaire continue et liée à des conflits qu’en matière de coopération avec la communauté internationale, a permis d’intervenir de manière bien plus efficace et coordonnée suite aux inondations.
Dans les pays touchés aussi bien par les conflits que les catastrophes naturelles, il est préférable de confier à un seul et même ministère ou une seule et même institution la responsabilité d’intervenir face aux catastrophes d’origine naturelle comme humaine, ce qui permet de renforcer les capacités, de promouvoir la responsabilisation et d’optimiser l’affectation des ressources.
Alice Thomas alice@refugeesinternational.org est directrice du programme sur les déplacements climatiques et Lindsey Brickle lindsey.brickle@gmail.com est chargée de recherche non résidente pour le programme sur les déplacements climatiques de Refugees International. www.refintl.org/
Cet article s’inspire des recherches et des observations réalisées par Refugees International au Pakistan et en Colombie en 2010 et 2011.[2]
[1] Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre) Global Estimates 2012: People displaced by disasters www.internal-displacement.org/publications/global-estimates-2012
[2] Refugees International «Pakistan: Flood Survivors Still Struggling to Recover» (2011) www.refugeesinternational.org/policy/field-report/pakistan-flood-survivors-still-struggling-recover
«Colombia: Flood Response Improves, But Challenges Remain» (2012) http://refugeesinternational.org/sites/default/files/032712_Colombia_Response%20letterhead.pdf.