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Désastres, déplacement et un nouveau cadre aux Amériques

Aux Amériques, comme dans le reste du monde, il n’existe actuellement aucune norme régionale ou universelle permettant de déterminer si les personnes déplacées ou migrant suite à une catastrophe dans leur pays ont le droit de se rendre sur le territoire d’un autre État, d’y être admis ou d’y séjourner.

On observe deux types de mouvements de population depuis les pays d’Amérique touchés par des désastres à déclenchement rapide. Le premier type concerne les migrations précipitées et souvent temporaires au-delà d’une frontière terrestre afin d’éviter un désastre et ses conséquences négatives les plus immédiates (« déplacements transfrontaliers »). Le second concerne les migrations à plus long terme, sur de plus longues distances, en raison des dommages importants provoqués par un désastre, notamment aux infrastructures (« déplacements à l’étranger »). Ces deux flux prennent généralement leur origine dans les pays les plus pauvres de la région et suivent des trajectoires migratoires traditionnelles propres à chacun de ces pays.

À l’occasion d’un atelier de l’initiative Nansen organisé en février 2015, auquel participaient des représentants des onze états membres de la Conférence régionale sur la migration (CRM), une étude a été menée aux Amériques sur le problème apparemment insoluble de l’élaboration de réponses juridiques adaptées aux déplacements transfrontaliers dans le contexte des désastres causés par des risques naturels.[i]

Cette étude de l’initiative Nansen ne cherche pas à définir un cadre juridique applicable à partir de la législation internationale existante mais plutôt à examiner de manière pragmatique les lois, politiques et pratiques nationales de toutes les Amériques afin d’évaluer comment elles traitent réellement les besoins de protection et d’assistance des personnes actuellement déplacées par un désastre, ou comment elles traiteraient un étranger (un ressortissant d’un autre pays) dans cette situation. En outre, cette étude ne se limite pas à l’analyse des droits humains ou des lois relatives à la protection des réfugiés : elle s’attache également à l’ensemble plus vaste de lois nationales sur l’immigration de chacun des pays.

La loi sur l’immigration comme principal outil

Il est évident que la plupart des États de la région considèrent la loi sur l’immigration (plutôt que la loi sur les réfugiés) comme l’outil principal permettant de répondre à la situation des étrangers touchés par un désastre. Ce type de situation peut survenir lorsque des personnes fuient leur pays après un désastre et cherchent à obtenir l’autorisation de se rendre dans un autre pays, d’y entrer ou d’y séjourner. De la même manière, un désastre à l’étranger peut avoir des conséquences pour les non-ressortissants présents sur le territoire d’un État tiers en modifiant leur situation migratoire ou en rendant leur déportation risquée. Enfin, les étrangers s’exposent à des vulnérabilités particulières lorsqu’un désastre survient dans le pays où ils sont présents.

Dans de nombreux cas, les États des Amériques facilitent le déplacement, l’entrée et/ou le séjour des étrangers sur leur territoire en appliquant les catégories habituelles de la migration afin que les personnes concernées puissent bénéficier d’un statut migratoire aussi stable que possible. Par exemple, les pays peuvent accélérer l’examen des demandes d’immigration ou déroger, pour des raisons humanitaires, à l’une des règles relatives à l’immigration (par exemple, les règles de séjour des étudiants ou des membres de la famille) pour les personnes victimes d’un désastre à l’étranger.

Pour les personnes touchées par un désastre et dont la situation migratoire ne peut pas être facilement résolue par l’application des catégories habituelles de la migration, de nombreux États de la région ont alors recours à des catégories migratoires exceptionnelles prévues par leur législation nationale afin de permettre le déplacement, l’entrée ou le séjour. En règle générale, ces catégories accordent un titre de séjour plus précaire et temporaire que les catégories habituelles et les personnes concernées doivent souvent obtenir une autorisation avant de pouvoir travailler.

Dans ce type de situation, la permission de se rendre dans le pays, d’y entrer ou d’y séjourner est généralement donnée par un fonctionnaire exerçant son pouvoir discrétionnaire pour des motifs humanitaires. La loi confère souvent ce type de pouvoir en termes larges et non spécifiques. Toutefois, dans un certain nombre de pays d’Amérique, la législation et/ou une politique nationale identifie expressément les désastres comme une situation dans laquelle ce pouvoir discrétionnaire doit généralement être exercé en faveur des personnes concernées.

À cet égard, les fonctionnaires de toutes les Amériques demandent à recevoir des directives plus précises sur les situations dans lesquelles ce pouvoir de discrétion humanitaire prévu par la loi sur l’immigration doit être exercé en faveur des migrants fuyant un désastre. En réponse, les participants à l’atelier de la CRM ont recommandé l’élaboration d’un guide des pratiques efficaces sur l’admission et le séjour pour les personnes traversant des frontières dans le contexte de désastre (le « Guide des pratiques efficaces »). Puisant dans les pratiques régionales, un tel guide pourrait se baser sur le principe selon lequel la discrétion humanitaire doit être généralement exercée en faveur d’un étranger lorsque celui-ci est touché personnellement et sévèrement par une catastrophe à l’étranger.

Toutefois, il existe certaines situations dans lesquelles l’exercice de cette discrétion humanitaire en défaveur des personnes doit être strictement défini et encadré. Pour les migrants fuyant un désastre, ce principe concerne surtout les décisions relatives à leur admission et leur non-déportation. Ainsi, par exemple, lorsqu’une décision négative exposerait un migrant à un risque réellement fatal ou à des problèmes de sécurité personnelle en raison d’un désastre ou de ses conséquences, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en sa défaveur serait alors contraire aux règles contraignantes des droits humains. Ici, la discrétion doit, plutôt que devrait, être exercée en sa faveur.

L’impact migratoire des désastres peut se faire sentir non seulement chez les migrants des pays touchés mais aussi chez les migrants vivant dans un pays touché par un désastre (par exemple, les migrants d’Amérique centrale vivant aux États-Unis au moment de l’ouragan Katrina). Un Guide des pratiques efficaces pourrait donc s’inspirer des pratiques existantes aux Amériques pour émettre des recommandations ciblées sur la manière de porter une attention spéciale à ces migrants au cours des opérations de secours. Ce défi est d’autant plus grand pour les migrants sans-papiers ou en situation irrégulière, surtout s’ils sont en transit vers une autre destination.

Le rôle du droit des réfugiés

Sur la question de la protection des migrants fuyants un désastre dans le cadre du droit des réfugiés, les états des Amériques ne considèrent généralement pas un désastre occasionné par des risques naturels comme un motif suffisant en lui-même pour accorder le statut de réfugié. Cuba est actuellement la seule exception, dans la mesure où sa législation nationale sur la migration inclut parmi la définition des réfugiés les personnes fuyant leur pays « en raison d’un cataclysme ou d’un autre phénomène de la nature ».

Néanmoins, il est reconnu dans l’ensemble des Amériques que la destruction occasionnée par les désastres peut créer des risques de persécution et/ou interrompre la protection nationale dans les États touchés, comme ce fut le cas en Haïti après le séisme de 2010. Un Guide des pratiques efficaces pourrait suggérer que les questions d’entrée, de non-déportation et de séjour pour certains des migrants fuyant un désastre soient résolues en se reportant à la loi sur les réfugiés et aux lois nationales sur la protection complémentaire.

Le rôle de la coopération régionale

Les organes régionaux et sous-régionaux américains ont un rôle à jouer pour promouvoir l’adoption de mesures migratoires spéciales pour des motifs humanitaires dans leur pays membres ; lorsque de telles pratiques existent déjà, elles ont été encouragées ou avalisées. En s’inspirant de ces pratiques, un Guide des pratiques efficaces pourrait inclure une série de propositions indiquant aux États membres comment ils peuvent utiliser la CRM pour élaborer une approche juridique plus coopérative et coordonnée lorsque les conséquences migratoires d’un désastre ont un impact profond sur un ou plusieurs États membres.

L’adoption d’un tel guide par la CRM au cours de cette année ferait de cette organisation un leader mondial en matière de réaction aux conséquences humanitaires des désastres. De surcroît, ce guide constituerait un nouveau modèle intrigant qui pourrait permettre aux États des Amériques, et peut-être aux autres régions du monde, de surmonter ce défi humanitaire.

Globalement, l’étude de l’initiative Nansen a identifié un vaste éventail de lois, de politiques et de pratiques nationales existantes relatives aux migrants touchés par des désastres aux Amériques. À l’heure actuelle, il pourrait s’avérer plus efficace de promouvoir une application cohérente et harmonisée de ces cadres nationaux dans le contexte des désastres que de chercher à les remplacer par une nouvelle loi internationale sur la « protection ».

 

David James Cantor David.Cantor@london.ac.ukd est directeur de la Refugee Law Initiative à l’École des études avancées de l’Université de Londres. www.sas.ac.uk/hrc/projects/refugee-law-initiative

L’auteur a recherché et rédigé l’étude de l’initiative Nansen et le document de discussion grâce au soutien généreux d’une bourse Future Research Leaders de l’Economic and Social Research Council [bourse numéro ES/K001051/1].



[i] Cantor D J (2014) Existing State Law, Policy and Practice on Temporary Protection Mechanisms for Natural Disasters: States of the Regional Conference on Migration and Others in the Americas, Nansen Initiative.

La CRM se compose principalement d'États d'Amérique centrale et du Nord : Belize, Canada, Costa Rica, El Salvador, États-Unis d'Amérique, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama et République dominicaine.

 

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