Le rapatriement volontaire des réfugiés vers leur pays d’origine est souvent interprété par la communauté internationale comme le signal indiquant qu’un État a la capacité de réassumer ses responsabilités envers ses citoyens. L’invocation formelle d’une Clause de cessation sur ‘ les circonstances ayant cessé d’exister’ officialise cette interprétation au regard du droit international.
Cela équivaut à la reconnaissance juridique, déterminée par un accord tripartite entre les pays d’origine, les pays d’asile et le HCR, que des ‘changements fondamentaux’ sont intervenus dans le pays d’origine de telle sorte qu’un réfugié ne ‘puisse plus… continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité[1]’. Une clause de cessation est ainsi entendue comme une preuve que des changements profonds, stables et durables ont eu lieu depuis l’époque du départ des réfugiés de telle sorte que la capacité du pays d’origine à protéger les droits de ses citoyens soit à nouveau restaurée.
C’est pour cette raison qu’une déclaration de cessation peut revêtir une importance symbolique immense pour certains États fragiles. Les États qui se relèvent d’un conflit ou d’une guerre civile peuvent utiliser la reconnaissance de stabilité inhérente à l’invocation de la clause de cessation pour renforcer leur revendication, selon laquelle, par exemple, les personnes déplacées n’ont plus besoin d’une protection permanente, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Le cas des réfugiés rwandais
Le génocide qui a ciblé des Tutsis et des Hutus modérés en 1994, et le conflit intercommunautaire et transfrontalier subséquent qui s’est prétendument achevé en 1998, ont eu pour résultat la fuite du pays de plus de 3,2 millions de réfugiés.
À bien des égards, le Rwanda est resté un État extrêmement fragile depuis lors, même si certains de ses indicateurs politiques et économiques de base ont connu des améliorations remarquables depuis 1994. Le gouvernement rwandais est cependant confronté à des critiques persistantes concernant son style de gouvernance de plus en plus autoritaire ; les restrictions qu’il impose au niveau national à la liberté d’expression et d’association politique, la manière dont il harcèle et réprime les partis d’opposition ainsi que le comportement agressif et d’exploitation de son armée en République Démocratique du Congo sont régulièrement des causes de préoccupation.
Malgré tout cela, la possibilité d’invoquer une Clause de cessation pour les réfugiés rwandais n’a cessé de faire l’objet d’intenses discussions depuis 2000. En 2010, plusieurs pays avaient décidé, en conjonction avec le HCR et le gouvernement du Rwanda, de mettre fin au statut de réfugié de tous les Rwandais dans le cadre d’une Clause de cessation générale. Suite à des débats supplémentaires entre les différentes parties impliquées et à un tollé de protestations de la part des organisations non gouvernementales il a été décidé que la Cessation serait invoquée en juin 2013. Cette cessation ne s’appliquerait toutefois qu’au réfugiés rwandais ayant fui entre 1959 et le 21 décembre 1998, dans la mesure où il a été considéré que les conditions de violence généralisée qui avaient provoqué la fuite des réfugiés rwandais jusqu’en 1999, ne constituaient plus une menace pour ces individus.
Ces limitations temporelles ont cependant été notoirement absentes des déclarations du gouvernement du Rwanda lorsqu’il se réfère à la Clause de cessation. Le gouvernement soutient qu’il doit être en conformité avec certains standards normatifs requis pour une évaluation positive de la reprise de son rôle et de sa capacité de protection, en utilisant à cet effet la Clause de cessation comme ‘preuve’ d’une telle amélioration. Le président du Rwanda, Paul Kagame, a affirmé de manière répétée « qu’in fine aucun Rwandais ne devrait plus être appelé réfugié puisqu’il n’y a plus de raison pour cela. »
Les Rwandais en exil semblent convaincus que la Clause de cessation, plutôt que de refléter un désir de de l’État de réassimiler les réfugiés rwandais, est instrumentalisée pour renforcer la réputation internationale du Rwanda. Alors que la stabilité économique, et donc politique, de l’État rwandais repose dans une large mesure sur des relations fluctuantes avec des États donateurs de plus en plus désenchantés qui ont fourni de 50 à 70 % du budget national rwandais par le biais de l’aide étrangère au cours des quinze dernières années, il n’est pas surprenant de voir le gouvernement du Rwanda décrire la cessation comme l’indication d’un plein aval au niveau international de son comportement. En conséquence, les réfugiés rwandais rencontrent de plus en plus de difficultés à faire reconnaître internationalement la persistance de leurs besoins de protection. On peut s’attendre à ce qu’ils subissent de nouveaux déplacements, et notamment qu’ils se trouvent à nouveau dans des situations de persécution potentielle.
Malgré les affirmations du gouvernement du Rwanda qui clame le contraire, de nombreux Rwandais sont encore confrontés à la persécution et vont inévitablement continuer de résister pour ne pas être rapatriés vers un État auquel ils n’accordent aucune confiance pour assurer leur protection. Des efforts plus importants doivent donc être réalisés pour éviter que la cessation ne vienne affaiblir les droits des réfugiés rwandais et leurs besoins continus de protection. Ce n’est qu’à travers une communication efficace pour clarifier les conditions précises de la Clause de cessation et en assurant le maintien de solutions alternatives durables à l’intention des réfugiés qui ne se sentent pas capables de retourner au Rwanda, que la cessation pourrait être invoquée tout en garantissant que ses conséquences négatives soient réduites au minimum.
Georgia Cole georgia.cole@qeh.ox.ac.uk est doctorante à l’université d’Oxford.
[1] UNHCR, ‘The Cessation Clauses: Guidelines on Their Application’, 1999, www.unhcr.org/refworld/dovid/3c06138c4.html [uniquement disponible en anglais]