On estime qu’il se trouve environ 160 000 personnes déplacées à l’intérieur de notre pays. Jusqu’en 2007, ce phénomène était causé par des litiges fonciers, des conflits locaux, l’intolérance religieuse, les projets de construction de grande échelle et d’urbanisation forcée, la construction de barrages, les catastrophes naturelles et le conflit zapatiste. Depuis lors, les principaux facteurs de déplacement sont la violence criminelle, les activités de certains membres des forces de sécurité et la corruption. La vulnérabilité de la plupart des familles et des personnes qui ont été forcées d’abandonner leur logement est évidente, mais les mauvais traitements qu’elles subissent ne prennent pas fin lorsqu’elles partent de chez elles : souvent, elles sont ensuite victimes d’autres abus et actes de corruption lorsqu’elles ne peuvent accéder aux services essentiels ni même subvenir à leurs besoins vitaux car elles n’ont pas tous les papiers nécessaires. Les femmes, les enfants et les peuples indigènes semblent plus particulièrement touchés.
La première chose à souligner, c’est que la société mexicaine prête très peu d’attention à cette situation, au point que l’on pourrait presque parler de déni. Sur le plan juridique, cette question bénéficie d’une couverture limitée, dont la loi pour la prévention et l’observation des déplacements internes dans l’État du Chiapas (février 2012, le premier État à légiférer sur cette question) et une initiative pour une loi générale sur la prévention et la résolution du déplacement interne, présentée au Sénat en décembre 2012 et toujours en cours d’étude par la chambre.[1] Le Sénat a également approuvé plusieurs motions appelant à l’établissement d’un rapport de la part du président de la république sur la situation des personnes déplacées de l’intérieur, ainsi que l’entrée en vigueur de politiques publiques visant à leur fournir l’assistance dont ils ont besoin.
Le second aspect à souligner concerne la complexité intrinsèque aux causes du déplacement interne forcé. Le fait de vivre au Chiapas, la présence des conflits ou le fait d’être mère ou simplement une femme sont des circonstances qui, lorsqu’elles se juxtaposent, force les personnes à fuir de chez elle. On observe des associations semblables avec le fait de résider à Sonora, Michoacan ou Oaxaca, la guerre contre les drogues, la construction de barrages et l’appartenance à un groupe ethnique, par exemple. Il est donc possible d’identifier des ensembles éventuels de conditions qui peuvent exposer un individu aux risques du déplacement, sans que ces conditions aient un lien causal direct ni d’explication linéaire. Partant de cette conclusion, il semble qu’il existe deux types d’action publique à entreprendre, en suivant les procédures juridiques correspondantes.
La première action, de nature préventive, concerne l’identification des facteurs généraux qui peuvent entraîner le déplacement. Il peut s’agir de facteurs aggravants, si bien qu’il conviendrait de prendre des mesures publiques pour les atténuer. Et si c’est un ensemble de facteurs qui entraînent la migration forcée, la mesure appropriée consisterait alors à combattre un ou plusieurs de ces facteurs afin d’éviter que des segments de la population de plus en plus grands prennent le chemin du déplacement.
Le deuxième type d’action publique est la réparation. Comme le déplacement forcé est en soi une violation des droits humains, il convient de résoudre la situation des personnes qui sont déplacées ou qui souffrent des conséquences du déplacement, y compris la stigmatisation, le déracinement, les sentiments de frustration, la désintégration familiale et les faibles espoirs de réparation, indemnisation ou accès à la justice.
Nous devons commencer par reconnaître qu’aujourd’hui, le déplacement est une question grave au Mexique. Étant donné le mode d’opération du secteur criminel dans le pays et la manière dont ces opérations sont combattues, il est fort probable que le nombre de personnes déplacées continue d’augmenter, peut-être même considérablement. Nous devons proposer des solutions basées sur la compassion envers ceux qui, parmi nous, ont quasiment tout perdu. Cette question doit être considérée de manière générale et pluridisciplinaire, faire l’objet de réglementations et de politiques publiques intelligentes, mises en œuvre durablement, visant à réparer les actions passées et à atténuer l’impact des éventuels événements à venir. Il s’agit d’un phénomène lent, silencieux et progressif, auquel il convient donc de trouver une résolution urgente et lucide.
José Ramón Cossío Díaz jramoncd@scjn.gob.mx est ministre de la Cour suprême de justice de la nation (Mexique). www.scjn.gob.mx/Paginas/Inicio.aspx
[1] Elle porte sur la protection, l’attention et la mise en place de solutions durables, et souligne l’obligation de l’État à assurer une protection humanitaire et à garantir aux Mexicains l’exercice de leurs droits humains conformément aux normes internationales.