La guerre en Ukraine a provoqué le déplacement de 1,6 million de personnes à l’intérieur du pays et le déracinement de 1,4 million de personnes supplémentaires ayant fui vers les pays voisins depuis le début du conflit en 2014[1]. Après un lent commencement, ce phénomène de déplacement a explosé avec la première vague venant de Crimée début mars 2014, puis la seconde vague en provenance du Donbass début avril 2014 ; depuis, le nombre de déplacés n’a cessé d’augmenter.
Les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI) en Ukraine sont réparties dans tout le pays, bien que concentrées dans les cinq régions de l’est. Puisque l’aire géographique est vaste, le ratio entre les personnes déplacées et la population locale dans les régions limitrophes du conflit se situe seulement entre 51 et 120 PDI pour 1 000 personnes[2] , tandis qu’il est inférieur à 5 PDI pour 1 000 personnes dans les régions de l’ouest de l’Ukraine. Selon une ONG, seulement 7 % des PDI vivent dans des centres collectifs subventionnés par l’État, tandis que 33 % vivent avec la famille ou des amis, et 60 % louent un logement à leurs frais[3].
Les centres collectifs sont localisés dans différents types de bâtiments (fournis par la région et la municipalité, des particuliers, des groupes religieux et des ONG locales) ayant été réhabilités pour répondre aux besoins des populations déplacées. Pour que ces abris soient adaptés au froid extrême de l’hiver, il a fallu fournir des matériaux de construction pour les toits et les fenêtres, ainsi que des couvertures et des bâches, pour recouvrir les fenêtres ou les sols découverts. La réhabilitation d’anciennes installations n’est pas un nouveau concept : elle a été fréquemment utilisée depuis la chute du communiste en Ukraine. La baisse du taux de natalité et l’effondrement de l’économie planifiée après 1991 ont laissé à l’abandon un grand nombre de structures au cours de la période postsoviétique ; des usines ont été transformées en centres commerciaux et des hôpitaux en universités. Quand le conflit a éclaté en 2014, le gouvernement a de nouveau recouru à cette stratégie de réhabilitation des structures afin de loger les populations déplacées. Les PDI ont été hébergées aux quatre coins du pays dans divers espaces inutilisés : camps d’été, anciennes crèches, sanatoriums et dortoirs d’étudiants.
Par exemple, les bâtiments principaux de l’ancienne résidence de Viktor Ianoukovytch, le président ukrainien déchu, abritent aujourd’hui un musée, mais les anciennes résidences de ses gardes du corps et de ses domestiques ont été transformées en logements pour PDI. L’Église orthodoxe ukrainienne a mis à disposition des sections de ses monastères pour qu’elles soient également converties en logements pour PDI. De simples citoyens ont aussi bénévolement transformé leur propriété ; un homme d’affaires de Kiev, la capitale, a offert un vieil entrepôt qui a été transformé en appartements pour loger les PDI. De vieilles installations de stockage ont été converties en lieux de vie convenables ; des camps d’été sur la mer Noire ont aussi été transformés en logements pour PDI, bien qu’un grand nombre de ces installations ne soient pas équipées pour des séjours prolongés pendant les mois d’hiver.
Ces centres collectifs peuvent loger entre 20 et 200 personnes, et la plupart d’entre eux sont surpeuplés. Une personne a comparé cette situation à la vie dans un dortoir avec des installations communes. Bien qu’il s’agisse de structures permanentes, elles constituent toujours des solutions temporaires à la question du logement ; certaines personnes restent quelques mois et d’autres se déplacent d’un endroit à l’autre à la recherche d’un travail, pendant que d’autres encore y résident depuis plus de deux ans, démontrant par là-même l’absence de meilleure solution. La pénurie de logements et les faibles perspectives d’emploi ont incité les personnes à rester dans ces centres collectifs. Toutefois, les particuliers et les organisations finiront bien par vouloir récupérer leur propriété. D’ailleurs, certaines PID ont déjà été menacées d’expulsion ou doivent payer un loyer, car bon nombre de ces propriétaires n’avaient pas prévu l’utilisation de leur propriété pendant une si longue période.
La poursuite de la guerre et les bombardements quotidiens ont été de véritables obstacles, toutes les remises en état des logements risquant d’être rapidement anéanties au gré des déplacements de la ligne de front. Plus de 20 500 maisons ont été réparées au Donbass depuis octobre 2014 tandis qu’il existe une liste d’attente de plus de 21 000 adresses dans les zones contrôlées par le gouvernement où des travaux de réparation, de modernisation structurelle, de chauffage et d’isolation sont prévus pour 2017.
Selon le droit ukrainien, le gouvernement a l’obligation de fournir un logement aux PDI, mais la mise en œuvre de cette législation s’est avérée problématique. Bien qu’un budget ait été alloué aux administrations locales pour soutenir financièrement l’hébergement temporaire des PDI, celui-ci ne couvre pas toutes les dépenses ni l’immense besoin d’abris. Le Service d’urgences de l’État ukrainien et les administrations locales renvoient vers des centres collectifs, mais les PDI doivent d’abord s’inscrire et obtenir un certificat confirmant leur statut de PDI. Beaucoup ne veulent pas s’inscrire parce qu’elles redoutent la conscription militaire, manquent de papiers (dans le cas de la population rom déplacée), ne sont pas en mesure de payer leurs impôts ou sont déconcertées par le processus d’inscription, vague et laborieux.
Vu l’état actuel du conflit, les PDI ukrainiennes risquent de rester déplacées dans un avenir prévisible. Il serait clairement avantageux que le gouvernement puisse installer ces personnes dans un logement permanent, mais cela impliquerait de reconnaître publiquement la perte des territoires d’où proviennent les PDI. Pour aider la population déplacée, le gouvernement doit toutefois dépasser les aspects politiques, rationaliser son approche et introduire des garanties afin de protéger les PDI contre toute expulsion forcée de ces centres collectifs réhabilités.
Laura A Dean deanla12@gmail.com
Professeure assistante de Sciences politiques et Williams Professor en Études internationales à l’Université de Millikin www.millikin.edu
[1] L’Observatoire des situations de déplacement interne (2016) Ukraine: Translating IDPs’ protection into legislative action www.internal-displacement.org/publications/2016/ukraine-translating-idps-protection-into-legislative-action
[2] Bureau de la coordination des affaires humanitaires (2015)
http://reliefweb.int/map/ukraine/ukraine-overview-population-displacement-21-august-2015
[3] Zaharov B (2016) Rights of the internally displaced persons, Union Helsinki ukrainienne pour les Droits de l’homme http://helsinki.org.ua/en/rights-of-the-internally-displaced-persons