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Retour sur trente ans de déplacement au nom du développement en Chine

Dès 1984, la Région autonome Hui du Ningxia au nord-ouest de la Chine, une région peu peuplée et principalement désertique – avait lancé de vastes programmes visant à restaurer un écosystème en cours de détérioration et à éradiquer la pauvreté absolue, avec le soutien du gouvernement central et de la Banque mondiale. Certaines parties de cette province montagneuse sont des zones dont l’écologie et la capacité environnementale à soutenir la vie des populations et leurs moyens d’existence sont parmi les plus précaires en Chine. Au cours des 30 dernières années, on estime que les autorités du Ningxia ont déplacé environ 700 000 paysans qui habitaient l’extrême sud de la région, une zone particulièrement affectée par les sécheresses et la pénurie d’eau.

Bien que visant à améliorer le bien-être des populations concernées, ces politiques de déplacement à grande échelle ont plutôt entraîné une série de problèmes graves pour ceux qui ont été forcés de se déplacer. Dans la plupart des cas, ces projets comportaient un volet de « développement économique local », où des usines à forte émission et à haute consommation d’énergie étaient établies dans des zones jusque-là épargnées par l’industrialisation, avec des conséquences souvent pires pour l’environnement que ne l’était la situation d’origine. Il semblerait toutefois que les commanditaires de ces projets aient réussi à rehausser leur profil politique et à faire progresser leur carrière individuelle indépendamment de leur impact sur l’environnement. La question se pose donc de savoir pourquoi la politique du gouvernement a échoué à obtenir les effets désirés.

Priorité à la modernisation

Notre enquête de terrain, menée tout au long de l’année 2014 à Ningxia auprès des communautés déplacées, a révélé les effets adverses de ces politiques de déplacement sur les familles concernées. C’est le cas, par exemple, de la famille Ma du district de Guyuan de Ningxia qui a vu son niveau d’éducation, de soins de santé et de logement se détériorer très clairement suite à son déplacement à Yinchuan. Nous estimons que les politiques de déplacement de population sont tellement enracinées dans la doctrine de modernisation du gouvernement qu’elles l’empêchent d’envisager toute solution de rechange pour lutter contre la pauvreté et la dégradation écologique.

Il existe un consensus au sein des décideurs politiques chinois à tous les paliers de gouvernement selon lequel le développement et la modernisation (habituellement exprimés de manière réductrice à l’aide d’un seul indicateur, à savoir le produit intérieur brut – PIB) sont des processus intrinsèquement bénéfiques et les remettre en question est associé à un comportement anti-productif, voire anti-patriotique. Pour les décideurs politiques chinois, il ne fait donc aucun doute que la réinstallation de communautés entières d'une zone à l'écologie « fragile » à une zone industrielle fait partie inhérente du processus de modernisation, et est une manifestation indéniable du progrès social. Ainsi, malgré l’existence de directives internationales clairement établies dans ce domaine[1], on comprend que les institutions responsables de la conception et de la mise en œuvre de ces projets de migration forcée ne puissent se permettre de demander l'avis ou l'opinion des migrants. En effet, dans le cas où ces derniers se montreraient réfractaires, voire même hostiles, à cette « marche forcée » vers une modernité et une industrialisation qu'ils n'ont pas nécessairement demandées, cela remettrait en cause le postulat développementaliste des dirigeants chinois.

Des difficultés demeurent

Des enquêtes de terrain menées récemment montrent qu’une grande partie des personnes qui ont été déplacées éprouvent encore des difficultés d’adaptation: forte diminution de la superficie des logements, augmentation conséquente des frais de subsistance, difficulté à assimiler des techniques et méthodes de plantation nouvelles et discrimination sociale. À la vue des conséquences négatives qui affectent les migrants, la promotion de la modernisation par des programmes de déplacement de population et de migration n’est peut-être finalement qu’une illusion. Bien que le développement rapide des infrastructures soit indéniable, trop peu d’attention a été portée aux préoccupations des migrants eux-mêmes et dans de nombreux cas, leur mode de vie traditionnel a été durablement perturbé.

La question des interactions entre communautés rurales, développement et environnement est complexe et il apparaît comme crucial d’assurer la pleine participation de toutes les parties prenantes tout au long de ce processus. Les communautés locales directement concernées par des programmes de développement devraient bénéficier d’un espace adéquat pour s’exprimer et choisir si oui ou non la réinstallation dans une autre région représente la solution optimale à leurs problèmes, même si le gouvernement considère leur mode de vie comme contraire à sa vision d’une société pleinement moderne.  

Il est essentiel de développer d’autres solutions moins risquées et perturbatrices pour les communautés rurales qui vivent dans un environnement écologiquement fragile tout en développant l’économie des régions concernées. En partageant les expériences réussies d’adaptation in situ n’impliquant pas de déplacement forcé, les chercheurs seront peut-être à même de conscientiser les dirigeants politiques à l’existence de modèles de rechange, haussant leur volonté et leur capacité à adopter des approches souples et participatives dans la résolution des problèmes environnementaux.

 

François Dubé 9585078@gmail.com

Doctorant, Collège d’études économiques, Université du Ningxia; Stagiaire spécialisé dans les questions de réinstallation, UNHCR Bangkok.



[1] Voir Cernea, M (1988) Involuntary resettlement in development projects: Policy guidelines in World Bank-financed projects. ISBN: 978-0-8213-1036-6

http://elibrary.worldbank.org/doi/abs/10.1596/0-8213-1036-4

 

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