Onze navires charbonniers devaient récupérer leur chargement à Newcastle, en Australie, au cours de la journée du 17 octobre 2014. Un seul d’entre eux y est parvenu ; les dix autres ont dû faire demi-tour car 30 habitants des îles du Pacifique et des centaines d’Australiens avaient décidé de résister, de bloquer et d’occuper le port à l’aide de kayaks et de canoës de construction traditionnelle. Cette action, organisée par le réseau d’action climatique « 350 Pacific », s’inscrivait dans la campagne des Pacific Climate Warriors visant à révéler les liens entre les actions de l’industrie australienne des carburants fossiles et les impacts du changement climatique anthropogène sur de nombreuses îles du Pacifique.
L’action des Pacific Climate Warriors a réuni des militants issus de douze pays insulaires du Pacifique, bénéficié d’une couverture médiatique internationale et suivi le charbon australien de la mine jusqu’au port. Elle a également ciblé les bureaux de la société ainsi que les banques facilitant l’expansion de l’industrie australienne du charbon, avant de se conclure par huit heures d’occupation exubérante du siège mondial d’ANZ, un grand investisseur dans les carburants fossiles et le principal service bancaire accessible à de nombreux habitants des îles du Pacifique.[1]
Quels enseignements peut-on tirer de deux hommes courageux venus des îles de Tokelau affrontant la puissance de l’industrie australienne du charbon dans un canoë en bois fabriqué artisanalement ?
Premièrement, cette situation peut nous inciter à remettre en question la relation entre le changement climatique, le déplacement et les États insulaires du Pacifique, et reconnaître que de nombreuses communautés de ces pays n’ont pas encore abandonné le combat, alors même que les atolls de faible altitude sont parfois traités comme des victimes inéluctables du changement climatique, déjà condamnés à disparaître avec l’élévation du niveau de la mer. Indiscutablement, il existe un très grand risque que les personnes soient déplacées, à l’échelle nationale ou internationale, et ce déplacement a déjà commencé dans le cas des îles Carteret. Toutefois, si nos efforts portent uniquement sur la gestion du déplacement dans ces pays, nous risquons alors de transformer la perte de ces habitats en prophétie auto-réalisatrice. Les Pacific Climate Warriors n’ont pas arrêté les charbonniers afin d’assurer leur avenir en tant que réfugiés climatiques. Au contraire, ils ont lancé un appel aux grandes entreprises et aux grands pays qui polluent pour leur demander d’assumer la responsabilité de leurs actions destructives pour l’environnement et de prendre des mesures d’atténuation avant qu’il ne soit trop tard.
Deuxièmement, la description des îles pacifiques comme inévitablement perdues sous la montée des eaux est souvent associée à une représentation des populations touchées en tant que victimes passives du changement climatique. Les Pacific Climate Warriors rejettent activement cette représentation et donne une vision différente et positive des communautés menacées par le climat : « Plutôt lutter que sombrer ». Face à l’éventualité du déplacement, leur campagne s’articule autour de trois axes représentatifs de leur culture : la résistance, la capacité d’action et le courage.
Troisièmement, les actions des Pacific Climate Warriors nous encouragent à penser à tous ces témoignages que nous entendons sur les questions relatives aux éventuels déplacements provoqués par le climat, et où ces témoignages peuvent être entendus. La croissance du mouvement indique que les réseaux de plaidoyer issus de la société civile sont une véritable force qu’il ne faut pas sous-estimer.
Alors que leur campagne n’en est encore qu’à ses débuts, les Pacific Climate Warriors portent un message populaire d’espoir et d’action, à l’opposé du présage d’un déplacement de population inévitable provoqué par le climat. Ils nous rappellent que tout n’est pas encore perdu en Océanie et que, grâce à des actions efficaces et engagées contre le changement climatique, la migration forcée et en masse des habitants du Pacifique pourrait bien ne jamais se produire.
Hannah Fair hannah.fair@ucl.ac.uk est doctorante à l’University College London. www.geog.ucl.ac.uk
[1] Pour en savoir plus sur les Pacific Climate Warriors, consultez http://world.350.org/pacificwarriors/.