Environ deux tiers des 27 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) dans le monde se trouvent dans des situations de déplacement prolongé.1 Le cadre conceptuel du Comité Permanent Interorganisations (CPI) sur les Solutions durables pour les PDI, identifie trois options d’installation comme solutions durables pour les PDI : le retour dans leur communauté d’origine, l
Environ deux tiers des 27 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) dans le monde se trouvent dans des situations de déplacement prolongé.1 Le cadre conceptuel du Comité Permanent Interorganisations (CPI) sur les Solutions durables pour les PDI, identifie trois options d’installation comme solutions durables pour les PDI : le retour dans leur communauté d’origine, l’installation dans la zone dans laquelle ils ont été déplacés ou l’installation dans une autre partie du pays.2 Même si le retour est l’option de réinstallation sur laquelle insistent les gouvernements et les autres acteurs internationaux, d’autres solutions durables – particulièrement l’intégration locale – devraient être prises en considération, d’autant plus lorsque les PDI veulent s’intégrer localement ou lorsqu’ils ont été déplacés pendant de longues périodes et qu’un retour reste compromis.
Dans l’objectif d’explorer à la fois les bonnes pratiques qui ont facilité l’intégration locale et les obstacles qu’elle rencontre, le Projet Brookings-LSE sur le déplacement interne et l’Observatoire des situations de déplacement interne, en collaboration avec le PNUD et l’UNHCR, ont organisé un séminaire d’experts à Genève en janvier 2011. Le séminaire s’est concentré sur six pays qui connaissent des déplacements internes prolongés – le Burundi, la Colombie, la Géorgie, la Serbie et l’Ouganda – et qui ont fait l’objet de recherches sur le terrain commanditées par le séminaire.3 Dans la plupart des cas (Colombie, Géorgie, Serbie et Burundi), les pays ont subi plusieurs vagues de déplacement. Dans les six cas, les gouvernements ont cherché à promouvoir le retour – même dans des cas où les retours ne sont pas possibles du fait d’une persistance de l’insécurité.
Malgré une insistance officielle à considérer le retour comme la solution de choix, celui-ci reste souvent difficile. Le retour a été l’option de réinstallation choisie par près de 90% des PDI en Ouganda et environ 50% des PDI au Burundi et au Sud Soudan (même si les chiffres, dans le cas de ce dernier, incluent tous ceux qui sont retournés au Sud Soudan dans son ensemble, pas nécessairement dans leurs lieux d’origine). En Colombie, en Géorgie et en Serbie, seule une petite minorité est retournée du fait de l’insécurité et de l’absence d’une résolution politique du conflit.
L’intégration locale est une option d’installation qualitativement différente du retour ou de l’installation ailleurs, dans la mesure où habituellement elle n’implique pas de mouvement physique et que les PDI ne font peut-être pas un choix conscient de s’intégrer localement à un certain moment. Alors que les gouvernements utilisent le terme de ‘retour’ lorsqu’ils parlent du retour des PDI dans leurs lieux d’origine, ils utilisent des termes différents pour l’intégration locale. Par exemple, elle est appelée ‘amélioration des conditions de vie’ en Serbie, ‘soutien pour des conditions de vie décente pour les populations déplacées et leur participation à la société’ en Géorgie, et ‘stabilisation’ en Colombie. Les options d’installation évoluent souvent avec le temps.
Les recherches dans ces six pays ont montré qu’il y a eu certains progrès vers des solutions durables à travers l’intégration locale. Des PDI au Burundi ont déclaré que le facteur principal qui avait facilité leur intégration locale était leur très fort désir de rester où ils se trouvaient. Ils avaient forgé des relations solides avec leurs voisins non déplacés, ils participaient aux affaires communautaires, ils avaient accès à des documents officiels et aux services dans la même mesure que leurs voisins non déplacés et ils se sentaient en sécurité. Au Sud Soudan, les PDI avaient adapté leurs moyens d’existence à la situation locale (de l’élevage à l’agriculture) et leur déplacement n’était pas un obstacle pour obtenir des documents officiels, recevoir des soins de santé ou être en mesure de participer à la vie publique.
Les PDI ne forment pas un groupe monolithique et la différence au niveau de leurs préférences d’installation se fonde sur leurs expériences personnelles et les circonstances de la guerre qu’ils ont connues, même à l’intérieur d’une famille. Les expériences de certains individus, familles ou groupes, provenant de zones spécifiques peuvent les induire à opter pour une intégration locale même si le retour est considéré comme possible par d’autres. En Serbie, les PDI roms sont moins intéressés par le retour que les PDI serbes, et alors que les PDI plus âgés préféreraient rentrer s’ils pouvaient rester sous la juridiction de la Serbie, des PDI plus jeunes n’y voient aucun intérêt à moins que des opportunités en termes de moyens d’existence ne soient mises à leur disposition. Les communautés indigènes en Colombie, pour lesquelles le retour sur le lieu d’origine a une importance vitale, ont été déplacées plusieurs fois et continuent à retourner chez elles.
Il se peut aussi que les PDI préfèrent des options mixtes d’installation, par exemple en faisant des aller et retour jusqu’à leur lieu d’origine pour travailler leur terre. En Ouganda, certains PDI ont fait le choix simultané de retourner chez eux et de s’intégrer en utilisant les terres dans leur lieu d’origine pour y vivre et pour cultiver, tout en conservant une entreprise sur le lieu de leur déplacement. Au Burundi, la majorité des PDI continuent à cultiver leurs terres dans leur lieu d’origine tout en vivant dans des installations de PDI. Les intentions et les préférences des PDI peuvent également changer avec le temps et en fonction de l’endroit où ils sont déplacés ; même dans des situations prolongées, le déplacement reste un processus dynamique.
Les obstacles à l’intégration locale
Dans tous les cas étudiés, des difficultés touchant à trois questions interconnectées se sont trouvées au centre des obstacles majeurs à l’intégration : l’accès à la terre et la garantie de sa jouissance, le logement et les moyens d’existence. De nombreux PDI au Burundi vivent dans des installations construites sur des terres sur lesquelles différents intérêts privés ou publiques pourraient revendiquer des droits, alors qu’au Soudan, bien souvent les PDI ont occupé des maisons appartenant à des réfugiés qui les ont reprises lorsqu’ils sont revenus. Les PDI dans les situations prolongées continuent à vivre dans des logements délabrés et surpeuplés, sur lesquels bien souvent ils n’ont pas de droit de jouissance adéquatement établi. Les programmes d’assistance au logement en Colombie, en Géorgie et en Serbie par exemple, n’ont pas entrainé de manière habituelle l’obtention d’un logement permanent.
Les moyens d’existence sont essentiels à l’intégration locale. Après avoir été expulsés (un processus rendu encore plus facile parce qu’ils n’ont pas de titres bien établis), les PDI au Sud Soudan perdent également leurs récoltes et l’accès à leurs moyens d’existence. En Ouganda l’accès aux programmes relatifs aux moyens d’existence est difficile, parce que la plupart de ces programmes ne ciblent que les zones de retour. En Serbie, en 2010, une enquête a indiqué que les PDI sont deux fois plus susceptibles d’être sans emploi que leurs voisins non déplacés.
Une autre différence a été observée entre les situations de déplacement décrites dans les six études de cas, et elle touche à l’attitude de la communauté d’accueil envers les PDI. En Ouganda, la population était initialement accueillante mais graduellement elle s’est lassée de recevoir des PDI. Au Burundi et en Géorgie, par contraste, les membres de la communauté d’accueil et les PDI ont indiqué qu’ils ont toujours eu des relations amicales et que les mariages entre les deux communautés étaient fréquents. En Colombie, les déplacements internes ont drainé les ressources locales ; les gouvernements locaux étaient d’accord pour accueillir des PDI mais ils manquaient parfois de capacité d’absorption. Les autorités locales sont essentielles lorsqu’il s’agit de faciliter l’intégration locale mais bien trop souvent le gouvernement central impose aux gouvernements locaux de fournir des services aux PDI sans transférer les fonds correspondants au niveau local. Un certain niveau d’acceptation politique est nécessaire pour créer les instruments légaux et politiques et les programmes capables de favoriser l’intégration locale, et pour garantir que les PDI qui vivent au sein de communautés d’accueil se sentent en sécurité, qu’ils aient accès aux services et qu’ils reçoivent le soutien dont ils ont besoin.
Différents aspects de développement, titres de jouissance, moyens d’existence, services et gouvernance, sont essentiels pour permettre aux PDI de s’intégrer localement. Les recherches ont montré que les organisations de développement sont bien impliquées dans les situations de déplacement interne couvertes par les études de cas, mais pas dans la mesure qui serait nécessaire. En Ouganda, la plupart des agences ont remarqué une séparation critique entre le soutien humanitaire et les programmes transitionnels et de développement. Idéalement, les programmes de rétablissement précoce devraient s’occuper des cas de mauvaise adjudication de terres en renforçant la gouvernance et les systèmes juridiques, et aussi en soutenant des interventions au niveau des moyens d’existence avant que les retours ne soient entrepris. Les organisations de développement comme la Banque Mondiale et USAID ont consacré un financement conséquent aux PDI en Géorgie, même si cela a ciblé principalement les nouveaux déplacés plutôt que les personnes en déplacement prolongé. Au Burundi, le PNUD a entrepris une série d’études socio-économiques des installations de PDI dans trois provinces dans le but d’aider les personnes les plus vulnérables à trouver des solutions viables et durables. En Colombie, des organisations comme la Banque interaméricaine de développement s’intéressent aux questions liées aux PDI – mais la transition après le soutien d’urgence ne s’est habituellement pas effectuée sans heurts.
L’intégration locale et le retour ne devraient pas être considérés comme des solutions s’excluant mutuellement. Les PDI peuvent être encouragés à s’intégrer localement tout en se gardant la possibilité d’un retour éventuel lorsque les conditions le permettront. Il se pourrait que certains gouvernements soient plus enclins à accepter l’intégration si elle est présentée comme une mesure intérimaire ou temporaire même s’il faut admettre qu’il existe une contradiction entre les termes intégration ‘intérimaire’, et solutions ‘durables’.
Les PDI ont droit à une solution durable. Etant données les difficultés associées au retour dans de nombreuses régions, il faut accorder davantage d’attention et de soutien à l’intégration locale et la considérer comme une alternative viable pour de nombreux PDI dans le monde qui vivent un déplacement prolongé. Les PDI devraient avoir l’opportunité de poursuivre leur vie.
Elizabeth Ferris (eferris@brookings.edu) est co-directrice du Projet Brookings-LSE sur le déplacement interne (www.brookings.edu/projects/idp.aspx) et Kate Halff (kate.halff@nrc.ch) dirige l’Observatoire des situations de déplacement du Norwegian Refugee Council (www.internal-displacement.org).
Pour plus d’informations sur le séminaire rendez-vous sur: www.internal-displacement.org/thematics/durable-solutions
1 Voir le rapport sur le Séminaire d’experts sur les déplacements internes prolongés, juin 2007. www.brookings.edu/fp/projects/idp/conferences/20070622.pdf
2 Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays
http://tinyurl.com/IASCDurableSolutions-fr
3 Le rapport du séminaire est disponible sur :
http://tinyurl.com/IDMC2011-localintegration-fr
Les six études de cas sont disponibles [uniquement en anglais] sur: http://tinyurl.com/Brookings2011casestudies