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Des réfugiés qui aident des réfugiés : le financement d’organisations dirigées par des réfugiés implantées en Égypte
  • Alya Al-Mahdi, Buay Peter Kun et Daowad Adam
  • November 2024
Personnel de RLO assistant à une conférence sur le renforcement des capacités et le partage des connaissances, Le Caire 2024. Crédits : Manhal Al Yamani

Les conditions imposées par les donateurs internationaux bloquent souvent l’accès des organisations dirigées par des réfugiés (RLO) au financement. Or, comme le montrent les RLO basées en Égypte, le financement direct des RLO est une réponse efficace, rentable et durable face aux déplacements.

La grande majorité des RLO basées en Égypte sont des entités locales qui fonctionnent uniquement grâce aux dons de temps, de compétences et de ressources de la part de volontaires qui s’engagent pour leurs communautés. Alors que le fossé ne cesse de se creuser entre les besoins des réfugiés et leur accès à des services pour faire valoir leurs droits, les RLO d’Égypte comblent des lacunes critiques qui existent dans ce domaine en proposant des services aux réfugiés et aux migrants, et notamment aux personnes nouvellement déplacées qui n’ont pas accès aux services de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés ou des ONG locales ou internationales.

En tant que premiers intervenants, ces RLO apportent une assistance immédiate en terme d’abri, de nourriture, de prêts d’urgence et d’enregistrement des naissances. Elles jouent un rôle clé pour orienter les réfugiés vers des services essentiels, leur permettant d’accéder à des documents juridiques, des soins de santé ou des services pédagogiques, ou de répondre à d’autres besoins élémentaires. Les ONG locales et internationales font souvent appel aux RLO pour atteindre les réfugiés et déployer leurs propres services en s’appuyant sur les volontaires et les installations de celles-ci. Mais si les ONG locales et internationales considèrent les RLO comme des partenaires clés, elles ne partagent que rarement leur financement avec elles. Dès que le projet d’une ONG locale ou internationale est terminé, les services qu’elle propose prennent généralement fin, ignorant le fait que les communautés continuent de faire appel aux RLO. Celles-ci doivent alors poursuivre leurs opérations d’assistance sans aucune aide financière.

Lacunes des méthodes de financement classiques

Les modèles de financement classiques[1] répondent souvent à une logique descendante qui ne permet pas de relever les défis complexes auxquels sont confrontées les communautés déplacées. Ces défis nécessitent plutôt la mise en place de modèles de partenariat largement utilisés par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés et les organisations affiliées à l’ONU.

Les RLO basées en Égypte se heurtent souvent à des obstacles importants pour accéder à des financements en raison de contraintes juridiques qui les empêchent de s’enregistrer officiellement. Par ailleurs, l’absence de documents officiels et de comptes bancaires complique le financement des donateurs. Pour couvrir leurs frais de base (loyer, services publics, rémunération de leur personnel, etc.), les RLO puisent dans leurs propres ressources et font appel aux dons. Malgré ces difficultés et la faiblesse de leurs ressources, les RLO jouent un rôle essentiel dans la réponse apportée aux réfugiés, et leur action sur le terrain est véritablement déterminante pour aider ces communautés. La réussite et l’efficacité de ces RLO sont la preuve irréfutable que les réfugiés possèdent les connaissances et les compétences nécessaires pour élaborer et mettre sur pied des projets qui profitent à leurs communautés.

De nouveaux modes de financement des RLO

Les nouveaux mécanismes de financement qui voient actuellement le jour laissent entrevoir la possibilité d’une aide communautaire plus directe, plus efficace et plus durable en attribuant directement des ressources financières aux RLO, en donnant à celles-ci les moyens d’adapter leurs interventions aux besoins spécifiques de leurs communautés, et en cultivant un sentiment d’appropriation et d’autonomie au sein des populations déplacées.

Reconnaissant le rôle essentiel que jouent les RLO, certaines ONG locales et internationales ont tenté de renforcer leurs partenariats avec ces organisations. Deux des co-auteurs de cet article travaillent pour StARS, une organisation dirigée par des réfugiés basée au Caire. StARS a récemment lancé un projet visant à offrir un soutien global à d’autres RLO du Caire afin de renforcer leurs capacités institutionnelles et opérationnelles, et de proposer un soutien collaboratif pluriannuel. Cette initiative a permis à StARS de partager son expertise et de simplifier l’accès au financement d’autres RLO.

New Vision est une autre RLO basée au Caire qui a  rencontré d’importantes difficultés pour accéder au financement en l’absence d’un enregistrement officiel et d’un compte bancaire, alors que sa demande de financement avait pourtant été acceptée, New Vision a signé un accord de parrainage fiscal avec une RLO partenaire afin d’obtenir les fonds en question par le biais d’un intermédiaire. Cette initiative lui a permis d’accéder aux ressources qu’il lui fallait pour mener à bien ses missions essentielles. Le cas de New Vision souligne à quel point il est important de mettre en place des mécanismes de financement souples et inclusifs pour assurer l’efficacité des RLO et leur permettre d’avoir un impact significatif au sein de leurs communautés.

Avantages des RLO en matière de maîtrise des coûts, de durabilité et d’efficacité

La maîtrise des coûts est l’un des principaux atouts des RLO, comparativement aux ONG locales et internationales. Les pratiques des RLO sont particulièrement rentables grâce à une utilisation plus efficace des ressources mises à leur disposition (location de bureaux polyvalents, versement de salaires locaux au personnel réfugié par opposition aux salaires élevés versés au personnel d’associations humanitaires internationales). En leur capacité d’organisations de terrain, les RLO sont implantées dans les quartiers où vivent les communautés de réfugiés. Elles utilisent les mêmes locaux à faible loyer, évitant ainsi les fortes dépenses opérationnelles des ONG internationales qui doivent mettre en place des mesures de sécurité avancées, une infrastructure technologique et des restrictions d’accès (programmation de rendez-vous ou orientations par l’intermédiaire d’organisations partenaires). Bien que souvent nécessaires, ces protocoles de sécurité stricts peuvent limiter l’accessibilité de leurs clients, particulièrement dans les cas de crise où il est essentiel d’apporter une assistance urgente. Les RLO peuvent, au contraire, maintenir une politique de porte ouverte pour permettre aux personnes dans le besoin de venir chercher de l’aide sans prendre de rendez-vous. Les RLO entretiennent également des liens très étroits avec les communautés dans lesquelles elles interviennent. Cette proximité garantit l’utilisation efficace et pertinente de leurs ressources et évite les dépenses de fin d’année consacrées à des activités de moindre impact qu’effectuent certaines organisations plus importantes.

StARS a récemment mené une étude qui comparait l’aide fournie par StARS et celle fournie par Save the Children International (SCI) et le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette évaluation a montré que les programmes de StARS sont plus rentables et renforcent de manière significative l’accessibilité de toutes les nationalités, et notamment de certains groupes plus marginalisés comme les survivant(e)s de VBG et d’actes de torture, et les personnes LGBTQI, ainsi que les migrants en situation irrégulière et sans papiers.

Au Caire, les RLO ont atteint de manière particulièrement efficaces les Syriens, les Yéménites et les Érythréens au sein même de leurs localités. Selon les auteurs de cet article, ces résultats s’expliqueraient par le contexte culturel de ces nationalités. Ces personnes sont en effet moins susceptibles de rechercher des services, préférant obtenir de l’aide dans le cadre d’initiatives de solidarité communautaire. Grâce à leur engagement à long terme auprès de ces communautés et à la connaissance de leurs sensibilités culturelles, les RLO sont souvent à même d’identifier les personnes et les groupes les plus isolés ou les plus à risque qui hésitent à se manifester ou à contacter les prestataires de services traditionnels et les ONG locales et Internationales.

Les RLO jouent également un rôle essentiel pour apaiser les tensions liées au déplacement qui peuvent apparaître lorsque des réfugiés vivent dans des quartiers urbains aux côtés des communautés d’accueil. Usant de divers moyens, elles proposent aux nouveaux arrivants des conseils et des informations précises et actualisées sur leur nouvel environnement, organisent des séances de sensibilisation communautaire et renforcent la résilience et l’intégration des communautés. Les RLO facilitent également la mise en relation des réfugiés et des migrants, la cohésion communautaire, la protection sociale ainsi que la préservation culturelle. Ces efforts améliorent l’intégration et le bien-être de leurs communautés et confèrent aux RLO un rôle essentiel en tant que centres communautaires dans différents sites. Notons également qu’une proportion importante d’enfants réfugiés fréquentent des écoles communautaires gérées par des organisations dirigées par des réfugiés. Ces établissements sont complémentaires des écoles publiques et aident à surmonter les barrières linguistiques, la xénophobie et le harcèlement.

Les RLO garantissent des moyens de subsistance

Le financement des RLO permet de financer la réponse au déplacement dans la mesure où les personnes qui travaillent pour les RLO bénéficient de moyens de subsistance durables. Dans un contexte où les réfugiés se voient refuser le droit au travail et sont souvent victimes d’esclavage moderne, les RLO proposent des moyens de subsistance sûrs et décents Cette stabilité nourrit un sentiment de sécurité et permet au personnel réfugié de se concentrer sur son travail sans être en permanence en proie à des soucis financiers. Le travail rémunéré crée par ailleurs des opportunités et des liens jusqu’alors inaccessibles, qui aident les réfugiés à améliorer leurs compétences, à élargir leurs réseaux professionnels et à gagner en influence au sein de la communauté.

Les RLO organisent aussi fréquemment des initiatives de renforcement des capacités au sein de la communauté, avec notamment des programmes de formation et de développement des compétences qui autonomisent l’individu. Cette approche durable contribue à briser le cycle de la dépendance et crée des opportunités de résilience et de croissance à long terme. L’originalité des services proposés par StARS, New Vision et d’autres RLO réside dans leur respect des sensibilités culturelles, leur authenticité et leur profonde compréhension des communautés qu’elles aident. Ces services s’adaptent parfaitement aux besoins spécifiques, aux nuances culturelles et au vécu des membres de la communauté.

Le renforcement des capacités des RLO et l’amélioration de leurs compétences opérationnelles profitent à la communauté sur le long terme. Dans les périodes de pénurie financière, les compétences développées par le personnel des RLO, par les volontaires et par les participants à leurs programmes leur permettent de soutenir efficacement leurs communautés. Les RLO restent à l’écoute des besoins de la communauté et compensent le manque de financement en limitant leurs coûts opérationnels ou en faisant appel aux dons afin d’assurer leurs services essentiels et de faire face aux urgences.

Des défis logistiques

Les difficultés d’accès au financement sont un problème permanent pour les RLO. On constate tout d’abord que la plupart des RLO peinent à respecter le cadre réglementaire des pays hôtes. Sans intermédiaire, obtenir le financement direct d’un donateur est particulièrement difficile.

Malheureusement, il existe peu d’intermédiaires adaptés qui acceptent de faciliter ces financements. Il s’agit là d’un problème de taille dans la mesure où pour accéder à des comptes bancaires il faut parfois établir un mémorandum d’entente avec un partenaire local.

Enfin, en dépit des demandes répétées des RLO pour l’adoption de nouveaux modèles de financement dont elles ont démontré l’efficacité, les donateurs se montrent encore réticents. Cette frilosité s’explique peut-être par le fait que, dans certains contextes, l’accès aux RLO reste limité et par le fait qu’ils leur préfèrent des ONG internationales avec lesquelles ils entretiennent des relations de longue date. Se pose alors la question de savoir comment les RLO peuvent démontrer leur capacité à attirer des fonds si on les prive de cette opportunité.

En faisant preuve d’innovation, StARS ainsi que d’autres RLO basées en Égypte ont réussi à surmonter les difficultés de financement par des donateurs. Pour obtenir ce résultat, elles ont misé essentiellement sur la sensibilisation des donateurs aux défis spécifiques que doivent relever les RLO. En familiarisant les donateurs avec le modèle des RLO et en soulignant sa rentabilité, StARS a réussi à instaurer un climat de confiance et a mis en lumière la qualité des résultats obtenus grâce à une utilisation efficace des ressources. Ce choix s’est révélé payant. Il a permis d’attirer le soutien des donateurs et a aidé StARS à obtenir un parrainage fiscal par le biais d’autres organisations. D’autres RLO sont parvenues à relever ces défis en s’affiliant à des organisations locales (ce type de dispositif n’est toutefois pas sans inconvénients).[2]

Recommandations

  • Les donateurs doivent reconnaître que les RLO sont des acteurs essentiels en matière de localisation mondiale et de leadership pour les réfugiés. L’idée selon laquelle les RLO présenteraient un « risque trop important » ne repose sur aucune preuve concrète et a suscité l’adoption de critères de conformité et de diligence excessifs qui bloquent l’accès au financement de nombreuses RLO.
  • Au vu des restrictions qui limitent le droit fondamental à la liberté de réunion dans de nombreux pays qui accueillent des réfugiés, les donateurs doivent envisager des alternatives à l’obligation d’enregistrement légal. En lieu et place d’un enregistrement officiel, ceux-ci pourraient accepter des références, des rapports financiers et des preuves de réalisation de projets.
  • Dans la mesure où l’exigence de détention d’un compte bancaire est souvent corrélée à un enregistrement formel (un élément clé qui fait défaut à de nombreuses RLO), les donateurs doivent encourager le financement des RLO par le biais de parrainages fiscaux ou d’autres moyens. Les ONG doivent jouer un rôle d’intermédiaire pour faciliter ces financements.
  • Les donateurs doivent rationaliser leurs exigences, en se concentrant exclusivement sur les moyens d’action institutionnelle et de gouvernance essentiels pour mener à bien des projets, collecter des fonds, assurer un suivi, évaluer les résultats et engager du personnel, sans plomber l’action des RLO en exigeant une documentation excessive en matière d’administration et de gouvernance.
  • Les exigences concernant la rédaction de propositions et la préparation de rapports doivent privilégier une approche axée sur la communauté, en permettant notamment la soumission verbale de rapports d’avancement ainsi que l’utilisation de supports et de langues que les RLO maîtrisent bien.
  • Enfin, la mise à disposition de financements s’étendant sur plusieurs années permettrait aux RLO d’acquérir davantage d’expérience, de développer des systèmes financiers plus robustes, et de renforcer leurs capacités par réseautage afin d’identifier de nouvelles sources de financement et d’améliorer leur travail de sensibilisation. Afin de promouvoir la durabilité des RLO, d’améliorer leur efficacité dans la mise en œuvre des projets, et de renforcer les capacités communautaires au fil du temps, nous recommandons que les donateurs élargissent le financement de leurs projets de manière à assurer deux ans de couverture au minimum.

Le financement des RLO a un effet transformateur sur ces organisations et sur les communautés qu’elles soutiennent. Ces nouveaux mécanismes de financement autonomisent les RLO, améliorent les moyens de subsistance de leur personnel, renforcent l’engagement communautaire et favorisent la résilience à long terme. Soutenir et investir dans les RLO est essentiel pour apporter des réponses durables et équitables aux déplacements, et favoriser l’autonomie ainsi que la dignité des personnes déplacées.

 

Alya Al Mahdi
Directrice adjointe des programmes, Saint Andrew’s Refugee Services (StARS)
amahdi@stars-egypt.org

Buay Peter Kun
Responsable principal des politiques et plaidoyers en charge du développement, StARS
bpeter@stars-egypt.org

Daowad Adam
Directeur du New Vision Center For Educational & Social Development.
Daod11@yahoo.com

 

[1] Voir ODI (2023) The failure to fund refugee-led organisations: why the current system is not working, and the potential for change bit.ly/odi-failure-fund-rlos

[2] Hegazy N ‘The Sidelined Front-liners: Eritrean CBOs in Greater Cairo’ Université américaine du Caire bit.ly/eritrean-cbo-cairo

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