Les données recueillies en Colombie montrent que le financement axé sur les résultats n’est pas suffisamment utilisé dans les réponses aux déplacements forcés, sachant que cet outil pourrait permettre de surmonter les défis liés à la mise en œuvre des politiques et d’optimiser l’impact et la rentabilité des programmes d’intégration.

Au cours des dix dernières années, près de 7,7 millions de Vénézuéliens ont été forcés de fuir leur pays, et plus de 2,8 millions d’entre eux ont émigré vers la Colombie.[i] Instiglio est une organisation à but non lucratif qui aide le secteur public à adopter des politiques axées sur les résultats. Cette organisation a contribué à la mise en place d’un financement axé sur les résultats destiné aux programmes de soutien aux Vénézuéliens en Colombie, en agissant en partenariat avec des gouvernements, des donateurs et des prestataires de services sociaux.

Lorsqu’ils sont adéquatement intégrés, les migrants (et les réfugiés)[ii] peuvent apporter des avantages aux communautés qui les accueillent. Si l’Amérique latine et les Caraïbes font figure d’exception en attribuant un statut migratoire officiel aux Vénézuéliens déplacés et en leur proposant des services, plusieurs millions de ces migrants n’ont aucun statut migratoire officiel et ne peuvent donc ni travailler ni accéder à certains services gouvernementaux. Parmi ceux qui disposent d’un statut migratoire officiel, beaucoup se heurtent à divers obstacles dans leur parcours d’intégration socioéconomique. Lorsque les décideurs politiques adoptent des politiques d’intégration, les difficultés liées à leur mise en œuvre empêchent souvent celles-ci d’obtenir les résultats voulus. Le financement axé sur les résultats consiste à récompenser les organisations dès lors que les résultats convenus ont été atteints. Son utilisation renforce l’efficacité des programmes qui concernent les migrants et les communautés d’accueil, et elle permet également de lever les obstacles qui entravent fréquemment la mise en œuvre des politiques d’intégration.

Mettre en œuvre des politiques qui misent sur les avantages que présente la migration

La migration présente de nombreux avantages, ainsi que des coûts pour les migrants, leurs pays d’origine et leurs pays d’accueil. Ces avantages et ces coûts dépendent de multiples facteurs comme les compétences et les qualités personnelles des migrants, les circonstances dans lesquelles ceux-ci ou celles-ci arrivent dans le pays d’accueil, ou encore les politiques qu’applique ce pays en matière de migration. Afin de minimiser les coûts et de profiter pleinement des avantages de la migration, les migrants doivent impérativement s’intégrer dans leur pays d’accueil. Certains coûts, comme les frais de santé, par exemple, seront en effet moins élevés s’ils peuvent bénéficier de soins préventifs. Leurs contributions seront par ailleurs plus importantes s’ils travaillent de manière légale, mettent en pratique l’éducation, les compétences et l’expérience qu’ils ont acquises, et paient des impôts. Mais pour cela, les migrants doivent posséder des papiers en règle, pouvoir se déplacer dans le pays, obtenir légalement des emplois, faire valoir leurs diplômes académiques ainsi que leurs qualifications professionnelles, et avoir accès aux services d’éducation et de santé du pays d’accueil.

De nombreux pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont adopté des politiques d’intégration socioéconomique afin de tirer parti des avantages que présente la migration. Le Chili, la Colombie, le Costa Rica et le Pérou sont les premiers pays de cette région à avoir mis en place avec succès des programmes d’intégration des migrants. Ces politiques simplifient les processus d’enregistrement, accélèrent l’attribution d’un statut juridique, reconnaissent les compétences et les qualifications des migrants formés à l’étranger, et proposent des services publics qui respectent chaque culture. Pourtant, l’adoption de politiques d’intégration n’est qu’une première étape dans la mesure où leur mise en œuvre peut se heurter à de nombreux obstacles.

Obstacles à l’application de politiques d’intégration socioéconomique

Difficultés de ciblage, de surveillance et de suivi
Les bases de données gouvernementales ne reflètent pas toujours la réalité des flux migratoires et leurs caractéristiques. Cela est particulièrement vrai dans le cas des populations en situation irrégulière, pour lesquelles les gouvernements ne disposent parfois d’aucune donnée. Dans de nombreux pays, les villes reçoivent généralement des subventions basées sur la taille de leur population. Or, lorsque le nombre exact de migrants est sous-estimé, elles ne disposent pas des fonds nécessaires pour proposer à chacun des services adéquats. Les programmes censés améliorer les conditions de vie des migrants ne parviennent pas à cibler correctement leurs besoins réels car ils manquent d’informations concernant leur lieu de résidence ou leur identité. Et une fois que les programmes ont été lancés, les gouvernements peinent souvent à faire un suivi de cette population particulièrement mobile.

Difficultés de conception de politiques d’intégration efficaces
Les gouvernements méconnaissent parfois les besoins spécifiques des populations migrantes ou ignorent comment répondre à des besoins qui ne leur sont pas familiers. Il leur faut alors faire preuve de souplesse pour permettre aux prestataires de services d’obtenir des résultats en évitant d’être trop directifs. Ils peuvent également reproduire des modèles d’intervention qui ont fait leurs preuves avec d’autres populations migrantes.

Une intervention efficace à petite échelle ne fonctionnera pas nécessairement à grande échelle
Les gouvernements ont souvent tendance à généraliser des modèles d’intervention ayant bien fonctionné à petite échelle. Pourtant, un programme appliqué dans une phase pilote ne sera pas nécessairement efficace à grande échelle. En effet, une population plus large pourra présenter des caractéristiques différentes, ou être plus difficile à cibler pour assurer la qualité du programme à grande échelle.

Présentation du financement axé sur les résultats

Prenons l’exemple de projets visant à combler le fossé linguistique entre migrants et communautés d’accueil. Dans une telle situation, les gouvernements passent généralement un contrat de marché public avec un prestataire privé pour assurer des cours et proposer des supports d’apprentissage à un coût donné (et dans le pire des cas, simplement pour émettre des factures). Avec un contrat axé sur les résultats, les paiements effectués dépendraient au moins en partie de l’amélioration des compétences linguistiques des migrants. Cette condition encouragerait le prestataire à investir dans les solutions les plus efficaces et à abandonner les activités n’apportant aucune valeur. Cette souplesse, associée à des mesures incitatives adaptées, crée un environnement favorable à l’obtention de résultats positifs.

La Colombie fait figure de leader, parmi les pays à revenus faibles et moyens, en matière de financement axé sur les résultats. Le pays a commencé par émettre des obligations à impact social (un instrument financier fondé sur les résultats qui combine des fonds publics et privés) afin d’obtenir des résultats positifs en matière d’emploi. Il a ensuite élargi ce programme pour intégrer des contrats axés sur les résultats pour un montant de plusieurs millions de dollars et concernant des milliers de bénéficiaires (ces contrats permettent à l’État colombien d’embaucher des fournisseurs, sans impliquer les investisseurs, et de conditionner une partie du financement aux résultats obtenus).

Aujourd’hui, des entités nationales et infranationales utilisent les marchés publics axés sur les résultats dans des secteurs aussi variés que le développement de la petite enfance, la lutte contre le sans-abrisme et les soins de santé. Dans cette optique, il n’est pas surprenant que la Colombie privilégie le financement axé sur les résultats pour financer et atteindre ses objectifs d’intégration socioéconomique pour les migrants vénézuéliens.

Une meilleure gestion des données et des performances

Avant de pouvoir établir un système de paiements axés sur résultats, il est impératif de disposer de données claires et fiables sur la population cible et sur l’impact du programme en question. La réussite de ce système dépend par ailleurs de la capacité des entités chargées de sa mise en œuvre à déterminer, au moyen de données adéquates, si le programme fonctionne ou s’il faut rectifier le tir à mi-parcours. Pour cela, les fournisseurs de ces programmes doivent améliorer dès le départ leurs collectes de données et leur gestion de la performance. Les organisations qui participent à des contrats axés sur les résultats bénéficient dès lors de systèmes de gestion des données et des performances dont l’utilité dépasse généralement la durée de vie du programme en question.

À Barranquilla, le Projet de durabilité du système de santé local de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), connu en Colombie sous le nom de « Comunidades Saludables » (des communautés en bonne santé), s’est associé à la Fundación Santo Domingo (fondation Santo Domingo), à l’Universidad Simón Bolivar (université Simón Bolivar), ainsi qu’au bureau du maire de Barranquilla et à Mi Red Barranquilla (Mon réseau Baranquilla) (le prestataire de services de santé public-privé de Barranquilla) afin de mettre sur pied un projet axé sur les résultats appelé Voy a ser mamá (je vais être maman). Le but de ce projet est d’améliorer les résultats en matière de santé maternelle obtenus par les migrantes vénézuéliennes qui sont exclues du système national d’assurance maladie en raison de leur statut migratoire irrégulier. Dans le cadre de ce projet, lancé en 2023, la Fundación Santo Domingo a conclu un accord avec l’Universidad Simón Bolívar, laquelle a, à son tour, signé un contrat axé sur les résultatsavec Mi Red Barranquilla afin de fournir des services prénataux aux femmes migrantes. Les paiements reçus par Mi Red Barranquilla varient en fonction d’indicateurs comme le nombre de contrôles prénataux effectués par patiente ou l’identification et le traitement en temps opportun des mères atteintes de syphilis ou porteuses du VIH. Grâce à la mise en place de ces systèmes, Mi Red Barranquilla et le bureau du maire vont pouvoir continuer à recueillir beaucoup plus d’informations que par le passé sur les indicateurs de santé maternelle des femmes migrantes, ce qui constitue un avantage évident de ce projet.

Identification des meilleurs programmes et politiques d’intégration

L’élaboration et la mise en œuvre de politiques d’intégration efficaces sont entravées par le fait que les gouvernements et les entités de mise en œuvre ont peu d’expérience des migrants et des programmes d’intégration, et ne disposent pas de modèles de réussite avec ces populations. Le financement axé sur les résultats surmonte ces difficultés en créant un environnement souple et incitatif qui stimule l’innovation basée sur les données.

À Barranquilla, le prestataire de services de santé sait comment améliorer l’observance des rendez-vous prénataux chez les patientes colombiennes. En revanche, il manque de connaissances pour faire de même avec les patientes vénézuéliennes qui déménagent, changent fréquemment de numéro de téléphone, ne font pas confiance au système de santé ou le connaissent mal. Il doit alors émettre des hypothèses sur les solutions qui pourraient éventuellement fonctionner ( suivi par WhatsApp, prise de contact par le biais d’organisations communautaires, ou renforcement de sa collaboration avec les systèmes de santé des municipalités voisines). Le contrat axé sur les résultats lui permet de tester ces hypothèses afin d’obtenir de meilleurs résultats.

À Medellín, l’administration municipale aide, quant à elle, les ménages en situation de sans-abrisme à générer des revenus durables. Au cours des cinq dernières années, le pourcentage de Vénézuéliens qui participent à ce programme est passé à 70 %. Durant cette période, la municipalité a constaté une baisse des résultats du programme, sans en connaître la cause exacte ni identifier la meilleure façon de servir les migrants. Nous sommes intervenus pour élaborer un contrat axé sur la performance permettant au fournisseur d’établir un environnement novateur axé sur les données dans le but d’identifier une meilleure stratégie. Une partie du paiement versé à ce fournisseur dépend de l’amélioration de certains indicateurs, comme le fait que les familles concernées gagnent suffisamment d’argent pour payer leur loyer à la fin du programme. Dans les cas où il est difficile d’identifier l’intervention qui fonctionnera le mieux, le fait d’accorder à un prestataire de la flexibilité et des mesures incitatives favorise l’expérimentation dans le respect de certains paramètres.

Généraliser les interventions efficaces

Lorsque des programmes fonctionnent bien, les gouvernements, les donateurs et les responsables de la mise en œuvre ont naturellement tendance à vouloir les généraliser afin d’en faire bénéficier une population plus large. Or, il est souvent difficile d’obtenir le même impact à grande échelle que lors des phases pilotes à un niveau plus réduit. Face à cette difficulté, la proposition de mesures incitatives moyennant un financement axé sur les résultats peut non seulement faciliter la généralisation de ces programmes en respectant les paramètres du modèle d’origine, mais aussi offrir plus de flexibilité au niveau de la conception du programme proprement dit.

Semillas de Apego (Graines d’Attachement) est un programme de l’Universidad de Los Andes (Université des Andes) qui accompagne les parents ayant vécu un traumatisme afin d’éviter la transmission intergénérationnelle de cette blessure à leurs enfants. La première version de ce programme, en 2015, s’adressait à des personnes déplacées à l’intérieur de la Colombie. Une évaluation de son impact, à une échelle moyenne, a montré des résultats positifs au niveau de la santé mentale maternelle, des relations enfants-parents et de la santé mentale de la petite enfance. Aujourd’hui, l’Université développe ce programme pour l’étendre aux migrants vénézuéliens et à leurs familles. Mais à l’heure où il passe de 450 à 6 000 familles, le degré de loyauté dont il bénéficie se trouve compromis. Cela s’explique par le fait que le recrutement de nouveaux partenaires pour déployer ce programme à plus grande échelle risque d’augmenter la rotation du personnel et de faire baisser les taux de rétention des participants par rapport aux phases pilotes. Face à cette difficulté, un dispositif conditionnant en partie la rémunération des responsables de la mise en œuvre au maintien des faibles taux de rotation et des taux de rétention élevés constatés pendant la phase pilote, pourrait garantir le respect du modèle pendant la phase d’élargissement du programme.

Quand et comment utiliser le financement axé sur les résultats ?

Si le financement axé sur les résultats peut s’avérer efficace pour répondre à un ensemble spécifique de difficultés, il ne s’agit toutefois pas d’une solution universelle. Pour les décideurs politiques confrontés à des contraintes politiques qui limitent le choix de leurs interventions, le financement axé sur les résultats peut, certes, offrir un peu de répit. Par ailleurs, lorsque les obstacles rencontrés sont liés à la mise en œuvre, le financement axé sur les résultats peut également offrir un moyen relativement simple d’améliorer les résultats obtenus. On notera aussi que si cette approche nécessite un minimum de capacités, notamment la capacité à collecter des données pertinentes, elle peut encourager les parties concernées à développer ces capacités.

Une fois prise la décision d’utiliser le financement axé sur les résultats, il faut faire de bons choix de conception pour assurer la réussite de l’initiative en question. Il faudra notamment fixer le pourcentage du financement lié aux résultats, sélectionner les bons indicateurs de performance, et fixer des objectifs ambitieux mais néanmoins réalisables pour chaque indicateur. L’élaboration d’un instrument de financement axé sur les résultats correspondant précisément au degré de maturité de l’intervention, à la capacité des prestataires de services à mettre en œuvre le programme et à gérer les risques, et au niveau de contrôle qu’ont ces derniers sur les résultats est une condition essentielle pour garantir la réussite de l’initiative face aux défis à relever.

Recommandations

Aujourd’hui, une pression croissante s’exerce dans le monde entier, poussant les pays à gérer les flux migratoires, à limiter les coûts liés à la migration et à en retirer des avantages avec des moyens toujours plus limités. Les pays d’accueil sont au centre de cette problématique dans la mesure où ils décident qui entre sur leur territoire et quels droits et avantages sont conférés à ces arrivants. Malheureusement, les exemples documentés d’intégration efficace de migrants sont rares et, lorsque les décideurs politiques définissent et financent les meilleures politiques possibles, leur mise en œuvre n’est jamais simple.

La façon dont les gouvernements achètent généralement des services, en payant les fournisseurs en échange de leurs prestations ou, plus inquiétant encore, en réglant les factures que ceux-ci émettent relativement à des dépenses budgétisées, ne permet pas d’améliorer les résultats obtenus. Pour améliorer efficacement les résultats obtenus du point de vue des migrants et des communautés d’accueil, dans un contexte où les besoins sont immenses et les financements rares, les décideurs politiques doivent impérativement, et de toute urgence, trouver des moyens d’optimiser l’impact de chaque dollar investi.

Dans beaucoup de cas, le financement axé sur les résultats est plus rentable. Comme nous l’avons vu en Colombie, un dispositif de ce type peut créer un environnement favorable à l’innovation, qui améliore la gestion des données et des performances, et qui encourage la généralisation d’interventions qui ont fait leurs preuves tout en respectant les paramètres du modèle original. Lorsque les décideurs politiques évaluent différentes stratégies à adopter afin d’obtenir de meilleurs résultats, le financement axé sur les résultats peut être un choix judicieux pour améliorer considérablement la mise en œuvre de leurs politiques et programmes d’intégration et, au final, bénéficier à la fois aux migrants et aux communautés d’accueil.

 

Sebastian Chaskel
Partenaire associé, Instiglio, Colombie
sebastian.chaskel@instiglio.org

Gabriela Vargas
Associée, Instiglio, Colombie
gabriela.vargas@instiglio.org

Mateo Zárate
Candidat pour une Maîtrise en administration publique, École des affaires publiques et internationales, Université Columbia, États-Unis
mateo.zarate@columbia.edu

Ana María Pérez
Candidate pour une Maîtrise en administration publique, École des affaires publiques et internationales, Université de Princeton, États-Unis
ap1647@princeton.edu

Nicolás Hernández Muñoz
Associé, Instiglio, Colombie
nicolas.hernandez@instiglio.org

Les auteurs de cet article tiennent à remercier leurs collègues ainsi que tous les fonctionnaires et professionnels de Colombie qui œuvrent en faveur de l’intégration sociale et économique des migrants au sein de la société colombienne.

 

[i] Voir IOM (2024) « Les migrants et réfugiés vénézuéliens stimulent l’économie colombienne à hauteur de 529,1 millions de dollars, selon une étude de l’OIM » https://bit.ly/levenezueliens-stimulent-leconomie-colombienne

[ii] Tout au long de cet article, nous emploierons le terme « migrant » pour désigner les réfugiés (personnes bénéficiant d’une protection internationale) ainsi que les « migrants en détresse (personnes ayant migré vers un autre pays en raison d’une situation de détresse, mais qui ne bénéficient pas du statut de réfugiés). Cette nomenclature provient du rapport suivant de la Banque mondiale : Rapport sur le développement dans le monde 2023 : Migrants, réfugiés et sociétés.

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