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Financement de la réponse apportée par le Brésil à la crise des Vénézuéliens déplacés : implications et leçons à tirer pour l’avenir
  • Cláudio Antônio Klaus Júnior
  • November 2024
La Cour de justice de l’État de Roraima propose des services au siège de l’Opération Welcome, Boa Vista. Remerciements au juge Suter et à Alcenir Souza. Crédits : NUCRI/Cour de justice de l’État de Roraima

L’analyse des dispositifs par lesquels le Brésil finance son action en réponse au déplacement des Vénézuéliens révèle des informations essentielles sur l’efficacité de ces mécanismes. Elle soulève, par ailleurs, des problématiques importantes sur les politiques en matière de migration, d’aide humanitaire et de protection des droits de l’homme.

Ces dix dernières années, l’Amérique latine a vécu de grands bouleversements géopolitiques et économiques, la crise vénézuélienne, et ses répercussions considérables, étant indéniablement le principal facteur d’instabilité. La grave crise économique que subit le Venezuela depuis 2017, marquée par une hyperinflation, des troubles politiques et des pénuries de produits essentiels, a entraîné une crise humanitaire. Cette crise a mis le tissu social vénézuélien à rude épreuve et a déclenché l’une des vagues migratoires les plus massives de l’histoire de l’Amérique latine en poussant des millions de réfugiés à s’établir dans toute la région, en particulier au Brésil.

Le Brésil est ainsi devenu le premier pays d’accueil des Vénézuéliens déplacés, suscitant à la fois des difficultés et des opportunités pour le pays. 501 000 Vénézuéliens sont établis au Brésil (en août 2023, selon l’ACAPS), ce qui fait du Venezuela le premier pays d’origine des immigrés au Brésil. Le Brésil reconnaît la majorité des Vénézuéliens déplacés comme des réfugiés et a également mis en place des procédures pour que les Vénézuéliens déplacés puissent obtenir un statut de résidence permanente.[i]

L’afflux de réfugiés vénézuéliens a nécessité une réponse déterminée et coordonnée, s’appuyant sur un réseau complexe de mécanismes financiers. Ces mécanismes ne sont pas seulement des outils logistiques et économiques ; ils sont aussi étroitement liés aux problématiques de coopération internationale, de stabilité de la région et de protection des droits de l’homme. Une étude fouillée de ces stratégies financières afin de comprendre leur impact, d’identifier leurs limites et de concevoir des améliorations potentielles, nous permettra de nous assurer que la réponse à cette crise ne traite pas seulement des besoins immédiats mais favorise également l’intégration et la stabilité à long terme.

La réponse financière du Brésil à la crise des déplacements de Vénézuéliens

La réponse financière du Brésil à la crise des déplacements de Vénézuéliens est à la fois globale et stratégique, et elle présente plusieurs niveaux de financement et de collaboration. Le gouvernement brésilien a alloué des ressources financières importantes à des initiatives d’accompagnement, telles que l’Opération bienvenue, qui fournit des services de base, comme des documents administratifs, un hébergement immédiat et des programmes de réinstallation des migrants vénézuéliens. Cet effort national a largement bénéficié de l’aide internationale fournie par des organisations telles que le HCR, ainsi que des contributions de divers gouvernements étrangers, dont les États-Unis, le Canada et l’Union européenne, améliorant la capacité et la pérennité de la réponse brésilienne.

Des partenariats avec des ONG et des entités privées ont également permis d’élargir le champ d’action et l’efficacité des initiatives. Ces collaborations ont facilité tout un éventail de services, de l’aide à l’emploi aux programmes d’intégration culturelle, apportant des réponses aux besoins immédiats et aux objectifs d’intégration à long terme des migrants. Par exemple, des ONG comme la Fondation AVSI et Instituto +58 ont joué un rôle crucial dans la mise à disposition de cours de langue, de formations professionnelles et d’une assistance juridique, afin d’aider les Vénézuéliens à surmonter les difficultés d’intégration dans un nouveau pays. L’USAID, l’Organisation internationale pour les migrations, et des missions diplomatiques internationales au Brésil ont également apporté leur contribution en fournissant diverses ressources, notamment près de 15 millions de dollars de financement du développement.

Des mécanismes de financement novateurs, en particulier les partenariats public-privé, se sont aussi révélés essentiels pour adapter et étendre la réponse au déplacement. Ces partenariats ont permis un déploiement plus flexible et rapide des ressources, répondant de manière dynamique aux besoins de la population vénézuélienne au Brésil.

Ces stratégies financières modernes ont positivement bouleversé les modèles traditionnels de réponse humanitaire gérés uniquement par des gouvernements. Elles ont inauguré une approche plus décentralisée, offrant des services adaptés qui ont bénéficié directement aux Vénézuéliens déplacés. Ce bouleversement a rendu plus efficace l’utilisation des ressources et a eu un plus grand impact sur le bien-être et l’intégration des Vénézuéliens dans la société brésilienne. Grâce à ces efforts de financement variés, le Brésil est en mesure de proposer une gestion plus proactive et humaine de l’une des plus grandes crises de déplacement de la région.

La stratégie de relocalisation interne : reloger les Vénézuéliens au Brésil

La réponse du Brésil à la crise migratoire vénézuélienne peut prendre des formes multiples, mais l’une des initiatives clés est sans doute la stratégie de relocalisation interne. Ce programme, qui a pour mission de gérer l’afflux de réfugiés, souhaite répartir les Vénézuéliens déplacés, concentrés dans l’État frontalier du Venezuela, dans d’autres régions du Brésil. Cette stratégie a facilité leur accès à de meilleures opportunités et leur intégration sur le marché du travail officiel, allégeant considérablement le poids qui pesait sur les régions frontalières. Le soutien logistique fourni, englobant les transports, l’assistance administrative et l’aide initiale au logement, a permis de répartir l’impact démographique et économique sur l’ensemble du territoire brésilien, mais également de renforcer l’intégration à long terme des Vénézuéliens. Ceux-ci ont ainsi pu contribuer à la diversité économique du Brésil tout en démarrant une nouvelle vie dans des conditions plus stables.

Cette réinstallation stratégique a contribué de manière déterminante à réduire la surpopulation dans l’État de Roraima et dans les zones alentour, et d’autre part à promouvoir une meilleure intégration économique et sociale des Vénézuéliens au Brésil. Le succès du programme de relocalisation interne, dont témoigne le nombre de Vénézuéliens qui en ont bénéficié, s’explique par son efficacité à aider les réfugiés à se créer une nouvelle vie dans des régions offrant davantage d’opportunités d’emploi et de meilleures conditions de vie. Cette approche soutient les réfugiés tout en répartissant les bénéfices et les difficultés liés à l’immigration de manière plus équitable à travers le vaste territoire brésilien.

En intégrant des entreprises privées dans le programme de relocalisation interne, le gouvernement brésilien a réussi à utiliser les fonds dédiés à la responsabilité sociale des entreprises de façon à fournir des formations professionnelles ciblées et des opportunités d’emploi aux Vénézuéliens déplacés. Par exemple, Adami S/A, une société d’emballage et de traitement du bois basée à Santa Catarina, a embauché 36 réfugiés vénézuéliens relocalisés à Roraima, leur fournissant non seulement des emplois mais aussi un logement, une assistance sociale et des formations techniques dans le cadre du projet Acolhidos por Meio do Trabalho (Accueillis par le biais du travail). Cette approche ciblée permet d’accélérer l’intégration des réfugiés et favorise également leur stabilité économique et leur inclusion sociale à long terme.

Fournir une assistance juridique aux Vénézuéliens du Brésil

L’une des initiatives notables dans le cadre de la réponse à la crise de déplacement vénézuélienne est le programme Justicia sin Fronteras (Justice sans frontières), géré par le Tribunal de Justiça de Roraima (Cour de justice de l’État de Roraima), en partenariat avec le juge vénézuélien Oswaldo José Ponce Pérez, qui réside désormais dans le pays. Ce programme offre aux immigrés vénézuéliens des services de résolution des procédures relevant du droit civil, tels que les procédures de reconnaissance de paternité, de reconnaissance d’union civile, de pension alimentaire et de garde de mineurs. En outre, il gère certaines demandes, telles que les déclarations de naissance pour les enfants nés au Brésil, les corrections de documents administratifs, les procédures d’émancipation (pour qu’une personne de moins de 18 ans puisse se libérer de l’autorité parentale ou d’un tuteur) et toute autre affaire judiciaire civile.

L’initiative a été pensée comme une réponse collaborative aux problèmes d’immigration croissants dans l’État de Roraima et s’appuie sur un accord de coopération judiciaire avec le HCR. Ce partenariat permet de mener les procédures en espagnol, pour s’adapter aux besoins linguistiques des réfugiés vénézuéliens. Le programme joue un rôle central dans la réponse du Brésil à la crise des déplacements, en allégeant la pression financière exercée sur les ressources publiques. Il permet de résoudre des affaires civiles importantes pour l’intégration des Vénézuéliens dans la société. Cet accompagnement facilite l’accès des individus déplacés à l’emploi, à l’éducation et aux services sociaux, réduisant leur dépendance à l’aide d’urgence et aux ressources financées par l’État. Le programme répond ainsi aux besoins juridiques immédiats, mais il défend également une approche plus rentable et durable de la gestion de la crise des déplacements au Brésil.

Implications et leçons à tirer pour l’avenir

L’examen des stratégies de financement du Brésil en réponse à la crise du déplacement vénézuélienne révèle une approche complexe mais innovante, qui mêle action publique, coopération internationale et implication du secteur privé. Ce savant mélange a permis la prise en charge des besoins humanitaires immédiats, et il a également favorisé l’intégration à long terme des migrants vénézuéliens dans la société brésilienne. Toutefois, le fait de dépendre de divers flux de financement et partenariats présente des contraintes, notamment la nécessité d’un engagement durable de toutes les parties prenantes et d’une adaptation continue à l’évolution des besoins des réfugiés.

Ce constat a lui-même des conséquences profondes sur les politiques et la mise en pratique. Elles suggèrent qu’une approche globale impliquant divers acteurs peut améliorer l’efficacité du financement de la réponse à la crise des déplacements. Un approfondissement des recherches est néanmoins nécessaire pour optimiser ces mécanismes et s’assurer qu’ils sont déployables à grande échelle et viables sur la durée.

Au vu de l’évolution constante des problématiques mondiales de déplacement, il est urgent de trouver des solutions de financement plus inclusives, innovantes et pilotées par les communautés. Les pays du monde se doivent de tirer les leçons de l’expérience brésilienne et de tester des modèles collaboratifs similaires pour gérer la crise immédiate mais aussi pour favoriser le bien-être à long terme des populations déplacées. Le but de ces actions doit être de renforcer la résilience, de promouvoir l’inclusion sociale et de s’assurer que chaque personne soit en capacité de contribuer positivement à sa nouvelle communauté.

 

Cláudio Antônio Klaus Júnior
Étudiant en mastère de droit (GPLLM) à l’université de Toronto, Canada, et professeur à l’Universidade Alto Vale do Rio do Peixe, Brésil
claudio.klaus@mail.utoronto.ca
linkedin.com/in/claudioklaus

 

[i] Voir Migration Policy Centre (2022), Migrants or refugees? “Let’s do both”. Brazil’s response to Venezuelan displacement challenges legal definitions bit.ly/mpc-migrants-or-refugees-lets-do-both

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