Formation des formateurs en santé reproductive

Le modèle de la formation descendante a permis d’organiser des formations cliniques dans les zones de la RDC touchées par les conflits et ayant le plus besoin de personnel qualifié pour soigner les femmes souffrant de complications lors de la grossesse ou de l’accouchement.

Bien que, dans le monde, le nombre de décès maternels ait chuté de 35 % depuis 1980, il n’a baissé que de 3 % en RDC depuis 1990, date du déclenchement de la récente phase de conflits. Ces conflits prolongés ont joué un rôle significatif dans la destruction d’un système national de santé qui était déjà en état de délabrement avancé, si bien que les soins offerts aux communautés sont de qualité médiocre, les travailleurs de la santé bien formés sont en nombre insuffisant et le personnel sanitaire est démotivé en raison du désinvestissement du gouvernement.

L’oln estime que 15 000 femmes, soit une Congolaise sur 13, meurent chaque année de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement, pourtant majoritairement traitables ou évitables. Malgré le besoin évident de faire baisser ce taux de mortalité, le gouvernement congolais continue de ne consacrer que de maigres ressources à l’amélioration de la santé publique. En 2001, les pays d’Afrique, dont la RDC, se sont réunis à Abuja (Nigéria) et se sont engagés à allouer 15 % de leur budget gouvernement à la santé ; neuf ans plus tard, le gouvernement congolais n’y consacre toujours que 5 %.1 Pourtant, de grands investissements dans des soins obstétricaux et néonataux d’urgence (SONU) de qualité pourraient sauver des milliers de Congolaises et de nouveau-nés chaque année.

Bases de la formation

En 2007, une évaluation de sept hôpitaux dans les provinces du Sud-Kivu, Orientale, Kasaï Occidentale et de Kinshasa a révélé qu’aucun de ces établissements n’offrait des SONU de bonne qualité.2 La majorité ne disposait pas non plus de services de planning familial (PF) ou de suffisamment de personnel qualifié pour traiter les complications obstétriques. Les normes de prévention des infections étaient peu respectées. De plus, dans tous les hôpitaux, des médicaments et autres articles étaient en quantité insuffisante ou en rupture de stock, tandis que le système de collecte des données pour les SONU était quasiment inexistant. Enfin, l’utilisation de médicaments nouveaux et plus sûrs était limitée, en raison de l’absence d’éducation continue des travailleurs de la santé.

Pour combler ces carences, le Comité international de secours (International Rescue Committee - IRC), en collaboration avec l’Initiative pour l’accès à la santé reproductive, aux informations et aux services dans l’urgence (RAISE), a œuvré pour l’amélioration des compétences de santé reproductive des personnels de santé dans des zones sanitaires sélectionnées. Il est important que les hôpitaux soient bien équipés et approvisionnés mais cela ne suffit pas pour améliorer la qualité des soins ; il est essentiel de former le personnel médical à dispenser les soins adaptés, et de le superviser.3 Malheureusement, de nombreux programmes de formation sont entravés par un manque de supervision des participants suite à la formation. Pour résoudre ce problème, RAISE et IRC utilisent les structures de supervision déjà en place pour assurer le suivi post-formation.

Phase 1 : Formation des formateurs et établissement de centres de formation locaux

Au cours de la première phase du projet, une équipe de formateurs de l’Institut africain de la santé de reproduction (IASAR) et le centre hospitalier universitaire de Souro Sanou de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) ont formé 48 prestateurs de SONU et 18 prestateurs de FP. Une formation SONU a été organisée pour trois cliniciens de chaque hôpital (docteur, sage-femme et anesthésiste) de même que pour un docteur et une infirmière de l’équipe de supervision de chaque zone sanitaire (qui dispensait également des soins cliniques à hôpital). Pour s’assurer du soutien du Ministère de la Santé (MdS), un membre du personnel provincial du MdS de chacune des quatre provinces d’intervention et deux membres du personnel national du MdS ont participé à la première semaine de formation.

Plusieurs mois plus tard, les formateurs ont rendu visite aux participants dans leur établissement de santé pour consolider leurs nouvelles compétences, recommander des améliorations et identifier les individus qui seront formés pour devenir formateurs. La décision finale concernant les formateurs a été prise en collaboration avec les agences provinciales de gestion sanitaire et le programme national pour la santé reproductive (PNSR).

Dans chaque province, un hôpital a été identifié comme centre de formation pour les agents de santé des hôpitaux du MdS et des centres sanitaires soutenus par l’IRC. Dans chaque hôpital, une salle de formation a été construite et équipée avec du matériel didactique et des modèles anatomiques, et l’IRC s’est assuré que les salles d’accouchement et les blocs opératoires de ces sites de formation pratique aient respecté les normes et les meilleurs pratiques. 21 individus ont alors été formés comme « formateurs novices », et leur formation incluait également des techniques de supervision et de facilitation.

Phase 2 : Formation des agents sanitaires des établissements de santé voisins

Suite à cette formation, les formateurs de l’IASAR ont observé et guidé les nouveaux formateurs au cours de leur première séance de formation SONU. De mai 2009 à mars 2010, dans les nouveaux centres de formation, les formateurs novices ont donné sept cours de formation SONU à 151 agents de santé et sept cours de formation PF à 159 agents de santé. Comme un grand nombre de ces formateurs appartiennent aussi au personnel de supervision du MdS pour la zone sanitaire concernée, chaque fois qu’ils effectuent une visite de supervision de routine, ils peuvent passer en revue les compétences acquises au cours des formations précédentes, discuter des problèmes éventuels et s’assurer que les recommandations des visites précédentes ont été suivies.

Difficultés rencontrées et enseignements tirés

La mise en œuvre de ce projet de formation s’est heurtée à un certain nombre de difficultés, dont nous pouvons tirer des enseignements et des pratiques modèles.

  1. La participation des autorités sanitaires est cruciale à tous les niveaux. Pour que la formation soit efficace, il faut un environnement politique propice, une stratégie, des ressources, des directives et des politiques appropriées, des attentes professionnelles, de la motivation et des retours d’information. L’IRC collabore étroitement avec le PNSR du MdS pour finaliser et adopter des normes nationales de santé reproductive. Au niveau local, l’approbation des autorités du MdS peut faciliter la mise en application de nouvelles techniques par les formateurs une fois de retour dans leur établissement.
  2. Tous les équipements, médicaments et fournitures nécessaires doivent être disponibles dans les établissements des agents sanitaires en cours de formation, afin qu’ils puissent mettre en pratique leurs nouvelles compétences immédiatement après leur formation. Les retards dans l’approvisionnement en médicaments ou équipements peuvent retarder à leur tour les visites de suivi post-formation. Parfois, ces visites ont eu lieu cinq ou six mois après la formation initiale, si bien que les participants avaient besoin d’un suivi supplémentaire pour pouvoir mettre en pratique avec succès les compétences qu’ils avaient apprises.
  3. Un élément-clé des programmes de formation axée sur les compétences est d’avoir suffisamment de temps pour mettre en pratiques lesdites compétences dans un environnement clinique réel, sous supervision. En raison du faible nombre de cas cliniques dans certains des centres de formation - l’un des inconvénients de l’établissement de centres de formation dans des hôpitaux ruraux - les participants n’ont pas toujours pu pratiquer sur un nombre suffisant de cas. Pour résoudre ce problème, les formations comptaient fortement sur le suivi et la supervision, et les participants pouvaient aussi pratiquer sur des modèles anatomiques - et alors que les services continuent de s’améliorer, nous espérons que le nombre de cas cliniques augmentera.
  4. Le soutien continu et le suivi post-formation par des superviseurs sont des éléments cruciaux pour que la formation soit couronnée de succès. Les superviseurs cliniques doivent disposer des compétences leur permettant d’assurer le suivi et le coaching post-formation afin que les participants puissent gagner en confiance et qu’ils puissent s’améliorer dans leur propre établissement. En général, les superviseurs n’ont pas impliqué les participants dans la résolution des problèmes, si bien que les problèmes ont persisté. Former les superviseurs des zones sanitaires aux techniques de facilitation a permis d’améliorer la qualité des visites de supervision, et les superviseurs encouragent aujourd’hui les employés à résoudre eux-mêmes les problèmes et à s’approprier leur travail.
  5. Dans certains établissements, des agents sanitaires qui avaient suivi la formation ont été muté à d’autres postes, ce qui a laissé des carences dans la formation prévue et/ou dans les équipes de suivi. L’IRC a essayé de coordonner ses actions avec celles du MdS pour garantir que les nouveaux formateurs occupent le même poste pendant au moins deux ans. Une autre possibilité serait que le MdS fasse former des agents sanitaires issus d’autres régions que des zones sanitaires afin que les compétences soient diffusés au-delà des zones d’intervention directe de l’IRC, sans pour autant que les formateurs expérimentés ne quittent ces zones.
  6. Dans les contextes où sévissent les conflits, le personnel clinique devrait être formé à gérer les fluctuations de la demande. Par exemple, en février 2009, une intensification soudaine des conflits a entraîné le déplacement de 4 300 ménages des zones sanitaires de Kalehe et Itombwe ; l’Hôpital général de Kalehe a alors connu une pénurie de médicaments SONU et de trousses de prophylaxie post-exposition en raison de la forte augmentation du taux d’utilisation global, de même que du nombre de cas de violences sexistes.

Conclusions

Le modèle de la formation descendante a permis d’organiser des formations cliniques dans les zones de la RDC ayant le plus besoin de personnel qualifié, et permis ainsi à un plus grand nombre d’agents sanitaires d’être formés. En utilisant les mécanismes de supervision déjà en place, il est possible d’assurer la supervision, la facilitation et le suivi et de garantir ainsi une solide acquisition des compétences et la rétention du personnel qualifié. De plus, ce système permet de rendre possible le soutien et la supervision dans des régions où l’insécurité peut limiter l’accès des personnes extérieures à ces régions.

L’IRC a déjà commencé à reproduire ce modèle dans ses programmes auprès des populations déplacées du Nord-Kivu. L’IRC et RAISE envisagent d’évaluer ce projet à la fin 2010 pour s’assurer que la formation entraîne bien une amélioration dans la prestation des services de santé reproductive. Les observations ont déjà révélé que les employés tirent plus de fierté de leur travail, en particulier les employés devenus formateurs, ce qui devrait en fin de compte se traduire par une meilleure qualité des soins de santé reproductive pour les nombreuses personnes déplacées de RDC.

 

Boubacar Toure (Boubar.toure@theirc.org) est conseiller en santé reproductive pour la RDC ; Hélène Harroff-Tavel (heleneharrofftavel@gmail.com) est une ancienne directrice de santé pour l’IRC ; Sara Casey (sec42@columbia.edu) est chargée du suivi et de l’évaluation pour RAISE ; et Tegan Culler (tac2142@columbia.edu) est agente des communications pour RAISE. IRC : http://www.theirc.org RAISE : http://www.rais initiative.org

Former dans la tourmente

Pour le Professeur Blêmi Dao, Directeur de l’IASAR, la présence de personnel clinique bien formé en santé reproductive est absolument cruciale pour servir les réfugiés et les personnes déplacées de l’intérieur : « Dans les situations de conflit, la santé reproductive devient encore plus urgente car les violences sexuelles sont susceptibles de se multiplier, et avec elles les grossesses, les maladies sexuellement transmissibles et les problèmes associés aux avortements pratiqués dans des conditions dangereuses ; et à cela vient s’ajouter le besoin de contraceptifs et de suivre et traiter les complications possibles au cours de la grossesse. »

La formation ne peut toutefois pas répondre seule aux besoins urgents des populations touchées par les conflits. « Pour faire de véritables progrès, il faut améliorer les conditions de travail des agents sanitaires, mieux coordonner l’approvisionnement et les équipements et mieux coordonner les politiques et les normes de soins à travers le pays. Dans les zones de conflit, ces tâches sont difficiles, » concède le Professeur Dao. Néanmoins, l’équipe de formation de l’IASAR est satisfaite du nombre de cliniciens formés en Afrique qui doivent leurs compétences au travail de l’Institut. « Nous devons partager notre approche, partager nos outils, partager la méthodologie de formation, » ajoute le Professeur Dao. « Nous espérons qu’un jour notre travail ne sera plus du tout nécessaire. »

 

1 Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme: Trends in development assistance and domestic financing for health in implementing countries. Mars 2010 http://tinyurl.com/globalfund-march2010

2 SE Casey et al ‘Use of facility assessment data to improve reproductive health service delivery in the Democratic Republic of the Congo’, Conflict and Health 2009, 03:12. http://www.conflictandhealth.com/content/03/01/12

3 Gill Z et al ‘A tool for assessing ‘readiness’ in emergency obstetric care: the room-by-room ‘walk through’’, International Journal of Gynecology and Obstetrics 2005, 89:191-199. http://www.ijgo.org/article/S0020-7292(05)00123-2/fulltext

 

 

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