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Externalisation de la protection internationale : le point de vue du HCR

La coopération internationale a toujours été indispensable au bon fonctionnement du régime international de protection des réfugiés. Les rédacteurs de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de 1951) l’ont explicitement reconnu. En effet, en admettant que le défi posé par la protection est international dans « sa portée et sa nature », ils ont également admis que sa solution « ne peut être trouvée qu’au travers d’une coopération internationale[1] ».

Il existe de nombreux exemples positifs de situations où les États ont montré qu’ils étaient prêts dans la pratique à partager les responsabilités et à faire preuve de coopération internationale. En outre, depuis 2018, le Pacte mondial sur les réfugiés (Global Compact on Refugees – GCR) a réitéré l’importance du partage des responsabilités en tant qu’élément clé de la protection mondiale des réfugiés. En 2019, lors du premier Forum mondial sur les réfugiés, le HCR a demandé que des engagements soient pris pour soutenir le développement des capacités des systèmes d’asile nationaux. En conséquence, des plateformes de soutien ont été mises en place pour aider les États à identifier des partenaires susceptibles d’apporter une expertise et d’autres ressources dans le but de renforcer leurs capacités. Parmi ces plateformes, citons les États participant au groupement de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) dans l’Est et la Corne de l’Afrique qui travaillent avec la Banque mondiale au renforcement des efforts régionaux visant à promouvoir le retour et l’intégration, l’éducation, la santé et l’inclusion économique des réfugiés, notamment ceux de Somalie. Une plateforme régionale de soutien en Amérique latine, appelée MIRPS (acronyme espagnol de Cadre intégral régional pour la protection et les solutions [pour les réfugiés]), réunit huit États qui cherchent à mobiliser un soutien technique, financier et matériel pour la protection des réfugiés dans la région, et à promouvoir l’échange de bonnes pratiques et d’enseignements. En outre, le groupe d’appui aux capacités d’asile mis en place par les États et le HCR a fourni un mécanisme permettant de mettre en relation les besoins d’appui et les offres. Ces initiatives sont autant de signaux positifs démontrant l’intérêt des États à l’égard du respect et du renforcement des normes de protection.

Néanmoins, ces dernières années, il y a également eu des cas troublants où des États ont mené des politiques ou des pratiques restrictives, cherchant à dissuader les arrivées par des mesures unilatérales ou collectives. Certaines de ces mesures visaient, ou ont servi, à transférer la responsabilité de la protection internationale ailleurs, d’une manière qui, pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, a compromis l’accès à la protection et à la jouissance de leurs droits. Face à l’émergence récente de nouvelles propositions allant dans ce sens, le HCR a publié en mai 2021 une note au sujet de  « l’externalisation » de la protection internationale, en mettant en garde contre des mesures susceptibles de priver les réfugiés de l’accès à la protection internationale et à la jouissance de leurs droits, et il réitère l’importance d’un engagement positif dans des accords de coopération légitimes[2]. Il souligne des paramètres importants qui permettent d’orienter les approches collaboratives en matière de protection des réfugiés de manière à respecter le droit international et les principes de partage des responsabilités.

Coopération internationale et responsabilité face à l’externalisation

Le HCR définit l’externalisation de la protection internationale comme suit : « des mesures prises par les Etats – unilatéralement ou en coopération avec d’autres États – qui sont mises en œuvre ou ont des effets en dehors de leur propre territoire, et qui empêchent directement ou indirectement les demandeurs d’asile et les réfugiés d’atteindre un pays ou une région de « destination » particulière, et/ou de pouvoir y demander ou y bénéficier d’une protection. Ces mesures constituent une externalisation lorsque les garde-fous prévus sont inadéquats et ne garantissent pas la protection internationale et qu’elles impliquent un transfert de la responsabilité d’identifier ou de répondre aux besoins de protection internationale à un autre État, ou laissent ces besoins insatisfaits ; ce qui rend ces mesures contraires au droit [3]».

Les pratiques d’externalisation aboutissent fréquemment à des transferts de personnes entre pays sans garanties essentielles ni normes de traitement appropriées. L’externalisation peut conduire à un « entreposage » à long terme ou indéfini des demandeurs d’asile dans des lieux isolés, ou les exposer à un refoulement indirect et à d’autres menaces. Les politiques d’externalisation peuvent également susciter ou alimenter des perceptions négatives à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés. Ces mesures ont le potentiel d’endommager le système de protection internationale et, si elles sont adoptées par un nombre important d’États, elles peuvent exposer de nombreux demandeurs d’asile et réfugiés à des risques de maltraitance, de refoulement ou de vide juridique, sans aucun accès à leurs droits procéduraux ou substantiels. Plusieurs catégories de pratiques d’externalisation sont décrites ci-dessous.

1. Traitement extraterritorial

Certains accords transfèrent la responsabilité d’un État concernant la détermination des demandes de protection internationale à un État tiers. Il peut s’agir de transférer la responsabilité du traitement de ces demandes en application des lois de l’État pratiquant l’externalisation ou de l’État tiers. Il peut aussi s’agir de situations dans lesquelles la détermination du statut de réfugié a lieu dans l’État pratiquant l’externalisation, tandis que les demandeurs d’asile se voient refuser l’entrée ou sont expulsés du territoire en attendant l’issue de leur demande.

Le traitement extraterritorial peut également avoir lieu en dehors du territoire de l’État, y compris à bord de navires dans des eaux internationales. Le HCR considère que le traitement en mer à bord de navires n’est pas approprié, à moins que des dispositions d’accueil et des processus de vérification de la recevabilité répondant aux normes internationales puissent être garantis[4].

Dans certains cas, les responsabilités légales sont esquivées en traitant les demandes d’asile dans des zones spéciales à l’intérieur du territoire d’un l’État où des normes inférieures s’appliquent en matière de droits. Cela peut se produire dans les zones de transit ou les zones « internationales » des aéroports ou des zones frontalières, ou dans d’autres zones du territoire d’un État, y compris des îles territoriales, qui sont déclarées comme disposant d’un statut « extraterritorial » ou « de zone franche » spécial. Pour qu’une procédure extraterritoriale soit considérée licite, des normes identiques à celles en vigueur partout ailleurs sur le territoire de cet État doivent prévaloir quant au traitement et à la réception des personnes. En revanche, si les droits et obligations sont moins étendus ou ne s’appliquent pas dans cette zone, il s’agit alors d’une tentative pour se soustraire aux responsabilités, ce qui est contraire au droit international.

Les États ne peuvent se soustraire aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international des réfugiés et des droits de l’homme en traitant les demandes en dehors de leur territoire. Un État qui reçoit une demande d’asile, ou qui exerce un contrôle ou une juridiction effective sur un demandeur d’asile, conserve et partage la responsabilité de garantir une procédure et un traitement équitables avec l’État sur le territoire duquel cette détermination a lieu. Les deux États ont tous deux la responsabilité d’assurer une évaluation rapide et fondée en droit des besoins de protection du demandeur et, le cas échéant, de lui fournir la protection internationale qu’il nécessite.

2. Mesures unilatérales pour empêcher les arrivées

Les mesures prises par les États pour empêcher les demandeurs d’asile d’atteindre leurs frontières ou d’entrer sur leur territoire pour demander l’asile peuvent également violer les normes internationales. Il peut s’agir de mesures de contrôle aux frontières terrestres, maritimes ou aériennes, comme des « refoulements » ou des interceptions maritimes avec renvois vers des pays tiers, notamment lorsque le débarquement est refusé ou lorsque du matériel ou des réparations de bateaux sont proposées afin de faciliter la poursuite du voyage.

Les dispositions qui reviennent à une externalisation peuvent également inclure des obstacles physiques ou procéduraux à l’entrée sur un territoire, ou des procédures qui empêchent un accès effectif à l’asile. Le « comptage » des arrivées (c’est-à-dire l’application de plafonds ou de quotas d’admission), les périodes d’attente externalisée liées à des décisions relatives à des demandes déposées sur le territoire ou la présélection extraterritoriale (par exemple, lorsqu’il est interdit aux demandeurs d’asile de déposer une demande sur le territoire et qu’il leur est demandé de déposer une demande auprès des ambassades à l’étranger[5]) sont autant de dispositions qui peuvent entrer dans cette catégorie. De telles mesures peuvent constituer une infraction à l’interdiction d’expulsion collective, au principe de non-refoulement et au droit de chercher et de bénéficier de l’asile. Les États ont le droit de gérer l’entrée à leurs frontières, mais les mesures frontalières doivent être conformes au droit des réfugiés et aux droits de l’homme. La gestion des frontières ne doit pas empêcher l’accès à la protection internationale de ceux qui en ont besoin.

3. Mesures de coopération pour empêcher les arrivées

Des mesures collectives sont parfois prises par un groupe d’États pour empêcher les demandeurs d’asile d’atteindre le territoire d’un pays donné. Il peut s’agir d’une coopération bilatérale ou multilatérale en matière de contrôle des migrations (par exemple, par le détachement d’agents de contrôle des migrations sur le territoire d’autres États) ; d’accords d’interception ou de surveillance conjoints ou par procuration ; d’une coopération informelle aux frontières ; et du financement ou de la formation en matière de contrôle des migrations. De telles mesures de coopération peuvent avoir des objectifs tout à fait légaux et positifs, tels que le renforcement des capacités de recherche et de sauvetage, ou des mesures d’application de la loi contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants. Toutefois, si elles sont conçues ou mises en œuvre sans garanties adéquates, ou dans le but d’éviter ou de déplacer les responsabilités en matière de protection internationale, ces mesures de coopération peuvent constituer une externalisation. 

Coopération sans externalisation : les réponses légales

Le HCR fait une distinction claire entre les mesures d’externalisation et les accords légaux de transfert de la responsabilité de protection internationale. Ces « accords de transfert » légaux sont conformes aux normes internationales, avec des garanties assurant l’accès des réfugiés à la protection internationale en cas de besoin. Le HCR a publié des orientations sur la manière dont ces dispositions peuvent être configurées dans le cadre d’accords bilatéraux ou multilatéraux entre États ; ces orientations visent à apporter des éclaircissements sur l’État qui est responsable du traitement des demandes et de l’offre de protection internationale[6], le cas échéant. Les États peuvent également appliquer en toute légalité des définitions[7] de « pays sûr », ainsi que des mécanismes[8] régionaux de débarquement, et des évacuations ou transferts d’urgence ou humanitaires ; ceux-ci doivent être réglementés et mis en œuvre dans un esprit de coopération internationale avec des garanties adéquates de respect des droits. La protection et les solutions durables pour les réfugiés peuvent également être offertes par le biais de la réinstallation, des admissions humanitaires ou d’autres voies complémentaires et régulières, ainsi que par le biais de programmes d’entrée protégée (impliquant l’admission dans le but de demander l’asile) ou de procédures auprès d’ambassades. Si ces procédures impliquent également un transfert de responsabilités en matière de protection internationale, elles se distinguent de l’externalisation en ce qu’elles offrent d’importantes garanties d’équité procédurale et un statut juridique sûr s’il s’avère que les personnes concernées ont besoin d’une protection internationale.

Le HCR a défini l’ensemble des principes suivants pour aider les États à concevoir des dispositions conformes à la coopération internationale et au partage de responsabilité.

La responsabilité première de l’identification et de l’évaluation des besoins de protection internationale incombe à l’État dans lequel un demandeur d’asile arrive et sollicite cette protection, ou sous la juridiction duquel il se trouve. Cette responsabilité s’étend également à la garantie de conditions d’accueil et de normes procédurales adéquates pendant la période de détermination du statut, et à la fourniture d’une protection internationale si nécessaire. Les États ont le devoir de procéder à des enquêtes indépendantes sur le besoin de protection internationale des personnes qui demandent l’asile ou sont susceptibles d’en avoir besoin, et de leur donner accès à des procédures d’asile équitables et efficaces.

Les États doivent remplir de bonne foi les obligations qui leur incombent en vertu du droit international des réfugiés et celui des droits de l’homme. Ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que toutes les mesures prises pour gérer les déplacements, les migrations ou les mouvements mixtes, que ce soit unilatéralement ou en coopération avec d’autres États, tiennent compte des impératifs en matière de protection, c’est-à-dire que ces mesures doivent faire la distinction entre les personnes et prévoir des dispositions appropriées (fondées sur les normes internationales) pour répondre aux besoins de tous, notamment des réfugiés et d’autres personnes nécessitant une protection internationale, ainsi que de personnes ayant des besoins spécifiques (tels les enfants non accompagnés ou séparés, les victimes de traite ou de traumatismes, et les migrants).

Les États ne peuvent se soustraire aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international des réfugiés et de celui des droits de l’homme en recourant à des modalités de transfert ou de traitement extraterritorial. L’État auquel une demande d’asile a été présentée, ou est destinée à l’être, et l’État sur le territoire duquel la détermination a lieu conservent tous deux la responsabilité conjointe du traitement et de l’accueil des personnes (y compris en matière de résolution rapide et appropriée), conformément à leurs obligations internationales.

Chaque fois qu’un État exerce un contrôle effectif sur des personnes ou des lieux situés sur le territoire d’un autre État (ou, par exemple, dans les eaux internationales), ses obligations en vertu du droit international des réfugiés et des droits de l’homme continuent de s’appliquer.

La coopération internationale qui consiste à partager les responsabilités en matière de protection internationale et à garantir l’accès à la protection internationale est une considération primordiale du droit des réfugiés, comme le stipule le Pacte mondial sur les réfugiés de 2018. Toute pratique qui vise à faire reposer la charge, à éviter les responsabilités ou à entraver l’accès à la protection internationale est incompatible avec la solidarité mondiale et le partage des responsabilités.

Conclusion

Outre leur irrégularité au plan juridique, les pratiques qui, dans les faits, refusent ou transfèrent la responsabilité de l’État responsable risquent de se révéler inefficaces et intenables. Les réfugiés qui se voient refuser l’accès aux moyens de demander et de bénéficier d’une protection ne trouveront pas de solutions et risquent d’être contraints de se déplacer de manière irrégulière par l’entremise de passeurs sans scrupules, ou d’être exposés à la traite, à la précarité et au déni de leurs droits.

La pandémie de COVID-19 nous a rappelé de manière brutale que les défis mondiaux appellent des solutions mondiales. Les États doivent œuvrer ensemble à la réalisation d’objectifs communs, clairs et fondés sur des principes, et chercher à se soutenir mutuellement, plutôt que d’adopter des stratégies protectionnistes restrictives de repli sur soi, parfois motivées par un opportunisme politique à court terme. Éviter les pièges de l’externalisation est dans l’intérêt, non seulement des demandeurs d’asile et des réfugiés, mais aussi des États eux-mêmes. L’année 2021 marque le 70e anniversaire de la Convention de 1951 ; en garantissant le droit de demander l’asile et en étendant la coopération internationale nous rendrions l’hommage qui convient à la résilience et à la perennité de cet instrument juridique.

 

Madeline Garlick garlick@unhcr.org

Chef de la Section Politique de protection et conseil juridique, Division de la protection internationale, HCR

 

[1] Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, Préambule paragraphe 4.

[2] Le HCR lance une mise en garde contre « l’exportation » de l’asile, 19 mai 2021. www.unhcr.org/news/press/2021/5/60a2751813/unhcr-warns-against-exporting-asylum-calls-responsibility-sharing-refugees.html

[3] Note du HCR sur « l’externalisation » de la protection internationale, 28 mai 2021.

www.refworld.org/docid/60b115604.html

[4]  HCR (2017) General legal considerations: search-and-rescue operations involving refugees and migrants at sea www.refworld.org/docid/5a2e9efd4.html .

[5] HCR (2020) Hungarian Act LVIII of 2020 on the Transitional Rules and Epidemiological Preparedness related to the Cessation of the State of Danger www.refworld.org/pdfid/5ef5c0614.pdf

[6] HCR (2013) Guidance Note on bilateral and/or multilateral transfer arrangements of asylum-seekers www.refworld.org/docid/51af82794.html

[7] HCR (2018) Legal considerations regarding access to protection and a connection between the refugee and the third country in the context of return or transfer to safe third countries www.refworld.org/docid/5acb33ad4.html.

[8] HCR et OIM (2018) Proposal for a regional cooperative arrangement ensuring predictable disembarkation and subsequent processing of persons rescued-at-sea www.unhcr.org/5b35e60f4.

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