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Mobilité humaine, droits et protection internationale : répondre à la crise climatique

Les conflits, la violence, la pénurie de ressources, la dégradation de l’environnement et les événements climatiques à déclenchement soudain ou progressif se combinent pour créer des situations extrêmement difficiles qui exigent la collaboration de secteurs et d’acteurs touchant à l’ensemble des domaines politiques et sociétaux. Ces scénarios sont particulièrement complexes lorsque, pour se diriger vers des zones plus sûres et de meilleurs moyens de subsistance, les personnes traversent des frontières internationales et cherchent une protection internationale dans des pays voisins. Quelles sont les dispositions du droit international des réfugiés et des autres lois applicables pour fournir une protection internationale en cas de nécessité ? Quelles stratégies et approches sont susceptibles d’apporter des réponses plus efficaces à la mobilité humaine[1], tout en respectant les droits humains et le droit international, et en évitant les lacunes en matière de protection ?

Évaluation des dispositions et des options en matière de protection juridique internationale

En octobre 2020, le HCR a publié ses Considérations juridiques relatives aux demandes de protection internationale faites dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes[2], en vue de fournir des orientations aux États et aux autres parties prenantes. Celles-ci rappellent que les personnes contraintes de franchir des frontières internationales dans de tels contextes peuvent, dans certains cas, relever de la définition de réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, de la Convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, ou de la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés aux Amériques de 1984. Lorsqu’un État n’a pas la volonté ou la capacité de les protéger, les victimes de violence peuvent craindre avec raison d’être persécutées, ce qui constitue un motif de protection internationale des réfugiés aux termes de la Convention de 1951.

En outre, lorsque les structures et les institutions gouvernementales sont fragiles, les calamités naturelles peuvent interagir avec des formes de conflit et entraîner des risques de préjudices, y compris de famine, pour les populations qui dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance. Les considérations juridiques du HCR notent que, dans de telles situations, une crainte fondée de persécution peut survenir aux termes de la Convention de 1951 pour des groupes ou des individus qui se voient refuser l’accès à l’assistance en raison d’une discrimination liée à leur ethnie, leur caste, leur groupe social ou leurs opinions politiques. Les effets néfastes du changement climatique peuvent également exacerber les tensions politiques ou religieuses, et les divisions sociales et ethniques, entraînant des persécutions du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social particulier ou de l’opinion politique.

Les considérations juridiques soulignent qu’au-delà des situations où la Convention de 1951 s’applique, les personnes touchées par les changements climatiques et les catastrophes qui vivent en Afrique ou dans les Amériques peuvent également être considérées comme des réfugiés au sens de la définition plus étendue donnée par la Convention de l’OUA de 1969 et la Déclaration de Carthagène de 1984. C’est notamment le cas lorsque les changements climatiques et les catastrophes entraînent des événements ou des circonstances « troublant gravement l’ordre public[3] », obligeant les personnes à chercher refuge au-delà des frontières. En général, à la suite d’une catastrophe, l’État doit être en mesure de démontrer sa capacité et sa volonté de faire face à l’impact de la catastrophe et d’offrir son aide pour stabiliser la situation dans les meilleurs délais. Dans le cas contraire, et si l’ordre public est perturbé en conséquence, les personnes touchées peuvent être contraintes de partir en quête de protection dans un autre pays, où elles peuvent bénéficier du statut de réfugiés au titre de ces instruments régionaux[4].

Les considérations juridiques du HCR indiquent également qu’une protection internationale peut également être nécessaire sur la base du droit des droits de l’homme, y compris le principe de non-refoulement. Si une personne a été déplacée dans le contexte de changements climatiques ou de catastrophes et qu’elle est confrontée à un véritable risque d’être soumise à des atteintes graves lors de son retour, cette personne peut être protégée contre le risque d’expulsion en vertu du principe de non-refoulement. En 2020, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu, dans l’affaire Teitiota c. Nouvelle-Zélande[5] qui a été décisive, que les effets néfastes des changements climatiques et des catastrophes peuvent constituer une menace sérieuse à la jouissance du droit à la vie, par exemple, en raison de la rareté des terres habitables ou du manque d’eau potable. Ce raisonnement peut s’avérer particulièrement déterminant dans les pays qui ne sont pas signataires d’instruments régionaux ou internationaux relatifs aux réfugiés, mais où le droit relatif aux droits de l’homme fournit la base d’un motif contraignant qui justifie d’accorder une protection internationale.

Reconnaissant que le droit international des réfugiés ne sera pertinent que dans certaines situations de changements climatiques et de catastrophes, les considérations juridiques du HCR soulignent néanmoins la nécessité pour les autorités responsables de l’asile d’examiner attentivement son application chaque fois qu’une personne demande une protection internationale dans de tels contextes. C’est particulièrement le cas lorsque des facteurs de stress sous-jacents, tels que le conflit, la violence, la discrimination ou d’autres tensions prévalent dans le pays d’origine. Pour les personnes déplacées qui ne sont pas éligibles au statut de réfugié, des formes complémentaires de protection internationale en vertu du droit relatif aux droits de l’homme peuvent s’appliquer. Les principes directeurs du HCR ont également souligné la valeur potentielle de dispositifs de protection et de séjour temporaires[6], y compris pour garantir l’accès à la sécurité immédiate après une catastrophe, lorsque les États touchés peuvent rencontrer des difficultés à intervenir et que leurs citoyens peuvent être contraints de chercher refuge à l’étranger.

Les considérations juridiques du HCR ne visent pas à élargir les critères de protection internationale, mais plutôt à fournir des conseils sur l’interprétation correcte du droit international dans des conditions contemporaines. Elles ne font pas référence aux « réfugiés climatiques », un terme qui n’apparaît pas dans les instruments internationaux et qui pourrait donner l’impression trompeuse qu’une nouvelle catégorie juridique ou de nouvelles obligations sont proposées. Elles visent à poser les bases d’un travail ultérieur destiné à étayer des orientations complètes à l’avenir, en abordant d’autres questions juridiques et scénarios s’inspirant de faits réels, notamment par le biais de recherches sur les modèles de déplacement, la pratique des États et la jurisprudence.

Des recherches complémentaires sont nécessaires, notamment sur la manière dont les changements climatiques, la dégradation de l’environnement et les catastrophes ont un impact sur l’ordre public et entraînent des déplacements. Cela faciliterait l’interprétation et l’application des critères régionaux relatifs aux réfugiés de la Convention de l’OUA et la Déclaration de Carthagène. Les différents paradigmes de risque susceptibles d’émerger dans le contexte de changements climatiques, de dégradation de l’environnement et de catastrophes doivent être examinés depuis la perspective des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne les droits des différents groupes et individus affectés et les besoins de protection internationale qui peuvent en découler. Il est également nécessaire d’analyser la manière dont apparaissent les inégalités, les tensions intercommunautaires et les discriminations au regard des motifs énoncés dans la Convention de 1951. En outre, la discrimination lorsqu’elle concerne les mesures d’atténuation des risques et d’adaptation ainsi que le soutien aux communautés touchées mérite également de faire l’objet de davantage de recherches. Une évaluation de l’éventualité et de la manière dont ces phénomènes apparaissent dans les demandes d’asile, ainsi que de la manière dont les autorités les abordent, permettra d’élaborer de nouvelles orientations à l’intention des décideurs et d’étendre la portée des politiques et des lois.

Formes plus larges de mobilité humaine, changements climatiques et catastrophes

En plus des individus nécessitant une protection internationale, de nombreuses personnes se déplacent lorsqu’elles se trouvent confrontées à des conditions défavorables liées aux changements climatiques affectant leurs moyens de subsistance ou leur accès aux droits de manière radicale et irréversible. Certaines personnes peuvent être admises dans d’autres pays à titre temporaire ou discrétionnaire, mais beaucoup ne le seront pas. Les personnes qui franchissent les frontières dans de telles circonstances risquent de ne pas être assurées de recevoir un traitement conforme aux normes internationales, ni d’obtenir le droit de séjourner en toute sécurité. Pour répondre aux besoins de ces personnes et aider les États touchés par ces mouvements de population, un plus vaste ensemble de stratégies, d’interventions et d’outils concrets sont nécessaires pour compléter les approches juridiques existantes et les rendre plus cohérentes. Les acteurs étatiques et non étatiques, y compris le HCR, la société civile et les universitaires, peuvent contribuer à ces discussions aux niveaux national, régional et international, en s’appuyant sur les travaux déjà en cours dans divers forums.

Cette approche plus large de la mobilité humaine pourrait inclure des mesures visant à renforcer la préparation au sein des communautés touchées, à développer la résilience, à atténuer les risques et à favoriser l’adaptation. Bien que ces mesures ne suffisent pas à elles seules à répondre à toutes les vulnérabilités ou à tous les besoins, elles peuvent contribuer à renforcer les communautés et les individus, et à réduire ou à éviter les pressions qui poussent au déplacement.

Une réinstallation planifiée, fondée sur des principes issus des droits de l’homme, fait l’objet d’une attention accrue en tant que moyen potentiel pour mettre les personnes hors de danger et éviter activement les déplacements[7]. La réinstallation planifiée, qui se justifie par l’intérêt des communautés à déménager et implique leur pleine participation, n’est entreprise lorsque les autres options ont été épuisées. Les conseils et les outils[8] développés par le HCR et ses partenaires s’appuient sur l’expérience des États et des communautés, et visent à soutenir le développement futur de stratégies nationales et locales de réinstallation planifiée.

Davantage d’opportunités de migration doivent être offertes comme moyen d’adaptation. Ce type de migration implique un déplacement volontaire, ou du moins, un élément de choix. Dans ce contexte, les personnes peuvent utiliser les voies de migration régulières, telles que les programmes de visas de travail ou d’études, ou les instances dans lesquelles des catégories ou des conditions d’octroi de visas spécifiques sont ouvertes à des groupes de personnes en situation précaire ou touchés par une catastrophe ou des changements climatiques. La migration en tant que stratégie d’adaptation peut également contribuer à éviter le déplacement. Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM) envisage des avenues de migration régulière, ainsi que d’autres moyens pour aider les personnes qui se déplacent dans le contexte de changements climatiques, de la dégradation de l’environnement et de catastrophes. Le HCR coopère avec ses partenaires du Réseau des Nations Unies sur les migrations – l’organe chargé de soutenir les États dans la mise en œuvre du PMM – pour faire progresser la réflexion et l’action sur la migration dans l’objectif de réduire les risques de déplacement et le déni des droits de l’homme.

La Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (PDD) joue également un rôle déterminant pour mettre en évidence les besoins, soutenir le développement des connaissances et promouvoir la cohérence stratégique entourant les déplacements dus aux catastrophes. La mise en œuvre de l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà de leurs frontières dans le contexte de catastrophes et de changements climatiques (l’Agenda pour la protection) est au cœur-même de ce travail. Grâce à son groupe de travail dédié aux changements climatiques, la PDD est l’instrument idéal pour permettre un examen plus approfondi en vue de relever l’ensemble des défis que pose la mobilité humaine liée aux changements climatiques et aux catastrophes, et plus particulièrement les déplacements, les mouvements migratoires, la réinstallation interne planifiée et le soutien à la résilience, l’atténuation des risques et l’adaptation.

Au sein du cadre institutionnel soutenant la mise en œuvre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Équipe spéciale sur les déplacements de population fait partie du Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices[9]. L’Équipe spéciale a publié des recommandations (approuvées par les parties à la CCNUCC en 2018) sur les approches intégrées afin d’éviter, minimiser et remédier aux effets néfastes des changements climatiques. Les travaux de l’Équipe spéciale s’appuient sur des cadres et des forums politiques de référence, notamment le Pacte mondial pour les réfugiés (PMR), le Pacte mondial pour les migrations (PMM), le Cadre d’action de Sendai sur la réduction des risques de catastrophe et la PDD.

Afin de soutenir la poursuite de la recherche et du dialogue sur le déplacement dans le contexte d’une mobilité humaine plus élargie, en 2021, le HCR a coorganisé une série d’ateliers sur le thème « Développer un programme de recherche et de politiques pour répondre aux déplacements et aux migrations dans le contexte des catastrophes et du changement climatique en Afrique » qui a permis d’identifier les priorités en matière de recherche sur les déplacements et les migrations liés aux catastrophes et aux changements climatiques en Afrique. Cette série d’ateliers visait également à offrir des opportunités aux chercheurs régionaux et à faire entendre les voix des personnes affectées[10].

La voie à suivre

L’un des principaux défis consiste à concrétiser les paroles et les engagements, si nombreux sur le papier, en actions et en résultats positifs dans la vie des personnes concernées. S’il convient  de reconnaître l’existence de distinctions juridiques et pratiques entre déplacement et migration, il n’en reste pas moins que des rapprochements logiques apparaissent dans le contexte des changements climatiques et des catastrophes. Il est nécessaire d’apporter des réponses coordonnées afin de garantir le respect des droits de l’homme pour tous, quel que soit leur statut, et – conformément aux Objectifs de développement durable – de s’assurer que personne n’est laissé pour compte.

L’élaboration d’approches intégrées de la mobilité humaine exige des États, des agences des Nations unies, des organismes non gouvernementaux internationaux et nationaux, et des autres parties prenantes de collaborer. Le débat se déroule dans un contexte en rapide évolution et de plus en plus sécuritaire. Les acteurs doivent mettre à profit leur expertise, leur expérience et leur mandat respectifs pour répondre aux déplacements. Ils doivent satisfaire ces besoins en termes de capacités, de ressources limitées et de contraintes, tant opérationnelles que politiques, en anticipant la nécessité de mettre en œuvre des mesures concrètes pour faire face à la mobilité dans des contextes aussi bien localisés que plus étendus. Pour reprendre les propos des pays les moins avancés lors de la COP26, « ce ne sont pas seulement les générations futures qui sont en danger » – le défi est bien présent, ici et maintenant.

 

Madeline Garlick garlick@unhcr.org

Chef de la Section Politique de protection et conseil juridique, HCR

 

Isabelle Michal michal@unhcr.org

Chargée de protection, Changements climatiques et déplacements liés aux catastrophes, Section Politique de protection et conseil juridique, HCR

 

[1] La mobilité humaine est un terme générique englobant trois formes de mouvements de population : i) le déplacement – le mouvement principalement forcé des personnes ; ii) la migration – le mouvement principalement volontaire des personnes ; iii) la réinstallation planifiée – le processus d’installation des personnes ou des communautés dans un nouveau lieu (voir la décision 1/CP.16 de la CCNUCC, Cadre de l’adaptation de Cancun, paragraphe 14f).

[2] HCR (2020) « Considérations juridiques relatives aux demandes de protection internationale faites dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes » www.refworld.org/docid/5f75f2734.html (en anglais et français).

[3] Article 1.2 de la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique https://bit.ly/OAU-Convention

[4] Weerasinghe S (2018) In Harm’s Way : International protection in the context of nexus dynamics between conflict or violence and disaster or climate change, UNHCR DIP www.unhcr.org/5c1ba88d4.pdf.

[5] Teitiota c. Nouvelle-Zélande n° 2728/2016, Comité des droits de l’homme, janvier 2020 www.refworld.org/cases,HRC,5e26f7134.html

[6] HCR (2014) Principes directeurs sur les dispositifs de protection et de séjour temporaire www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=56e7b8ca4

[7] PDD (2021) Leaving Place, Restoring Home https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2021/03/PDD-Restoring_Home-2021-screen_compressed.pdf

[8] UNHCR, Georgetown and IOM (2014) A TOOLBOX: Planning Relocations to Protect People from Disasters and Environmental Change www.unhcr.org/protection/environment/596f1bb47/planned-relocation-toolbox.html ; Brookings, Georgetown and UNHCR (2017) Guidance on Protecting People from Disasters and Environmental Change through Planned Relocation www.unhcr.org/protection/environment/562f798d9/planned-relocation-guidance-october-2015.html

[9] https://unfccc.int/process/bodies/constituted-bodies/WIMExCom/TFD

[10] www.kaldorcentre.unsw.edu.au/sites/kaldorcentre.unsw.edu.au/files/Africa_Workshop_Series_Concept_Note_EN.pdf

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