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Prévoir les catastrophes et protéger les droits

Chaque année, des millions de personnes sont déplacées par des catastrophes naturelles[1]. Plusieurs facteurs influencent ce type de déplacement: la magnitude ou l’intensité de la catastrophe, le nombre de personnes et de logements qui y sont exposés et le degré de vulnérabilité de ces personnes, qui affecte leur capacité d’adaptation et leur résilience.

Les recherches sur les risques de catastrophe peuvent aider les autorités à identifier les risques de déplacement et prévenir ces déplacements.

Plusieurs modèles de probabilité ont été élaborés pour prévoir la magnitude et la fréquence des impacts futurs, dont le déplacement, en se basant à la fois sur les impacts réels des catastrophes et sur des simulations (le plus souvent, les pertes humaines et économiques). Les résultats préliminaires de ces modèles se sont avérés relativement prudents par rapport aux statistiques enregistrées par les gouvernements concernant les personnes déplacées par des catastrophes. Toutefois, ils peuvent donner aux pouvoirs publics une idée du nombre de personnes qui risquent d’être déplacées par une catastrophe survenant chaque mois, chaque année ou chaque décennie, et de la meilleure manière de prévenir telle catastrophe ou de s’y préparer. Par exemple, les pouvoirs publics provinciaux savent que les catastrophes fréquentes et de petite échelle (ainsi que les déplacements qu’elles occasionneront) ne déclencheront pas d’intervention humanitaire de grande envergure et, donc, que la prévention des catastrophes ou la réduction des risques de catastrophe peuvent s’avérer être des solutions plus rentables.

La réduction des risques de catastrophes peut d’ailleurs efficacement empêcher le déplacement des populations. Dans le cas des catastrophes prévisibles, les autorités sont effectivement obligées de prendre des mesures de réduction des risques afin de protéger la vie et la propriété des personnes. Ces mesures peuvent inclure l’évacuation, c’est-à-dire le déplacement. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un jugement sans précédent contre la Russie[2], a conclu que les pouvoirs publics avaient violé le droit à la vie des victimes d’un affaissement de terrain car ils n’avaient pas pris les mesures efficaces à leur disposition pour protéger ce droit ainsi que le droit à la propriété, alors même qu’ils savaient que le risque était imminent. La Cour a identifié quatre obligations essentielles relatives au droit à la vie: approuver et appliquer des lois et des politiques portant sur la gestion des catastrophes; prendre les mesures administratives nécessaires tells que la surveillance des zones à risque; informer la population des risques et des dangers; et évacuer les populations qui risquent d’être touchées.

Lorsqu’une évacuation est décidée pour réinstaller les populations dans des zones plus sûres avant qu’une catastrophe ne survienne, le déplacement peut alors parfois s’apparenter à une mesure de réduction de certains risques, tels que le risque de perdre la vie. Lorsqu’elles sont jugées nécessaires pour assurer la sécurité et préserver la santé des personnes et qu’elles se conforment aux normes internationales, les évacuations et les réinstallations ne sont pas considérées comme des déplacements arbitraires et ne sont donc pas prohibées par le droit international. Toutefois, les évacuations mal planifiées et mal gérées donnent lieu à de nombreuses préoccupations en matière de droits humains.

Par exemple, les plans d’évacuation en place lors de l’ouragan Katrina en 2005 reposaient sur la possibilité d’accéder à un moyen de transport privé, une mesure discriminatoire à l’encontre des segments les plus pauvres de la population qui ne possédaient pas de voiture – et qui, de surcroît, vivaient dans les quartiers de la Nouvelles-Orléans les plus exposés aux risques. En 2008, au Mozambique, les autorités ont décidé de réinstaller sur des terres plus élevées les communautés vivant le long du fleuve Zambèze en raison des inondations fréquentes qui y sévissaient. Malheureusement, les zones de réinstallation n’offraient aucun moyen de subsistance si bien que la population déplacée, composée majoritairement d’agriculteurs, n’avait accès ni à l’eau ni aux pâturages, ni à tout autre actif agricole qui aurait pu lui permettre de reproduire son mode de subsistance précédent.

Les mesures de réduction des risques de catastrophe qui impliquent le déplacement des personnes, telles que les évacuations et les réinstallations, doivent prendre en compte les droits humains des personnes concernées. Il est particulièrement important de fournir des informations aux communautés, de les consulter et de les faire participer à la planification et à la gestion de telles mesures. Il y a de grandes chances pour que l’inclusion des populations à risque réduise le risque d’évacuation et de réinstallation forcées et le nombre de violations des droits humains lors de leur mise en œuvre. Les huit critères définis par le CPI en 2010 dans le Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays[3] devraient être appliqués à la réinstallation permanente afin de déterminer si les situations de réinstallation respectent ces critères.

Même si nous comprenons mieux ces choses aujourd’hui, il nous reste encore à combler d’importantes carences. Comprendre les implications du déplacement interne dans le contexte des catastrophes à déclenchement lent constitue le besoin le plus urgent, de même qu’élaborer des méthodes permettant d’évaluer l’échelle, la portée et les schémas du déplacement en cas de sécheresse et d’autres aléas naturels (ex: retombées de cendres volcaniques) qui n’endommagent pas directement les logements mais qui, en compromettant les moyens de subsistance, provoquent indirectement le déplacement. Lors de la phase initiale d’une sécheresse, il est probable que les communautés choisissent la migration comme stratégie d’adaptation. Cependant, lorsque ces communautés n’ont d’autre choix que d’abandonner leur logement et leurs terres, il ne s’agit plus d’un simple mouvement migratoire mais bien d’un déplacement.

Notre analyse doit aussi prendre en compte les multiples facteurs qui influencent généralement les déplacements occasionnés par les catastrophes à déclenchement lent. Par exemple, il est important de considérer les liens étroits entre les sécheresses et la famine ou les conflits qui peuvent éclater concernant l’accès aux rares ressources.

Recommandations à l’attention des autorités nationales, provinciales et locales

  • Enregistrer systématiquement les données relatives au déplacement

Les impacts des catastrophes sont actuellement enregistrés dans des bases de données nationales et internationales. Alors que certaines de celles-ci répertorient des informations concernant le nombre de logements endommagés ou détruits, la plupart ne répertorient aucune donnée relative au déplacement, telle que le nombre de déplacés, la durée du déplacement, le lieu d’origine et le lieu de réinstallation. En enregistrant systématiquement les informations liées aux déplacements passés, les autorités pourront toutefois comprendre les schémas et les facteurs de déplacement, ce qui pourra les aider à prévenir de futurs mouvements.

  • Évaluer le risque de déplacement

Il est utile de savoir combien de personnes ont été déplacées lors de catastrophes passées ou actuelles mais ce n’est pas suffisant. Afin d’empêcher que de nouvelles catastrophes ne provoquent de nouveaux déplacements, les autorités doivent savoir combien de personnes pourraient être déplacées à l’avenir. Cela implique de penser aux risques et d’adapter les modèles de risque de catastrophe afin d’évaluer le nombre de personnes risquant d’être déplacées sur un territoire donné, que ce soit un pays, une province ou une municipalité, et la fréquence des déplacements.

  • Réduire les risques de déplacements qui peuvent être réduits – et se préparer aux risques qui demeurent

Seuls certains déplacements liés aux catastrophes peuvent être évités, en particulier les déplacements liés aux catastrophes fréquentes de faible intensité telles que les inondations saisonnières, les cyclones de catégorie 1 ou 2 ou les petits séismes. Dans le cas des séismes de forte magnitude, des cyclones et des tsunamis, les systèmes d’alerte rapide et d’évacuation représentent souvent la meilleure stratégie de survie. En évaluant les risques de déplacement, les autorités peuvent identifier dans quelle mesure le déplacement peut être évité et dans quelle mesure il faut s’y préparer. Ces informations sont cruciales en termes de planification des itinéraires et des centres d’évacuation mais aussi pour l’allocation des ressources destinées au relèvement rapide et à la reconstruction. La préparation aux déplacements implique également de comprendre l’obligation juridique de protéger les droits des personnes déplacées par les catastrophes. Les gouvernements peuvent renforcer leurs capacités à s’acquitter de ces obligations en abordant la question du déplacement dans leurs plans de développement, de gestion des risques et d’adaptation au changement climatique.

  • S’attaquer aux facteurs de risque du déplacement

Parmi ces facteurs, on peut citer l’aménagement du territoire, la gestion durable de la croissance urbaine et des écosystèmes, l’élaboration et l’application de normes de construction, sans oublier le renforcement des capacités de gouvernance pour rendre toutes ces mesures possibles. Bien que les facteurs de risque relatifs au développement soient assez bien compris, la gestion de ces processus reste actuellement hors de portée des capacités de nombreux pouvoirs publics nationaux, provinciaux et locaux.

  • Construire la volonté politique de protéger les droits des personnes exposées aux risques

Tant que les catastrophes continueront à provoquer le déplacement de populations, il est essentiel que les communautés vulnérables et leurs défenseurs défendent leurs droits. Ceci implique de fournir aux responsables des données tangibles qu’ils peuvent comprendre et sur lesquelles ils peuvent se baser pour agir mais aussi d’informer le public au sujet des risques, en vue de construire à la fois une volonté politique et de demander des comptes aux autorités. Il est nécessaire d’instaurer une meilleure coordination entre les acteurs des droits humains, de la réduction des risques de catastrophe et du développement afin qu’ils puissent contribuer à faire naître cette volonté politique et de cette responsabilisation. Quant aux gouvernements, ils doivent être encouragés à signer et appliquer les instruments juridiques relatifs au déplacement interne, aux risques de catastrophe et aux droits humains.

 

Justin Ginnetti justin.ginnetti@nrc.ch et Nina Schrepfer nina.schrepfer@nrc.ch sont conseillers en catastrophes naturelles auprès de l’Observatoire des situations de déplacement interne du Conseil norvégien pour les réfugiés. www.internal-displacement.org



[1] Consultez People displaced by natural hazard-induced disasters: Global estimates for 2011 (Estimations mondiales 2011 : Les personnes déplacées du fait des risques induits par les catastrophes naturelles), Observatoire des situations de déplacement interne, Genève.

http://tinyurl.com/IDMC-NaturalDisasters2011

[2] Affaire ECtHR, Budayeva et autres contre la Russie, jugement du 20 mars 2008. Reportez-vous à l’article de Walter Kälin et Claudine Haenni Dale «L’atténuation des risques de désastre: pourquoi les droits humains sont importants», RMF 31 www.fmreview.org/FMRpdfs/FMR31/38-39.pdf

[3] Comité permanent interorganisations (CPI), 2010: Cadre conceptuel sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne http://tinyurl.com/Brookings-DurableSolutions-fr

 

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