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Nouvelle architecture de l’aide et renforcement de la résilience dans le contexte de la crise syrienne

En tant que pays à revenu intermédiaire, la Jordanie, le Liban, la Turquie et l’Égypte dans une grande mesure, mais aussi l’Irak et la Syrie dans une moindre mesure, ont subi un déclin des flux d’aide publique en appui à leur développement au cours des années précédant la crise syrienne. Dans les pays à revenu intermédiaire, le financement du développement repose principalement sur les ressources nationales et l’emprunt international. Les flux de réfugiés exercent des pressions sur les budgets nationaux en raison de la croissance du volume des subventions destinées aux biens et aux services essentiels et de l’augmentation des coûts de sécurité, si bien que la dette publique de la Jordanie et du Liban est aujourd’hui plus élevée que leur produit intérieur brut (PIB).

L’efficacité de l’assistance apportée par la communauté internationale a également été affaiblie par la prévalence de « silos » financiers distincts pour les aspects humanitaires, de développement et d’adaptation climatique. Ces trois silos n’ont pas les mêmes objectifs et ne suivent pas les mêmes principes. Ils ont évolué séparément, sont déployés sur des échelles spatiales et temporelles différentes, sont alignés sur des lignes et des règles budgétaires différentes et sont gérés par des acteurs différents. Il existe également une multitude d’initiatives multilatérales, bilatérales et non gouvernementales disposant de leurs propres flux de financement. Souvent, ces initiatives souffrent d’un manque de communication et de coordination, que ce soit entre différentes agences de l’ONU, au sein de l’architecture de l’aide d’un même bailleur de fonds ou encore au sein d’un même ministère de tutelle du gouvernement concerné. Et bien que certains aient cherché à combler le fossé entre les initiatives humanitaires et de développement et les sources de financement, l’intervention en cas de crise prolongée est restée fragmentée. Ainsi, la crise syrienne nous apprend, entre autres enseignements, que l’architecture de l’aide n’est pas adaptée aux objectifs visés par les interventions en cas de crise.[1]

Vers un changement de paradigme en réponse aux crises prolongées

Fin 2013, dans le cadre du Groupe régional des Nations Unies pour le développement (R-GNUD), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a établi un Mécanisme sous-régional d’intervention[2] à Amman, couvrant les six pays les plus touchés par la crise. Son but était de travailler étroitement avec les acteurs humanitaires et du développement et avec les pouvoirs publics afin de trouver une réponse à la fois plus durable et plus abordable à une crise prolongée. Cette initiative ardue a dû franchir quatre étapes cruciales :

Premièrement, l’adoption par le R-GNUD de l’intervention de développement basée sur la résilience face à la crise syrienne (Resilience-Based Development Response to the Syria Crisis)[3], qui définissait un nouveau cadre programmatique et organisationnel pour l’intégration d’interventions humanitaires et de développement. Cette approche axée sur la résilience incluait une boîte à outils innovante pour la résilience (indice de stress, perspective axée sur la résilience, analyse de vulnérabilité, évaluation des systèmes de résilience), faisait de la place à de nouveaux partenaires (secteur privé, institutions internationales de financement, fonds de développement) et accordait un rôle plus important aux autorités des cinq pays accueillant les réfugiés.

Deuxièmement, la formulation d’un Plan régional pour les réfugiés et la résilience (3RP), sous la direction conjointe de l’UNHCR (l’agence de l’ONU pour les réfugiés) et du PNUD, avec la participation de cinq pays et de plus de 200 partenaires, y compris les agences de l’ONU concernées et des ONG nationales et internationales. Le 3RP est innovant dans la mesure où (a) il intègre les interventions humanitaires et de développement au sein d’une seule plateforme de programmation d’interventions face à la crise, (b) il renforce l’appropriation nationale en articulant le processus de planification autour de plans nationaux (pour la Jordanie et le Liban), (c) il recentre les investissements sur les systèmes d’exécution locaux, notamment les municipalités, et, enfin, (d) il a mis en place une programmation pluriannuelle pour une meilleure prévisibilité financière.[4]

Troisièmement, le Forum pour le développement de la résilience (Resilience Development Forum) organisé en novembre 2015 à la mer Morte, en Jordanie, qui réunissait des hauts représentants des gouvernements d’Égypte, d’Irak, de Jordanie, du Liban et de Turquie, des agences de l’ONU, des organisations internationales et des institutions internationales de financement, des pays donateurs, des ONG internationales et nationales, des institutions de recherche et des dirigeants du secteur privé. Ce forum a abouti à la définition d’une feuille de route pour le renforcement de la résilience, le Programme de résilience de la mer Morte (Dead Sea Resilience Agenda)[5], qui codifie et formule en 5 principes et 10 recommandations le nouveau modèle opérationnel en cas de crise prolongée. Son objectif est d’éclairer la prochaine série d’interventions dans la région, y compris en Syrie, afin de renforcer le processus national de planification déjà en cours et de continuer d’exploiter les ressources de développement et les partenariats dans la quête de solutions durables.

Quatrièmement, pour finir,  l’organisation en février 2016 de la Conférence de Londres : Soutenir la Syrie et la région (Supporting Syria and the Region) afin de mobiliser les ressources financières nécessaires au renforcement de la résilience, en impliquant les bailleurs traditionnels et non traditionnels, les États de la région, les institutions financières internationales, des philanthropes, le secteur privé et un vaste éventail d’ONG nationales et internationales. Pour la première fois, une conférence des donateurs pour la Syrie était structurée autour de thèmes contribuant au renforcement de la résilience, à savoir les moyens de subsistance et l’éducation, le troisième thème portant sur la protection.

Cette conférence s’est également démarquée des exercices traditionnels d’engagement financier en introduisant des « engagements en faveur du changement de politiques ». Ainsi, la Jordanie, le Liban et la Turquie se sont engagés à ouvrir leur marché du travail et à multiplier les opportunités économiques pour les réfugiés et les communautés d’accueil. À leur tour, les acteurs externes ont accepté de soutenir les pays d’accueil dans des domaines tels que l’accès préférentiel aux marchés, l’accès aux financements concessionnels et un appui plus solide à la création d’emplois publics et privés. Ce nouveau pacte illustre de manière concrète comment il est possible de transformer une crise en une opportunité de développement.

Nouvelles opportunités de renforcement de la résilience

Le programme pour la résilience dans le cadre de la crise syrienne a introduit une série de nouvelles modalités d’investissement et de coopération, qui influenceront à coup sûr la prochaine génération d’interventions en cas de crise. Ses aspects les plus prometteurs sont les suivants :

Engagement du secteur privé : chez les voisins de la Syrie, les plans nationaux de résilience ont identifié le développement des entreprises comme l’un des éléments clés du renforcement de la résilience socio-économique dans les communautés touchées. Les pouvoirs publics, par le biais de taxes spéciales et d’autres mesures incitatives, pourraient également catalyser, façonner et stimuler les investissements étrangers privés (y compris les investissements syriens) afin de créer des emplois pour les réfugiés et les communautés d’accueil via la création de zones économiques spéciales. L’objectif est d’attirer les entreprises et de créer des emplois le long de la frontière afin de réduire les flux migratoires et de préparer le terrain avant la reconstruction. Il est fondamental que les autorités garantissent la sécurité de ces zones spéciales, tandis que l’aide peut jouer le rôle de financement de démarrage en vue d’attirer de plus amples investissements privés. Dans les zones industrielles existantes de Turquie, des programmes de formation professionnelle financés par les bailleurs ont été mis en place ; ces derniers bénéficient de plus en plus souvent de financements privés et établissent des accords de coopération avec les autorités afin de pouvoir utiliser certaines installations publiques.

Financements communs : ce type de financement, administré par un groupe de parties prenantes internationales, peut regrouper des contributions fragmentées jusqu’à atteindre une masse critique de ressources permettant de combler des écarts de financements cruciaux. Il peut également, à la demande des pouvoirs publics, venir renforcer un budget sectoriel, tout en favorisant une meilleure coordination et une plus grande cohérence des objectifs programmatiques et de la gestion des risques. Des financements communs ont été établis pour le Liban et la Jordanie.

Échange de créances contre des programmes de développement, des investissements écologiques ou des actifs : il s’agit d’instruments susceptibles de réduire l’endettement (actuellement supérieur à 100 % du PIB) de certains pays voisins de la Syrie, qui permettent parallèlement de financer des projets de développement pour répondre au choc démographique. L’ONU, les institutions financières internationales et les autorités nationales travaillent en coordination pour négocier l’ensemble de ces instruments d’échange en faveur du développement et identifier les déficits de capacités au niveau national relativement à ces transactions financières.

Coopération Sud-Sud et triangulaire : il est indispensable que les acteurs nationaux de la région s’engagent à travailler sans relâche avec les éventuels fournisseurs de solutions établis ailleurs. De la gestion efficace de l’énergie et de l’eau à l’entrepreneuriat social à fort impact en passant par les techniques de renforcement de la cohésion, les pays touchés par la crise peuvent s’inspirer de nombreux enseignements, étant donné la grande expérience et les vastes connaissances des pays du Sud en matière d’adaptation à une grande variété de crises d’origine humaine.

Bien que le renforcement de la résilience soit toujours un concept vague dans la sous-région, faisant l’objet de différentes interprétations techniques et d’intérêts politiques divergents, elle a toutefois joué un rôle remarquable de création de partenariats en réunissant un vaste éventail de parties prenantes (du secteur humanitaire, du développement et des pouvoirs publics) autour d’un objectif commun visant à optimiser les capacités, les connaissances et les ressources afin de trouver des solutions durables. Grâce à la résilience, nous avons pour ambition d’endiguer la crise humanitaire tout en préservant le capital humain et les actifs vitaux, d’impulser une dynamique qui annulera les impacts négatifs de la crise et, pour conclure, de mettre fin à une tragédie qui accable des millions d’êtres humains.

 

Gustavo Gonzalez gustavo.gonzalez@undp.org
Coordinateur du développement sous-régional au PNUD, spécialiste de la crise syrienne www.undp.org



[1] www.worldhumanitariansummit.org/whs_finance/hlphumanitarianfinancing

[2] www.arabstates.undp.org/content/rbas/en/home/ourwork/SyriaCrisis/in_depth.html

[4] Consultez Zetter R et Ruaudel H (2014) « Les défis, en matière de développement et de protection, que pose la crise des réfugiés syriens », Revue des Migrations Forcées no. 47 http://www.fmreview.org/fr/syrie/zetter-ruaudel

 

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