Dès que la résolution d’un conflit est suffisamment avancée pour permettre le retour (volontaire ou forcé) et que les personnes ayant souscrit au programme de rapatriement ont reçu leur kit de retour, la crise est considérée comme finie, les financements sont réorientés (c’est-à-dire réduits) et la réintégration est reléguée aux oubliettes. Le problème de ce processus, c’est que la probabilité d’une recrudescence des tensions, des conflits et, au bout du compte, des redéplacements augmente lorsque le processus complexe, fragile et épineux de la réintégration ne bénéficie pas de l’attention qu’il mérite.
Le Burundi en est un bon exemple. Ce pays s’est embarqué dans une longue et difficile tâche de reconstruction après plusieurs décennies de violence, d’instabilité politique et de déplacement. Bien que des dizaines de milliers de personnes soient toujours déplacés, plus d’undemi-million de Burundais sont rentrés chez eux ces dernières années, dont certains après plus de trente ans passés en exil. Leur retour est considéré comme un succès par les acteurs externes, dont l’UNHCR qui l’a décrit comme «l’une des opérations les plus réussies sur le continent africain».[1]
Il est extrêmement encourageant de voir que tant de personnes aient pu retourner chez elles, ces retours étant porteurs d’espoir pour l’avenir du pays. Cependant, bien que beaucoup de choses se soient bien passées lors du processus de retour, il y a également eu de nombreuses défaillances. Celles-ci sont manifestes aussi bien au Burundi que dans les pays voisins, en particulier en Tanzanie, où des milliers de réfugiés continuent de s’opposer à tout retour. La réintégration véritable des personnes ayant vécu le déplacement constitue probablement le plus grand défi pour le pays, et une priorité si l’on veut éviter de futurs déplacements.
Il est notoirement difficile de quantifier la réintégration. Toutefois, il semble que la capacité de tous les Burundais à exercer véritablement et concrètement leurs droits de citoyenneté constitue un bon moyen d’évaluer la durabilité du retour, et surtout d’évaluer la capacité des personnes ayant vécu en exil à se réintégrer correctement à la société civile.
La possibilité d’accéder équitablement aux terres est le signe le plus évident de la capacité des rapatriés à exercer leurs droits. Au Burundi, la grande majorité de la population vit de l’agriculture de subsistance. Il n’est donc pas surprenant de constater que la question principale du processus de retour concerne la capacité des rapatriés à reprendre possession de leurs terres, utilisées ces dernières décennies par ceux qui n’ont pas fui le pays. Dans ce contexte, la question des terres se rapproche des questions de justice, de réconciliation et de paix durable, mais aussi des moyens de subsistance. C’est alors qu’apparaît l’un des principaux défauts du processus : les terres sont traitées avant comme une question économique qui peut être résolue grâce à l’assistance humanitaire plutôt que comme une question à forte résonnance politique. Bien sûr, les terres sont une ressource économique, dont les personnes ont besoin pour cultiver et nourrir leur famille, mais pour les rapatriés qui sont restés éloignés du pays pendant des dizaines d’années, l’accès aux terres constitue l’un des principaux indicateurs de leur niveau de réintégration, de réappropriation de leurs droits de citoyenneté et d’inclusion. Ainsi, pour les rapatriés, la réalisation de leur citoyenneté dépend avant tout de leur possibilité de reprendre véritablement et équitablement possession de leurs terres, et surtout de leurs terres familiales, car cela signifie la résolution des problèmes qui avaient initialement provoqué leur fuite et, par là-même, la perte de leur citoyenneté.
Pourtant, à ce jour, de nombreux rapatriés n’ont pas été en mesure de récupérer leurs terres, en particulier dans les situations où celles-ci sont occupées et que leurs occupants ne sont pas disposés à partir. S’ils font appel aux institutions judiciaires pour essayer de recouvrer leurs terres, les jugements rendus sont rarement en leur faveur. Et lorsqu’ils le sont, les rapatriés craignent les représailles des occupants actuels, en particulier s’il s’agit de personnes puissantes ou influentes. Les personnes incapables de récupérer leurs terres ont peu de possibilités d’accès à d’autres terres si bien qu’un grand nombre a été réinstallé dans ces lieux que l’on nomme «villages de la paix», dans lesquels les rapatriés, mais aussi d’autres groupes vulnérables ayant besoin de terres, sont regroupés et reçoivent une parcelle sur laquelle construire leur logement et cultiver. Bien que ces villages soient généralement considérés comme une amélioration par rapport aux conditions difficiles des camps de transit, ils demeurent profondément impopulaires. Comme ils sont isolés, on peut se demander si ces villages offriront réellement à leurs habitants de véritables possibilités de se réintégrer au tissu social burundais et pourront persuader les citoyens toujours en exil de rentrer au pays.
Bien que les terres ne constituent pas le seul défi au Burundi, leur distribution équitable constitue certainement l’une des clés du succès du processus actuel de consolidation de la paix et un indicateur important du potentiel de viabilité de la paix. Dans cette optique, considérer le retour et la réintégration au Burundi comme une réussite s’apparenterait à ignorer les graves problèmes qui pointent à l’horizon. Dans le camp de Mtabila, en Tanzanie voisine, des dizaines de milliers de réfugiés burundais continuent de résister à tout rapatriement malgré leurs conditions de vie alarmantes et le retrait de nombreux services du camp, ce qui soulève de sérieuses questions quant à la réussite supposée du processus de rapatriement.
En particulier, tant que l’accès aux terres sera principalement perçu comme un processus humanitaire plutôt que politique, il semble tout à fait possible qu’un retour en masse puisse déstabiliser le pays. Il est donc crucial que les agences gouvernementales, les responsables et les acteurs humanitaires concentrent leurs efforts sur la nécessité de répondre aux revendications foncières actuelles d’une manière qui soit à la fois équitable et réalisable. Ils doivent absolument veiller à investir suffisamment de temps et de ressources dans un processus de réintégration tout aussi fragile que complexe. Ainsi, dans ce contexte, la prévention du déplacement consiste à s’assurer que la réintégration s’inscrive dans le cadre plus global de la reconstruction nationale et à mettre fin aux déplacements antérieurs de manière à briser les cycles de conflits et de déplacements.
Lucy Hovil lucy@hovil.co.uk est chercheuse principale pour International Refugee Rights Initiative www.refugee-rights.org rédactrice en chef de l’International Journal of Transitional Justice www.ijtj.oxfordjournals.org
Cet article s’appuie sur des recherches menées en 2009 au Burundi. Consultez «“Two People Can’t Share the Same Pair of Shoes”: Citizenship, Land and the Return of Refugees to Burundi» par International Refugee Rights Initiative, Social Science Research Council et les Ministères REMA, Document de travail no 2 sur la citoyenneté et le déplacement dans la région des Grands Lacs, novembre 2009.[2]