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Un risque toujours présent: les expulsions forcées dans les zones urbaines d’Afghanistan

Environ 630 000 Afghans sont déplacés de l’intérieur en conséquence du conflit alors que le pays peine toujours à gérer la réintégration de plus de 5,7 millions d’anciens réfugiés. Jusqu’à 30% des Afghans vivent actuellement en milieu urbain, la majorité d’entre eux dans des installations informelles au sein ou en périphérie des plus grandes villes.[1] Cette rapide expansion urbaine a été alimentée par le rapatriement des réfugiés, l’arrivée des PDI fuyant les combats et les catastrophes, ou encore les migrants économiques venus des zones rurales. Alors que l’avenir de l’Afghanistan reste imprévisible, la mise en place de solutions durables pour les PDI et les réfugiés de retour reste assujettie à la fourniture de logements adéquats, y compris par la sécurité des droits fonciers. Comme ils manquent d’options d’hébergement abordables, les PDI urbains vulnérables et les familles de retour occupent des terres privées ou publiques sans permission ou sans titre foncier officiellement reconnus. Ils se trouvent ainsi exposés à des conditions de vie déplorables et courent constamment le risque d’être expulsés de force car les propriétaires ou les autorités cherchent à les faire partir pour construire des logements, des routes ou des bureaux.

Le Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR) et son Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC) a examiné 16 cas d’expulsion d’installations informelles dans les zones urbaines ou le CNR dispose d’une présence établie sur le terrain: Kaboul, Herat, Jalalabad, Mazar-e-Sharif, Maimana et Farah.[2] Ces cas (enregistrés entre novembre 2010 et juin 2013) impliquent des PDI et des familles rapatriées occupant des terres publiques ou privées sans autorisation ou avec des titres de propriété coutumiers.

Lacunes de la protection et carences des politiques

Selon les estimations, dans les communautés étudiées, cette situation concernait environ 9 600 familles (57 400 personnes), dont 557 qui avaient été expulsées de force. Tous les résidents sont exposés à ce risque, qu’ils soient récemment arrivés ou installés de longue date. Il existe de nombreuses lacunes de protection à toutes les étapes de l’expulsion, y compris: mépris du droit à la consultation et à la participation; périodes de préavis et procédures inadaptées et à forte variabilité; manque de recours juridique efficace et d’indemnisations, même lorsque les personnes expulsées détiennent un titre de propriété légal ou peuvent faire valoir un autre mode d’occupation légal; et, surtout, aucune option de réinstallation mise en place pour empêcher que les personnes se retrouvent encore plus vulnérables, voire sans abri, après leur expulsion.

En dépit de l’existence de garanties constitutionnelles contre toute interférence injustifiée avec le logement ou la propriété des personnes, ces cas mettent en lumière la présence de lacunes béantes dans la législation nationale. L’Afghanistan est partie à des normes internationales contraignantes qui lui imposent d’éviter, et de sanctionner, les expulsions forcées. En tant que partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,[3] l’Afghanistan doit veiller à ce que toutes les personnes puissent exercer, au minimum, les aspects les plus élémentaires du droit à un logement adéquat, dont un certain degré de sécurité d’occupation qui s’accompagne d’une protection juridique contre l’expulsion forcée. En tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,[4] le pays est obligé de respecter le droit à la vie privée et de protéger les personnes contre toute ingérence illégale ou arbitraire dans leur vie personnelle ou familiale, y compris à leur domicile, même s’ils n’occupent pas légalement leur lieu de résidence. Enfin, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[5] et la Convention relative aux droits de l’enfant[6] (toutes deux signées par l’Afghanistan) prévoient des obligations semblables à l’égard des femmes et des enfants en tant que catégories les plus touchées par l’expulsion.

Le rythme de l’urbanisation demande la mise en place de nouveaux systèmes de gouvernance foncière, notamment la réglementation des installations informelles que les autorités ont été réticentes à reconnaître. La situation est d’autant plus difficile pour les PDI, dont le droit de choisir leur lieu d’installation est rarement reconnu par les autorités provinciales et municipales. Les personnes déplacées souhaitent rarement quitter la ville où elles vivent dorénavant, et pourtant les responsables de l’élaboration des politiques associent habituellement les solutions à long terme avec le retour sur le lieu d’origine. La première option de réinstallation proposée aux PDI et rapatriés menacés d’expulsion est le Programme d’allocation des terres (PAT), initiative gouvernementale datée de 2005, mais les chercheurs ont trouvé très peu de preuves de réinstallation durable sur les sites du PAT en raison de la piètre qualité des sites sélectionnés, des critères d’admissibilité restrictifs et des taxes foncières relativement élevées.

Les principales agences gouvernementales ainsi que les autorités municipales considèrent que le ministère des réfugiés et du rapatriement est seul responsable de trouver des solutions pour les déplacés en milieu urbain. En conséquence, les réponses aux besoins à long terme des personnes déplacées en milieu urbain n’ont pas été bien coordonnées au niveau du gouvernement. Toutefois, certains signes bienvenus semblent indiquer une certaine évolution dans l’attitude officielle. En 2012, l’équipe de travail sur le logement, les terres et la propriété du Groupe chargé de la protection en Afghanistan a rédigé des directives sur l’atténuation du mal et de la souffrance dans les situations d’expulsion forcée (Guidelines for Mitigating Harm and Suffering in Situations of Forced Evictions)[7]. Ces directives ont ensuite été intégrées à une politique phare, la politique nationale relative au déplacement interne (politique sur les PDI), adoptée par le cabinet afghan en novembre 2013.

La politique sur les PDI reconnaît le droit des PDI et des réfugiés rapatriés à un logement adapté en milieu urbain; comprend des dispositions précises concernant les expulsions forcées et la sécurité des droits fonciers; reconnaît la croissance des installations informelles; reconnaît les droits des PDI, accordée par la constitution afghane, à s’installer dans quelconque région du pays; et reconnaît que les autorités nationales, provinciales, de district et municipales ont pour responsabilité de garantir que les PDI et les rapatriés vivant dans des installations informelles et d’autres endroits ne sont pas menacés ni victimes d’expulsion forcée.

L’ébauche de politique sur la modernisation des installations informelles, présenté par le gouvernement en 2013, prévoit également la protection contre l’expulsion forcée, notamment par l’introduction de nouvelles lois. Toutefois, fin mars 2014, la politique n’avait toujours pas été soumise au cabinet.

Recommandations

Là où les terres ou propriétés publiques ou privées sont occupées sans autorisation, les expulsions forcées ne sont pas inévitables. Les autorités afghanes devraient, avec un appui international:

  • prendre des mesures immédiates pour appliquer la politique sur les PDI, en développant des plans d’action nationaux et provinciaux sur les solutions durables et en affinant le profilage des besoins spécifiques des PDI relativement au logement, aux terres et à la propriété en milieu urbain.

 

  • introduire des lois, des politiques et des plans exhaustifs, efficaces et cohérents pour empêcher et sanctionner les expulsions forcées des PDI et des réfugiés rapatriés en milieu urbain ainsi que la population pauvre urbaine en général. Ceux-ci devraient clarifier les conditions et les procédures selon lesquelles les expulsions de personnes occupant des terres publiques ou privées en milieu urbain peuvent être exécutées et garantir la légalité, la nécessité et la proportionnalité de ces expulsions ; ceci devrait inclure l’interdiction du recours à une force excessive lors des expulsions, y compris la destruction des logements comme moyen de pression. Il est essentiel de proposer des options adaptées de réinstallation ou de relogement et de mettre en place des mécanismes d’indemnisation  (ainsi que la possibilité de faire appel).

 

  • institutionnaliser véritablement la consultation et la participation des communautés touchées, en collaboration avec les agences humanitaires et de développement : toutes les personnes touchées, y compris les femmes et les personnes âgées, doivent être informées à chaque étape du processus d’expulsion. Lorsque les gens font appel d’un avis d’expulsion, le processus d’expulsion devrait être suspendu jusqu’à ce qu’un examen officiel de la décision ait eu lieu.

 

  • introduire des mesures légalisant la sécurité foncière pour les PDI, les rapatriés et les autres résidents urbains vulnérables sans accès légal aux terres et au logement: Le Décret Présidentiel 104 doit être révisé pour mieux répondre aux besoins des bénéficiaires, en prêtant une attention particulière à la sélection de sites adaptés, à la réduction ou à l’exonération des taxes foncières et à des critères d’admissibilité plus larges incluant les PDI et les réfugiés rapatriés vivant hors de leur province d’origine. En attendant, il faudrait imposer un moratoire sur les expulsions forcées et élargir les programmes de modernisation et de légalisation des installations informelles.

 

  • adopter rapidement la politique sur la modernisation des installations informelles et prendre des mesures immédiates pour la mettre en application.

 

Les acteurs internationaux de l’humanitaire et du développement ainsi que les bailleurs de fonds devraient:

 

  • financer et soutenir de toute autre manière que ce soit la mise en œuvre de la politique sur les PDI, y compris les activités de profilage des PDI qui permettront de mieux comprendre les besoins liés au déplacement et d’améliorer les réponses apportées

 

  • veiller à ce que le plan-cadre des Nations Unies pour l’aide au développement 2015-2019 se concentre judicieusement sur des solutions durables pour les PDI et les réfugiés rapatriés, y compris sur la réalisation du droit au logement en milieu urbain via des programmes communautaires

 

  • mettre en œuvre le Cadre du Secrétaire-Général sur l’éradication du déplacement suite aux conflits, daté de 2011, qui porte également sur les PDI et les réfugiés rapatriés

 

  • encourager la participation conjointe des acteurs internationaux de l’humanitaire et du développement aux mécanismes de coordination répondant au déplacement interne afin d’adopter une approche exhaustive

 

  • renforcer les capacités des acteurs de la protection relativement au suivi et signalement préventif des expulsions et des réinstallations à travers le pays

 

  • garantir un flux régulier de financement pour les activités de renforcement des capacités et de sensibilisation relativement aux expulsions forcées et aux normes juridiques (internationales) applicables pour tous les acteurs concernés.

 

 

Caroline Howard caroline.howard@nrc.ch est directrice du département Moyen-Orient, Europe, Caucase et Asie pour l’Observatoire des situations de déplacement interne www.internal-displacement.org et Jelena Madzarevic jelena.madzarevic@afg.nrc.no est conseillère en Logement, terre et propriété pour le Conseil norvégien pour les réfugiés en Afghanistan www.nrc.no/afghanistan.



[1] Metcalf V, Haysome S avec Martin E (2012) Sanctuary in the City: Urban displacement and Vulnerability in Kabul, Humanitarian Policy Group/Overseas Development Institute, p6.

[2] Voir NRC/IDMC (fév 2014) Still at risk: Security of tenure and the forced eviction of IDPs and refugee returnees in urban Afghanistan

www.nrc.no/arch/_img/9689800.pdf

 

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