De nombreuses femmes qui voyagent à travers la Grèce pour échapper au conflit et atteindre un lieu de sécurité sont déjà enceintes lorsqu’elles s’enfuient de chez elles ou le deviennent pendant leur voyage. Ce dernier peut prendre des mois et bien souvent, elles n’ont qu’un accès limité à la nourriture de qualité dont elles ont besoin pendant leur grossesse. Il faut encore ajouter à cela l’impact physique du voyage sur leur santé ainsi que le stress psychologique attaché au fait de se retrouver déplacées, d’avoir perdu leur maison et leurs possessions et probablement aussi certains membres de leur famille.
Lorsqu’arrive le moment d’accoucher, elles font face à un dilemme. Des camps de réfugiés de fortune ou des hébergements temporaires peuvent leur fournir certains services médicaux, mais il est peu probable que des soins gynécologiques spécialisés soient disponibles sur place; localement, les travailleurs de santé et les bénévoles des ONG peuvent parfois leur apporter un certain degré d’assistance, mais sans disposer d’équipements ou de connaissances spécialisés. L’alternative pour la femme, particulièrement lorsque l’accouchement s’annonce difficile, est d’accoucher dans un hôpital local.
Selon les témoignages des femmes[1], il s’agit d’une alternative qui n’en est pas réellement une. En Grèce, les conditions d’accès aux camps de réfugiés sont mauvaises, ce qui rend l’arrivée des ambulances (qui de toute façon sont rares) difficile. De nombreuses femmes ont découvert à leurs dépens qu’une ambulance prend en moyenne deux à trois heures pour arriver, et que la surpopulation des camps temporaires rend très difficile l’accès de l’ambulance ou des médecins à la tente dans laquelle la femme est en train d’accoucher. Dans de nombreux cas, l’ignorance (particulièrement parmi les femmes les plus jeunes et celles qui ne sont pas accompagnées) et le manque de traducteurs viennent encore ajouter à leur sentiment d’anxiété et d’impuissance.
À celles qui vont à l’hôpital on demande rarement si elles veulent un accouchement naturel ou par césarienne. La plupart d’entre elles finissent par avoir une césarienne sans avoir donné leur consentement préalable, sans information sur les risques de la procédure, et sans que leurs antécédents médicaux aient été vérifiés avec elles. Dans de nombreux cas, les femmes sont sommairement examinées pour vérifier les infections ou les blessures, et sont renvoyées de l’hôpital quelques heures seulement après l’accouchement, ce qui est en contradiction avec la plupart des directives médicales. Parce que, dans les hôpitaux, elles ont peu de chance d’avoir une autre option que la césarienne (avec toutes les complications supplémentaires qu’elle engendre), de nombreuses femmes décident d’accoucher dans leur tente – dans de mauvaises conditions d’hygiène, mais au moins avec l’aide de professionnels qui respectent leur volonté.
Certaines femmes souffrent de douleurs et d’infections suite à l’accouchement, souvent dues à la nature de l’accouchement, et le manque de prise en charge post-partum ne fait qu’aggraver leurs problèmes. La plupart d’entre elles tentent d’obtenir de l’aide dans les centres de santé locaux, mais les files d’attente sont souvent longues ; d’autres préfèrent acheter des médicaments vendus sans prescription ou ne souhaitent pas se rendre dans un centre de santé si elles n’ont pas la garantie d’être examinées par un praticien de sexe féminin. En outre, certaines d’entre elles sont tombées enceintes après avoir été violées, et il arrive qu’elles décident de ne pas fréquenter le centre de santé à cause de la honte qu’elles ressentent.
On a assisté à une augmentation de l’incidence des syndromes aigus de stress post-traumatique chez les femmes qui viennent d’accoucher, parce que beaucoup parmi elles ont éprouvé des douleurs violentes pendant leur accouchement et que la prise en charge et les soins ont manqué d’empathie. Si les circonstances qui entourent l’accouchement ont été traumatisantes, cela peut avoir un impact sur leurs relations avec leurs enfants – avec leur nouveau-né comme avec leurs autres enfants qui sont arrivés avec elles dans le camp de réfugiés.
Les difficultés pour obtenir des soins et le manque de ressources pour s’occuper de leur nouveau-né viennent s’ajouter à tout cela, et renforcent encore le sentiment d’isolement de ces femmes, ce qui peut à son tour nuire aux relations à l’intérieur de la famille, et plus spécialement celles avec leur conjoint. Pour compliquer encore davantage les choses, nombreux sont les nouveau-nés dont la naissance n’a pas été enregistrée, et qui, de ce fait, se retrouvent apatrides, privés de statut juridique, et par là-même de certains droits et de protection.
Raquel Esther Jorge Ricart raqueljorgericart@hotmail.com
Étudiante, Sciences politiques et sociologie, Université de Valencia www.uv.es; Directrice adjointe du partenariat pour les médias, World for Refugees http://worldforrefugees.org
[1] Cet article s’appuie en grande partie sur des conversations avec des femmes réfugiées du centre d’accueil pour réfugiés de Valence en Espagne où elles sont arrivées après avoir traversé toute l’Europe.