En novembre 2016, au Honduras, la Conférence régionale sur les migrations (CRM)[1] a adopté le Guide de pratiques efficaces pour les pays membres de la CRM : Protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le contexte des catastrophes (Guide to Effective Practices for RCM Member Countries: protection for persons moving across borders in the context of disasters)[2]. Conçu pour cibler principalement les déplacements provoqués par des catastrophes à déclenchement soudain, le Guide de la CRM puise ses racines dans la Consultation régionale centraméricaine de 2013 organisée par l’Initiative Nansen, un processus mondial dirigé par les États, et qui a culminé en octobre 2015 par l’adoption par 109 délégations nationales de l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques (l’Agenda pour la protection)[3]. Pour aider les États à utiliser l’Agenda pour la protection (une boîte à outils de pratiques recueillies dans le monde entier), la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes a été lancée en 2016 afin d’assurer un suivi. La Guide la CRM s’appuie sur l’Agenda pour la protection ; les pratiques et mesures qu’il présente concernent toutefois plus spécifiquement les Amériques et reflètent les témoignages recueillis dans cette région.
Le Guide donne des orientations aux pays membres de la CRM quant à la manière dont ils peuvent exploiter les lois, les politiques et les pratiques existantes pour répondre aux besoins des personnes déplacées au-delà des frontières dans le contexte de catastrophes, parmi lesquelles devraient figurer les personnes déplacées par les ouragans survenus récemment dans les Caraïbes. Les mesures applicables incluent par exemple l’application souple des catégories migratoires existantes, la délivrance de visas humanitaires pour octroyer l’admission et le séjour temporaires ou encore la suspension provisoire du retour dans les pays touchés. Ce guide est utile dans la mesure où il renforce et amplifie les pratiques existantes tirées des lois et des politiques sur l’immigration[4], et parallèlement, où il n’est pas contraignant, ne crée aucune nouvelle obligation, n’élargit aucune obligation existante pour les États et ne requiert pas l’adoption de nouvelles lois.
Depuis son adoption, le Guide de la CRM a déjà démontré son utilité en ce qui concerne l’élaboration d’outils opérationnels pour la préparation et l’intervention en cas de déplacement provoqué par une catastrophe. En mars 2017, les autorités du Costa Rica et du Panama ont organisé un atelier sur le déplacement en cas de catastrophe en vue de préparer une réponse conjointe aux situations dans lesquelles des personnes doivent traverser leur frontière commune pour fuir une catastrophe. Le Guide de la CRM a joué un rôle de référence important de ce processus en fournissant des conseils et des orientations aux autorités présentes sur le terrain des deux côtés de la frontière, dont les agents de l’immigration, les agences chargées de la gestion des risques de catastrophe, les agents consulaires et les intervenants de la Croix-Rouge. Cet atelier a abouti à un ensemble de procédures opérationnelles standard provisoires portant sur les moyens de collaboration concrets des deux pays pour aider et protéger les personnes déplacées par des catastrophes. Ces procédures ont ensuite été mises à l’essai et validées dans le cadre d’un exercice de simulation organisé en août 2017 par les deux pays dans le district de Coto Brus, dans la province costaricaine de Puntarenas qui jouxte le Panama.
Le Guide de la CRM a également permis d’éclairer et de soutenir la réponse apportée. Par exemple, les autorités du Costa Rica se sont appuyées sur les travaux préliminaires du Guide pour garantir une réponse mieux informée et préparée aux déplacements provoqués par l’ouragan Otto en novembre 2016. Afin que le Guide de la CRM soit mieux connu et plus amplement utilisé, les vice-ministres de la CRM ont approuvé un programme de formation destiné aux fonctionnaires publics et autres parties prenantes à la CRM issues d’organisations internationales et de la société civile. L’objectif de cette formation, qui a débuté en août 2017, est de renforcer les capacités institutionnelles et la coopération transfrontalière pour appliquer les mesures visant à répondre au déplacement en cas de catastrophe, en se basant sur le Guide de la CRM, l’Agenda pour la protection et les Lignes directrices relatives à la protection des migrants dans les pays en crise[5].
Moins d’un an après l’adoption du Guide, la Conférence sud-américaine sur la migration (CSAM) [6] a annoncé son intention de travailler à l’élaboration d’un guide semblable, démontrant par là même le rayonnement du Guide bien au-delà de la sous-région couverte par la RCM.
Étapes suivantes : catastrophes à déclenchement lent et changement climatique
À l’avenir, les pays membres de la CRM ou d’autres États des Amériques pourront mettre en œuvre ou continuer de développer sous de multiples formes les mesures relatives à la protection et à la migration décrites dans le Guide. Par exemple, son approche du déplacement en cas de catastrophe pourrait être développée de manière plus spécifique en se basant sur le cadre de réciprocité et les obligations juridiques du droit des interventions en cas de catastrophe, un champ parallèle bien établi. Cependant, ce n’est pas le seul domaine dans lequel le Guide de la CRM pourrait être une source d’inspiration à l’avenir.
En plus des catastrophes à déclenchement soudain, les Amériques sont une région touchée tout autant par des événements à déclenchement lent liés, par exemple, aux effets néfastes du changement climatique. Ce dernier peut accentuer le risque de déplacement de deux manières : premièrement, en modifiant la fréquence et la sévérité de certains risques (tels que les sécheresses, les inondations et les vagues de chaleur) et deuxièmement, en accroissant la vulnérabilité des personnes et des communautés. Les risques liés au changement climatique continueront d’avoir un impact sur la mobilité humaine aux Amériques, même si on ne connaît toujours pas avec certitude le nombre de personnes qui seront touchées.[7]
En raison de cette insuffisance de données, l’impact des événements à déclenchement lent sur le déplacement, de même que les besoins de protection des personnes qui réagissent en se déplaçant, sont moins évidents que dans le cas d’événements dramatiques à déclenchement soudain. La collecte et le suivi des données relatives aux déplacements en cas de catastrophe ne sont en général pas systématisés, et nettement moins encore en cas de déplacement provoqué par des événements à déclenchement lent. Selon les estimations mondiales actuelles, environ 25,4 millions de personnes sont déplacées chaque année dans le cadre de catastrophes à déclenchement lent et, pour l’Amérique latine et les Caraïbes, on estimait que ce chiffre s’élevait à 1,8 million de personnes en 2016[8]. Cependant, ces estimations ne tiennent pas compte des personnes se déplaçant en conséquence de processus à développement lent qui les touchent sur une longue période de temps. Il est difficile d’identifier avec certitude les formes de mobilité humaine, et le manque d’outils et de terminologie standardisés en matière de collecte de données ne rend pas les choses plus aisées.
En effet, bien que la relation entre les conséquences néfastes du changement climatique et les différents types de mobilité humaine (migration, déplacement, réinstallation planifiée) soit de plus en plus reconnue, leur nature n’en est pas moins complexe. En tant que moteur de la mobilité, l’impact des événements à déclenchement lent tels que la dégradation des terres et des forêts, la perte de biodiversité et la désertification, est souvent accentué par d’autres vulnérabilités préexistantes dont il peut être difficile de dissocier les effets, et qui proviennent par exemple de la faible gouvernance, de la croissance démographique, d’une planification urbaine inefficace ou du sous-développement rural. En outre, le déplacement dans le cadre de catastrophes résulte souvent de l’impact conjugué de catastrophes à déclenchement rapide et à déclenchement lent. On peut observer cette situation dans le déplacement prolongé depuis les zones rurales et côtières du Honduras, de Haïti et du Panama, où la résilience face aux risques à déclenchement soudain était déjà faible sous l’effet de l’aridité, de la dégradation des terres et de l’érosion du littoral.
En raison notamment de ces facteurs complexes, il semble (même aux Amériques) que les États ont développé peu de pratiques relatives aux besoins de protection des personnes déplacées par des événements à déclenchement lent, par rapport à ceux des personnes déplacées par des événements à déclenchement soudain. Parallèlement, il s’agit d’une question transversale qui traverse les domaines politiques traditionnels, de l’assistance humanitaire à la protection des réfugiés, en passant par la gestion de la migration, les droits de l’homme, la lutte contre le changement climatique, la réduction des risques de catastrophes et le développement. Ainsi, la réponse aux déplacements provoqués par des événements à déclenchement lent, en particulier par les effets négatifs du changement climatique, devrait impliquer une approche globale à l’échelle de l’ensemble du gouvernement, des solutions efficaces de développement et l’intégration de la lutte contre le changement climatique, la réduction des risques de catastrophes et le Programme de développement durable à l'horizon 2030.
Dans l’ensemble, il reste donc des défis à surmonter pour répondre à la mobilité humaine dans le contexte des catastrophes et du changement climatique. Néanmoins, en se basant sur l’approche et les mesures définies dans le Guide de la CRM pour répondre aux déplacements provoqués par des événements à déclenchement soudain, il devrait être possible de faire avancer les politiques relatives aux déplacements provoqués par des catastrophes à déclenchement lent dans le contexte du changement climatique. Par exemple, les États pourraient s’appuyer sur les accords migratoires bilatéraux et régionaux actuellement en vigueur aux Amériques, adopter des quotas nationaux ou des programmes de travailleurs saisonniers et fournir des formations et une éducation aux migrants potentiels, en tant que stratégies de promotion de la migration comme moyen de s’adapter aux conséquences néfastes du changement climatique, du changement environnemental et des risques naturels. Des discussions plus poussées sur la migration en tant que stratégie d’adaptation pourraient également avoir lieu au niveau régional, sous les auspices de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Enfin, une autre possibilité serait d’intégrer ces types de mobilité aux cadres sous-régionaux relatifs à la liberté de mouvement, tels que ceux du MERCOSUR (Mercado Común del Sur – Marché commun du Sud) ou du SICA (Sistema de la Integración Centroamericana – Système d'intégration de l'Amérique centrale).
Il existe également une autre difficulté aux Amériques dans la mesure où, à travers l’ensemble de la région, l’intégration des différents cadres et processus régionaux et sous-régionaux n’est pas aussi exhaustive que dans d’autres régions, notamment l’Union européenne. En ce qui concerne les déplacements provoqués par des catastrophes, les travaux des différentes entités régionales, par exemple le MERCOSUR et la Conférence sud-américaine sur les migrations ou l’Accord de libre-échange nord-américain et la CRM, ne sont pas suffisamment intégrés pour être considérés comme un régime de migration régional solide[9]. Cette situation crée des obstacles à la mise en œuvre ou à la mise en application améliorée des différentes mesures proposées dans les instruments, par exemple l’Agenda pour la protection et le Guide de la CRM. Il faut donc trouver des moyens de mettre fin aux divers cloisonnements et d’instaurer un système de coordination efficace au sein et entre de nombreux mécanismes et processus parallèles, aux niveaux régional, sous-régional et national.
Conclusions
Tout bien considéré, l’adoption et la diffusion du Guide de la CRM constituent un important pas en avant pour renforcer la protection des personnes déplacées au-delà des frontières aux Amériques, dans le contexte de catastrophes. Là où des difficultés demeurent pour garantir une réponse adéquate visant les personnes en déplacement dans des situations de catastrophe et pour répondre aux impacts négatifs du changement climatique dans la région, le Guide de la CRM pourrait également servir de modèle et de plateforme sur lesquels s’appuyer pour promouvoir le développement de politiques. Mais dans un premier temps, nous avons besoin de données plus systématiques et de meilleure qualité afin de garantir que tous les efforts déployés au niveau régional ou sous-régional se basent sur une solide compréhension empirique de la mobilité humaine dans ce contexte.
Walter Kälin Envoy@disasterdisplacement.org
Envoyé du président de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes www.disasterdisplacement.org
David James Cantor David.Cantor@london.ac.uk
Directeur de l’Initiative pour le droit des réfugiés de l’École d’études avancées de l’Université de Londres https://rli.sas.ac.uk
[1] La CRM ou le Processus Puebla est un processus consultatif régional à propos de la migration. Les pays suivants y participent : Belize, Canada, Costa Rica, El Salvador, États-Unis, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama et République dominicaine. Les pays suivants en sont des membres observateurs : Argentine, Colombie, Équateur, Jamaïque et Pérou. www.rcmvs.org
[2] Conférence régionale sur les migrations (2016) A Guide to Effective Practices for RCM Member Countries: protection for persons moving across borders in the context of disasters, rédigée par l’Initiative Nansen pour les pays membres de la CRM.
http://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2016/11/PROTECTION-FOR-PERSONS-MOVING-IN-THE-CONTEXT-OF-DISASTERS.pdf
[3] Initiative Nansen (2015) Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre des catastrophes et de changements climatiques Volume I http://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2015/03/03052016_FR_Protection_Agenda_VI_small.pdf
Voir également Revue des migrations forcées, numéro 49 (2015) sur le thème « Désastres et déplacement dans un climat changeant » www.fmreview.org/fr/changementsclimatiques-desastres
[4] Initiative Nansen et Cantor D J (2015) Law, Policy and Practice Concerning the Humanitarian Protection of Aliens on a Temporary Basis in the Context of Disasters, Note d’information, États de la Conférence régionale sur l’immigration et autres aux Amériques, Atelier régional sur le statut de protection temporaire et/ou les visas humanitaires en situation de catastrophe San José, Costa Rica, 10-11 février 2015 http://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2015/07/150715_FINAL_BACKGROUND_PAPER_LATIN_AMERICA_screen.pdf
[5] MICIC (2016) Lignes directrices relatives à la protection des migrants dans les pays touchés par un conflit ou une catastrophe naturelle http://micicinitiative.iom.int/sites/default/files/document/micic_guidelines_french_web_17_10_2016.pdf
[7] Initiative Nansen et Rodríguez Serna N (2015) Human Mobility in the Context of Natural HazardâRelated Disasters in South America, Note d’information, Consultation sud-américaine par l’Initiative Nansen/Initiative pour le droit des réfugiés, Quito, Équateur, 15-16 juillet 2015
www.nanseninitiative.org/wp-content/uploads/2015/12/14122015_FINAL_BACKGROUND_PAPER_SOUTH_AMERICA_screen.pdf
[8] Observatoire des situations de déplacement interne (2017) Global Report on Internal Displacement, 1ère Partie
www.internal-displacement.org/global-report/grid2017/pdfs/2017-GRID-part-1.pdf
[9] Lavenex S « Regional migration governance » in Börzel T et Risse T (Eds) (2016) Oxford Handbook of Comparative Regionalism, Oxford: Oxford University Press https://archive-ouverte.unige.ch/unige:93574