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Reconstruire des vies en Colombie

En Colombie, dans un contexte de violence sexuelle et sexiste (VSS) généralisée, le travail courageux des organisations locales des femmes de la ville de Buenaventura, sur la côte Pacifique, a été crucial pour sauver des vies, pour accompagner et aider les victimes ainsi que leurs familles, et pour briser la culture du silence et du déni qui entoure la violence sexuelle. L’une des organisations les plus actives s’appelle Papillons aux Nouvelles Ailes, un réseau de 12 organisations communautaires locales qui a été créé par des femmes engagées à se protéger mutuellement et à protéger les autres femmes de Buenaventura.

En Colombie, la VSS est utilisée dans le but de prendre le contrôle sur un territoire, des ressources et des communautés, d’intimider la population, d’obtenir des informations, en tant que représailles pour avoir enfreint des codes sociaux imposés, ou encore pour sanctionner l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Les femmes et les enfants, les femmes leaders et leur famille, les défenseurs des droits humains, les activistes défendant les droits fonciers et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) sont particulièrement exposés. Et la VSS (qui est commise par toutes les parties du conflit) demeure à la fois une cause et une conséquence du déplacement[1].

De plus, le manque de protection des victimes, le niveau élevé d’impunité, la faible coordination entre les fournisseurs de services (juridiques, médicaux, psychologiques), la stigmatisation et la discrimination subies par les victimes, la méfiance envers les dispositifs institutionnels et la qualité souvent médiocre de services insensibles aux aspects culturels sont autant de facteurs qui engendrent la peur et la méfiance. Ces différents aspects donnent lieu à un sous-signalement de la VSS si bien que ces violations des droits humains restent invisibles.

À Buenaventura, les personnes déplacées de l’intérieur (PDI) représentent environ 58 % de la population totale, dont plus de 80 %[2] vivent dans la pauvreté. Les habitants de cette zone continuent de souffrir d’importantes violations de leurs droits humains, notamment le recrutement des enfants, la torture, les enlèvements, des menaces de mort ou contre l’intégrité physique, les extorsions et la VSS.

La violence commise par les groupes armés, ainsi que les déplacements qui en ont découlé, ont eu des effets dévastateurs qui ont touché de manière disproportionnée les populations autochtones et les communautés afro-colombiennes, particulièrement les femmes et les enfants. Selon une récente étude : « Malgré l’impact majeur de la violence sur la population colombienne, la santé mentale reste encore un terrain inconnu ». Les blessures psychosociales causées par les conflits armés, même si elles sont moins visibles que celles causées par les balles, peuvent affecter gravement la vie des victimes et de leur famille[3]. Face à ces blessures invisibles, la réponse est encore crucialement insuffisante, non seulement pour aider les individus et les communautés à récupérer mais aussi pour s’en servir d’outils en vue de construire une paix durable et de raisons pour trouver des solutions durables.

Papillons et guérison

Le nom du réseau était initialement Papillons aux ailes cassées, un nom donné par une jeune survivante d’un massacre qui se décrivait ainsi auprès d’un des bénévoles : comme un papillon aux ailes cassées. Après plusieurs années passées à promouvoir l’auto-guérison, le réseau a décidé de se rebaptiser Papillons aux Nouvelles Ailes afin de refléter les excellents résultats de son travail d’auto-guérison et de responsabiliser ses membres.

Le réseau comprend plus de 100 bénévoles et 30 coordinateurs qui s’occupent de différents quartiers, 75 animateurs et quatre coordinateurs régionaux. Les bénévoles voyagent – en binômes – à pied ou à vélo, en bus ou en bateau pour atteindre les femmes en danger. Ils courent souvent eux aussi des risques et reçoivent des menaces à cause de leur travail et des quartiers qu’ils visitent. Les Papillons ont mis l’accent sur l’auto-guérison en créant des espaces pour se rétablir tout en rappelant aux femmes la force et la sagesse de leurs ancêtres. La préservation de la culture afro-colombienne est devenue l’une des missions et l’un des outils d’auto-guérison des Papillons.

Le réseau s’inspire d’une pratique ancestrale afro-colombienne appelée comadreo afin de toucher les femmes de différents quartiers dans certaines des zones les plus pauvres et les plus violentes de Buenaventura. Les femmes de ces zones ont souvent peur de signaler des violences sexuelles ; quant à celles qui le font, elles restent dénuées de protection car elles vivent le plus souvent avec leurs agresseurs. Instaurer la confiance dans ce type d’environnement est un processus long et difficile mais les Papillons ont constaté que les femmes répondent au principe de comadreo dont la signification est de se rencontrer dans un esprit de respect, de confiance, de solidarité et de confidentialité. Et ces rencontres aident les femmes afro-colombiennes victimes de la violence sexuelle à en apprendre plus sur leur culture et leurs traditions : une connaissance transmise de génération en génération mais souvent perdue ou oubliée quand elles ont fui de chez elles. Ces réunions rappellent aux femmes et aux jeunes filles le temps où leurs ancêtres utilisaient le tressage pour cacher les graines ou dessiner des cartes dans leurs cheveux afin de les aider elles et leur communauté à retrouver leur chemin jusqu’à un lieu sûr ou jusqu’à la liberté – d’où l’importance de la coiffure comme forme d’expression culturelle pour les femmes afro-colombiennes.

Le réseau utilise un vaste éventail de pratiques de guérison traditionnelles : rituels, cérémonies, actions symboliques et récit.  En créant un espace confidentiel où les femmes peuvent partager leurs souvenirs les plus douloureux, parfois pour la première fois, sans crainte de la honte ni de la discrimination, le réseau aide les victimes à faire leurs premiers pas vers l’auto-guérison.

Les membres du réseau visent aussi à renforcer la capacité des institutions publiques locales à prévenir et répondre à la VSS. Ce réseau est un membre actif du comité intersectoriel travaillant pour prévenir la violence sexiste et sexuelle et promouvoir la santé mentale (Mesa Intersectorial contra las Violencias de Género y la Salud Mental) où elles peuvent partager les connaissances acquises (à travers leur travail communautaire de proximité) sur les lacunes des modèles d’orientation et des approches de la prévention.

Les Papillons dirigent des ateliers de formation sur la conception de projets, le suivi et l’évaluation afin que leurs interventions soient plus durables. Le réseau offre à ses membres des possibilités de formation, non seulement sur les droits des femmes mais aussi dans des domaines comme les soins de santé, le soutien psychologique et la gestion de cas. De plus, il a exploré la possibilité d’impliquer les hommes et les garçons dans ses activités par le biais d’un projet pilote conduit auprès de garçons de Buenaventura. Ce projet a remporté un tel succès que le réseau prévoit de le déployer dans un plus grand nombre de zones de Buenaventura en parallèle avec ses interventions auprès des femmes et des filles.

Reconnaissance de l’impact

Le réseau a soutenu et accompagné plus de 1 000 femmes et jeunes filles de Buenaventura et, en 2014, Papillons a reçu la Médaille Nansen pour son remarquable travail de protection. Cette récompense l’aide aujourd’hui à atteindre un autre objectif : construire un refuge de femmes et un centre communautaire.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) accompagne le réseau dans ses travaux sur l’auto-guérison, le renforcement de la communauté et l’atténuation du stress social et familial que subissent les personnes, les familles et les communautés vivant dans la violence et le déplacement[4]. Le travail des Papillons et d’autres organisations locales semblables est crucial non seulement pour son immense impact sur la vie des femmes et des filles de Buenaventura mais aussi pour les bienfaits de la guérison individuelle des personnes sur le rétablissement de la société.

Il sera notamment vital que tous les acteurs concernés déploient des efforts multisectoriels et coordonnées pour prévenir et répondre à la VSS en vue de construire une paix durable, après l’annonce en août 2016 d’un accord de paix entre le gouvernement de Colombie et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).

 

Emese Kantor Kantore@unhcr.org
Adjointe chargée de la Protection (Communautaire), HCR Colombie www.unhcr.org



[1]Secrétaire général de l’ONU Rapport du Secrétaire général sur les violences sexuelles liées aux conflits, 23 mars 2015, S/2015/203

www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=553610204 ; voir également : Conseil norvégien pour les réfugiés/HCR (2014) Buenaventura, Colombia: Brutal Realities http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/9183706.pdf

[2] The lawless city: Report of the Buenaventura delegation Caravana Colombiana de Juristas – Août 2014 http://www.colombiancaravana.org.uk/wp-content/uploads/2013/04/Buenaventura-Report.pdf

[3] www.msf.org/colombia

[4] HCR (2012) Operational Guidance Mental Health & Psychosocial Support Programming for Refugee Operations www.unhcr.org/525f94479.pdf

 

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