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Déboutés : les réfugiés issus des gangs centre-américains

Malgré le flux constant de personnes fuyant par milliers vers les pays voisins, les données de l’UNHCR pour 2011 ne recensent aucun déplacement interne dans la région centre-américaine et seulement quelques milliers de réfugiés. Les cours des États-Unis, où la plupart des personnes sollicitent l’asile, s’appuient sur des rapports obsolètes, inexacts ou politiquement motivés qui exagèrent la véritable capacité ou disposition des États à protéger leurs citoyens. Depuis 2007, 74.449 ressortissants du Salvador, du Guatemala et du Honduras ont déposé une demande d’asile aux États-Unis mais seulement 2.250 de ces demandes ont abouti. En outre, pour la seule année 2012, les États-Unis ont expulsé entre 22.000 et 41.000 migrants originaires de ces pays.

Reconnaître l’existence de la crise centre-américaine permettrait pourtant d’alléger le fardeau des pays récepteurs tels que le Mexique ou les États-Unis. Les tribunaux de l’immigration, surchargés, consacrent un temps infini à traiter les demandes puis les appels, des centaines de nouveaux centres de détention ont vu le jour pour accueillir les réfugiés qui attendent que leur cas soit jugé[1] tandis que des millions de dollars sont dépensés pour les expulser. En revanche, si la crise était reconnue, des programmes de réinstallation pourraient être proposés aux personnes dans le besoin tandis que les pays récepteurs pourraient planifier l’arrivée des réfugiés, leur introduction dans la société et leur intégration en tant que citoyens productifs, comme c’était le cas dans les années 1980. Mais surtout, la reconnaissance des facteurs institutionnels régionaux qui contribuent à la fragilité des États donnerait plus de poids aux demandes d’asile des ressortissants centre-américains.

Les gangs

En 1996, les États-Unis ont commencé à expulser les citoyens et les résidents nés hors du pays qui avaient été reconnus coupables d’un crime. Nombre des personnes concernées avaient intégré un gang dans les quartiers urbains les plus défavorisés du pays et, rien qu’entre 2000 et 2004, plus de 20.000 rapatriements ont eu lieu à destination des pays centre-américains. Des membres de gangs qui maîtrisaient souvent mal l’espagnol et possédaient peu de compétences professionnelles sont donc arrivés dans des pays instables qui venaient à peine de se remettre des guerres civiles des années 1970 et 1980. On a alors observé une augmentation rapide des activités criminelles, de la vente et de la consommation de drogues mais aussi de la violence alors que les gangs urbains étendaient leur réseau à travers la région.

Aujourd’hui, ces organisations criminelles transnationales (OCT) posent une sérieuse menace à ces trois nations, d’autant plus qu’elles détiennent bien plus d’armes, d’argent et de pouvoir que les armées nationales. On estime en outre qu’entre 40 et 70 % des fonctionnaires de ces gouvernements reçoivent également des paiements de la part de ces OCT. Des municipalités entières, et certains segments des autorités fédérales, sont sous le contrôle des OCT dont la vision de l’éducation et de la justice se caractérise par la corruption, les armes, le recrutement forcé dès l’âge de neuf ans, le viol et la torture. La capacité de l’État à protéger ces citoyens de la terreur des OCT est fortement limitée, d’autant plus qu’il est lui-même compromis par la corruption et qu’il dispose d’un moins grand nombre d’armes que les OCT.

Les OCT cherchent à inspirer la crainte de persécutions implacables afin d’atteindre le degré de contrôle souhaité. Il est fortement probable que les personnes qui expriment leur crainte de subir de telles persécutions aient de très bonne raisons d’avoir peur, surtout au regard du manque de capacités ou de volonté de l’État à les protéger. C’est pourquoi il est surprenant que les ressortissants centre-américains soient rapatriés dans leur pays d’origine où ils s’exposent aux persécutions des OCT, ce qui constitue une violation du principe de non-refoulement.

Recommandations

Quatre faits doivent être pris en compte en vue de corriger les défaillances actuelles et de reconnaître que les personnes rapatriées s’exposent à des persécutions:

  • La fragilité peut rendre un pays instable ou peu disposé à protéger[2]

Par les armes et l’argent, les OCT parviennent à exercer un certain degré de contrôle sur les autorités en recourant tant aux menaces qu’aux pots-de-vin, si bien que certaines de ces autorités finissent par se montrer incapables de protéger leurs citoyens en raison du caractère comparativement limité de leurs ressources. Et lorsque ces autorités en sont capables, elles n’y sont pas toujours disposées en raison de la corruption généralisée. Néanmoins, les tribunaux chargés des demandes d’asile se sont généralement montrés négligents en refusant de reconnaître la capacité des OCT et des acteurs armés non étatiques à commettre des actions assimilables à des persécutions. Il faudrait donc donner plus de poids aux persécutions infligées par les acteurs non étatiques tels que les OCT, en particulier dans les États fragiles où ils pourraient démontrer une capacité et une disposition accrues à réprimer comme à protéger, dans l’impunité la plus totale. Certaines OCT opèrent dans l’ensemble des territoires nationaux et de la région, si bien que la fuite interne est rarement une solution, même si certains tribunaux supposent à tort qu’elle est possible.

  • Les personnes fuyant les crises en l’absence de toute reconnaissance internationale ont le droit d’exiger que leurs demandes d’asile soient prises au sérieux

La fuite des ressortissants de ces nations vers des pays étrangers est probablement le meilleur indicateur des risques extrêmes ou des persécutions auxquels ils ont été confrontés en dépit de l’absence de reconnaissance internationale de la situation de crise dans laquelle ils évoluent. Un exode d’une telle envergure peut également être interprété comme un signe de la fragilité des États. Pourtant, le régime des réfugiés les pénalisent en permettant aux tribunaux de les considérer comme de simples migrants économiques et, par conséquent, de débouter leur demande. Les dossiers des demandeurs fuyant des situations de crise qui n’ont pas encore été reconnues devraient être étudiés tout aussi sérieusement que ceux des demandeurs issus de contextes à forte présence humanitaire ou dont l’instabilité est reconnue.

  • Les enfants ciblés par les OCT sont vulnérables en raison de leur appartenance à un «groupe social particulier» ou de leurs convictions politiques[3]

En Amérique centrale tout particulièrement, les OCT encouragent les enfants à venir gonfler leurs rangs et les menacent de mort s’ils refusent, une démarche facilitée par le fait qu’environ 100 000 jeunes personnes de la région appartiennent déjà à des gangs. L’âge médian des membres de gang est de 19 ans seulement. Rien que dans les trois premiers mois de l’année 2012, 920 enfants ont été tués au Honduras tandis que de nombreuses filles, certaines âgées de neuf ans seulement, ont été victimes de viols collectifs dans ces trois pays. La plupart des enfants sont régulièrement témoins de meurtres, les violences entre gangs ont emporté les parents de certains d’entre eux tandis que d’autres ne vont plus à l’école car les gangs recrutent directement dans les cours d’école. Dans d’autres contextes, les anciens enfants soldats qui avaient été forcés de gonfler les rangs des armées nationales ou de la guérilla ont été reconnus comme un groupe social particulier. La situation des enfants forcés d’intégrer des gangs transnationaux n’est en rien différente; ceux qui prennent la fuite pour éviter d’être recrutés par les gangs exercent une opinion politique et risqueraient de subir des persécutions immédiates s’ils étaient rapatriés. De plus, qu’ils soient rapatriés ou non, leur famille s’expose à des représailles.

  • Une protection temporaire peut être octroyée afin de respecter le principe de non-refoulement lorsqu’il n’est pas possible d’établir si les raisons de la persécution correspondent à des motifs reconnus

Les tribunaux d’asile ont statué à de multiples reprises que la violence généralisée ne s’apparente pas à une persécution ni à un risque de torture en cas de rapatriement, même si cette violence peut avoir des effets néfastes sur certains groupes cibles, en particulier les enfants dont la vie entière risque de basculer. Les OCT ciblent les rapatriés car ils les perçoivent comme des personnes mieux nanties ou mieux informées sur les opérations des gangs aux États-Unis et au Mexique. Par conséquent, les rapatriés ne sont pas en sécurité et ils se trouvent fréquemment persécutés par des acteurs étatiques et non étatiques. Les États-Unis ont créé un statut de protection temporaire pour les ressortissants centre-américains ayant fui des catastrophes naturelles (séismes, inondations, ouragans) au cours des vingt dernières années mais le plus grand danger qui menace ces personnes pourrait en fait provenir de la violence ciblée, perpétrée par les gangs ou les autorités, qui les attend à leur retour.

Conclusion

Les États fragiles non reconnus tels que le Salvador, le Guatemala et le Honduras mettent en lumière, au mieux, le manque de réactivité des organisations travaillant dans l’humanitaire ou auprès des réfugiés et, au pire, les influences géopolitiques qui déterminent qui a le droit de fuir où. Les OCT ciblent spécifiquement les contextes nationaux affaiblis dans lesquels elles peuvent exercer un contrôle plus prononcé. Quant aux nations qui contribuent aux situations qui poussent les populations à fuir, par exemple en stimulant le trafic de drogue par une forte demande, elles devraient assumer la responsabilité d’accueillir ces populations en fuite.

 

Elizabeth G Kennedy egailk56@gmail.com est doctorante à l’Université d’État de San Diego et à l’Université de Californie à Santa Barbara. Elle dirige également un programme d’autonomisation des jeunes dans deux centres d’accueil américains pour les mineurs non accompagnés.



[2] Fait important dans cette région, les définitions juridiques des termes «persécution» et «réfugiés» ont été élargies et reconnaissent déjà cet aspect dans la Déclaration de Carthagène de 1984, la Déclaration de San José de 1994 et la Déclaration et le Plan d’action de Mexico de 2004.

[3] Le refus de joindre un gang, en dépit des pressions croissantes exercées, est une posture tout au moins neutre et souvent une prise de position radicale en faveur de la paix.

 

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