L’idée de relier la protection des réfugiés et les programmes d’assistance à l’aide au développement est loin d’être nouvelle, avec son optique de situation gagnant/gagnant pour tous, bailleurs, États d’asile et réfugiés, en théorie du moins. Déjà en 1960, l’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) avait tenté de relier ses programmes d’assistance aux réfugiés à l’aide au développement. Elle était passée d’une approche dite « d’intégration zonale » au cours des années 1960, à l’aide aux réfugiés et au développement dans les années 1980, et à l’aide au retour et au développement dans les années 1980 et 1990. Depuis le nouveau millénaire ce sont le Ciblage de l’aide au développement (CAD) et l’Initiative pour des solutions transitoires (IST) qui ont été utilisés dans le but d’assurer ce lien.
Toutes ces approches ont en commun de tenter de relier l’aide aux réfugiés à court terme à des projets de développement à moyen terme, en vue d’offrir aux réfugiés comme aux populations d’accueil un accès aux services, et de privilégier une approche d’installation en milieu locale plutôt que dans des camps. Cependant, chaque approche l’a fait de manière différente. Depuis les années 1980, c’est l’idée de rendre les réfugiés autosuffisants par le biais de l’agriculture qui a été promue, un concept qui rejoint des débats récents sur la résilience et qui est toujours utilisé encore aujourd’hui.[1] Dans les années 1990, des projets à impact rapide (QIPs) étaient utilisés afin de promouvoir des efforts basés sur des mesures à petite échelle et à court terme.
Même si ces approches comportaient des avantages et des défauts, les principales raisons d’échec étaient similaires indépendamment de l’approche : manque de soutien et de coopération de la part des agences humanitaires et de développement, manque d’efficacité de la planification (à court terme) des programmes, polarisation des positions respectives des États bailleurs du Nord et des États d’asile du Sud, manque de volonté politique et financement insuffisant.[2] C’est pourquoi, malgré ces initiatives qui se sont poursuivies pendant plusieurs décennies, la protection et l’assistance des réfugiés sont toujours des domaines qualifiés d’assistance humanitaire d’urgence à court terme en opposition à l’aide au développement à moyen et plus long terme. Ironiquement, ces interventions à « court terme » durent – au vu des tendances à la prolongation des situations de refuge partout dans le monde – en moyenne près de vingt ans.
Le cas de l’Ouganda
L’assistance aux réfugiés en Ouganda est considérée comme progressiste parce qu’elle se fonde sur une nouvelle politique sur les réfugiés et qu’elle comporte une orientation vers le développement. Cette nouvelle politique sur les réfugiés est entrée en vigueur en 2009 et inclut un certain nombre de révisions de la politique antérieure relativement restrictive. Par exemple, les réfugiés ont maintenant le droit à la propriété, au travail, à la culture des terres ainsi qu’à la liberté de mouvement.[3] Au cours des dernières années, le gouvernement de l’Ouganda a également inclus les réfugiés dans ses plans nationaux de développement et de réduction de la pauvreté.
Depuis 1960, l’Ouganda accueille des réfugiés principalement en provenance des pays voisins, et ils sont regroupés dans des installations rurales proches des frontières dans le nord et l’ouest du pays. L’assistance aux réfugiés en Ouganda comporte des composantes axées sur le développement comme le démontre l’instauration, à l’échelle nationale, d’un système d’installation locale en milieu rural auquel le gouvernement a alloué plus de 3300 km2 de terres.
Trois stratégies explicites définissent l’orientation vers le développement de l’aide aux réfugiés : la stratégie de promotion de l’autosuffisance (Self-Reliance Strategy – SRS), la stratégie d’assistance au développement pour les zones d’accueil des réfugiés (Development Assistance for Refugee Hosting Areas – DAR) et la stratégie pour l’autonomisation des réfugiés et de la population hôte (Refugee and Host Population Empowerment – ReHOPE). La stratégie de promotion de l’autosuffisance a été établie en 1999 dans le but de promouvoir la capacité des réfugiés et des ressortissants ougandais vivant dans ces zones d’accueil de subvenir à leurs propres besoins tout en intégrant les structures locales de services aux systèmes nationaux. S’appuyant sur les acquis de la SRS, la stratégie d’assistance au développement pour les zones d’accueil des réfugiés a été mise en place en 2003 et s’est donnée pour cible d’améliorer les conditions de vie des réfugiés et des résidents ougandais. La stratégie la plus récente, ReHOPE, recherche également l’autonomie des réfugiés en les rendant autosuffisants grâce à des mesures ciblées sur les moyens d’existence.
Pour y parvenir, ces trois stratégies cherchent à intégrer les structures de services aux systèmes nationaux et à aider les réfugiés à devenir indépendants des structures et de l’approvisionnement d’aide. L’intégration des services locaux non seulement permet à la population nationale d’avoir accès aux services comme l’éducation et les soins de santé établis dans un contexte humanitaire mais permet également l’entretien de ces installations sur le long terme, même après le rapatriement des réfugiés dans leurs pays d’origine. C’est à travers des approches fondées sur l’agriculture que l’indépendance des réfugiés est recherchée. Dans cette optique, les réfugiés reçoivent deux parcelles de terre – l’une pour y vivre et l’autre destinée à la culture – ainsi que les moyens nécessaires pour travailler la terre.
Les sites d’installation de réfugiés sont tous relativement étendus. Par exemple le site d’installation appelé Rhino Camp dans le Nord-ouest, établi en 1992, a une capacité d’accueil de 32 000 réfugiés et s’étend sur une zone d’environ 225 km2. Le site d’installation de réfugiés de Kyaka II dans le centre de l’Ouganda, a été établi en 1993 et compte sur une superficie d’environ 84 km2 pour une capacité d’accueil de 17 000 réfugiés. Ces sites d’installation ressemblent à des villages dans lesquels les réfugiés vivent côte à côte avec leurs voisins ougandais, et les deux populations ont accès aux services fournis par les agences d’aide. Ces sites d’installation comptent plusieurs écoles primaires (même s’il est vrai qu’il n’y a que très peu d’écoles secondaires). Dans chaque site d’installation, on trouve des marchés dans lesquels les réfugiés et les Ougandais peuvent acheter et vendre leurs récoltes et d’autres produits. Rhino Camp dispose également d’un centre de formation professionnelle dans lequel un certain nombre de réfugiés et d’Ougandais peuvent apprendre différents métiers comme ceux de charpentier, tailleur, ferblantier ou ferronnier. À Kyaka II, les réfugiés produisent des MakaPads[4], des serviettes hygiéniques fabriquées localement.
Contraintes
Néanmoins, ces sites d’installation sont des espaces géographiques limités dans des régions rurales éloignées qui sont relativement isolées des centres urbains en pleine expansion. Des terres y ont été allouées parce que les zones étaient peu peuplées avant que les réfugiés ne s’y installent. Même si l’aide aux réfugiés est orientée vers le développement et a pour but d’’améliorer leurs moyens d’existence, les réfugiés restent confrontés à de nombreuses restrictions et limites dans les sites d’installation, et en dépit de la révision de la politique sur les réfugiés, ils restent incapables de subvenir entièrement à leurs besoins sans aide extérieure. Ils n’ont que très peu d’opportunités pour trouver des emplois formels, parce que le distances qu’ils ont le droit de parcourir sont limitées par les décisions prises par le bureau local du Premier Ministre et que les coûts de transport sont trop élevés ; les parcelles de terre allouées sont trop petites et la qualité des sols est souvent trop médiocre pour obtenir une récolte suffisante ; finalement, la zone est également trop limitée pour permettre de laisser en jachère une partie des terres pendant une saison, ce qui serait nécessaire pour garantir la productivité à long terme. Les réfugiés restent donc en partie dépendants de l’aide.
Malgré cette orientation vers le développement, les cycles de planification des agences d’aide restent annuels, ce qui n’est pas adapté à des programmes à moyen terme. En outre, l’assistance dans les sites d’installation est principalement assurée par des partenaires de mise en œuvre de l’UNHCR, et pas par des agences de développement, et l’on est en droit de se demander où se trouvent ces dernières. Si le travail est supposé être axé sur le développement, pourquoi ne semble-t-il pas y avoir, ou seulement très peu d’agences de développement en charge de la mise en œuvre de ces programmes ? Ainsi, le type d’aide fournie reste similaire à l’aide humanitaire plutôt qu’à une aide au développement mieux adaptée au moyen terme.
Au niveau politique et stratégique, des reproches peuvent être faits à des programmes qui tentent d’intégrer les services au système national mais sans chercher à intégrer les réfugiés. Le rapatriement des réfugiés est l’objectif politique – plutôt que de leur permettre de rester et de s’intégrer localement – alors que les structures des services restent à disposition des populations locales.
Davantage de questions que de réponses ?
Les stratégies d’assistance aux réfugiés telles qu’appliquées dans ces sites d’installation en Ouganda révèlent un certain degré de volonté politiques et d’intérêts à relier la protection des réfugiés et l’aide au développement. Toutefois, les difficultés persistent et sont telles qu’elles remettent en question la structure dans son ensemble.
Il a pu sembler évident initialement que les régions qui accueillent des réfugiés tirent parti de mesures de développement comme l’amélioration de l’infrastructure et la fourniture de services. Mais les réfugiés bénéficient-ils réellement de ces mesures ? Malgré l’apparence de villages de ces sites d’installation, dans les faits les réfugiés restent enfermés dans des camps, ils sont confrontés à des conditions de vie restrictives et continuent de dépendre, dans une certaine mesure, de l’aide extérieure. Bien plus, en ciblant l’agriculture comme moyen d’accès à l’autosuffisance, on présuppose implicitement que tous les réfugiés sont des agriculteurs en négligeant de tenir compte de la diversité de leurs intérêts, capacités et compétences.
Il semble néanmoins qu’une question générale n’ait pas encore trouvé de réponse : pourquoi les agences d’aide, les bailleurs et les pays d’asile démontrent-ils autant d’intérêt à relier l’aide aux réfugiés à l’aide au développement ?
Il semblerait que chacun d’entre eux – agences d’aide, bailleurs et pays d’asile – poursuive des objectifs spécifiques et que les objectifs des uns n’ont peut-être pas grand-chose en commun avec ceux des autres. En ce qui concerne les organisations d’aide aux réfugiés qui souffrent d’une limitation de leur financement, particulièrement dans les situations prolongées, l’orientation vers le développement offre une possibilité d’accéder à d’autres sources de financement ou peut-être de réduire certains coûts. Et même s’ils allouent des fonds supplémentaires, les pays bailleurs sont peut-être simplement à la recherche de moyens pour maintenir les réfugiés dans le Sud. Quant aux pays d’asile, comme l’Ouganda, le recours à ce type d’approche représente un moyen intelligent d’améliorer l’infrastructure des régions qui accueillent des réfugiés et qui sont souvent isolées et négligées. Pour finir, les agences de développement, dans l’ensemble se sont montrées réticentes à tenir compte des réfugiés dans leurs plans de promotion d’un développement durable, même si plusieurs d’entre elles ont commencé à faire preuve d’un intérêt et d’un engagement croissants dans le cadre de projets récents comme l’Initiative pour des solutions transitoires (IST).
Ces divergences institutionnelles révèlent qu’il n’est pas évident de décider si le but de l’assistance aux réfugiés orientée vers le développement dans le cas des sites d’installation en Ouganda consiste à développer une région ou à améliorer les conditions de vie des réfugiés dans les camps et les sites d’installation, ou encore à renforcer la programmation dans des situations qui se prolongent. Tant que le but global ultime ne sera pas clarifié, la possibilité d’établir des liens effectifs continuera de s’empêtrer dans les contradictions.
Ulrike Krause ulrike.krause@staff.uni-marburg.de
Chargée de recherche, Center for Conflict Studies, Université Philipp de Marburg www.uni-marburg.de/konfliktforschung/
[1] Voir également : Easton-Calabria E E (2014) « Innovation and refugee livelihoods: a historical perspective », Revue Migrations Forcées, Supplément : Innovation & Refugees www.fmreview.org/innovation/eastoncalabria
[2] Krause U (2013) Linking Refugee Protection with Development Assistance. Analyses with a Case Study in
Uganda. Nomos.
[3] Ouganda (2006) Loi sur les réfugiés de 2006. www.refworld.org/docid/4b7baba52.html
[4] Musaazi M (2014) « Technology, production and partnership innovation in Uganda » Revue Migrations Forcées, Supplément : Innovation & Refugees www.fmreview.org/innovation/musaazi