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De réfugié à employé : l’intégration au monde du travail dans les zones rurales du Danemark

Depuis 2015 le Danemark a fait de l’emploi des réfugiés une priorité stratégique nationale. Par le biais d’un accord tripartite avec la Confédération des employeurs danois et l’association des gouvernements locaux du Danemark (l’union des municipalités) cette nouvelle manière de penser l’intégration s’est répercutée à travers les municipalités et le secteur privé.

Par exemple, les huit municipalités de Copenhague ont mis en place une initiative majeure commune dont le but est d’établir des stages pour les réfugiés, et des affiches promotionnelles ont été distribuées à travers toute la capitale. Des campagnes de recrutement visant les réfugiés ont également été initiées dans de grandes entreprises telles que IBM, Microsoft, Danfoss, Grundfoss, Arriva et NCC. D’autre part, un service d’assistance téléphonique sponsorisé par le gouvernement permettant d’accélérer l’évaluation des compétences professionnelles des réfugiés afin d’aider les municipalités – en particulier leurs employés – à comprendre le parcours éducatif d’un réfugié en particulier. Cette assistance comprend, par exemple, la traduction de documents pertinents en danois.

Nombre de ces initiatives sont reliées entre elles par la mise en place d’un tout nouveau programme d’éducation à l’emploi initié par l’État et axé sur la pratique, intitulé « Integrationsgrundsuddannelse » (IGU), que l’on peut traduire par « Éducation fondamentale pour l’intégration », qui – par le biais d’une combinaison de formations formelles et de stages pratiques – se fixe spécifiquement pour objectif d’aligner les compétences des réfugiés à la demande sur le marché du travail danois. Mais bien que le programme IGU ait pour cible les réfugiés détenteurs du statut, la nouvelle initiative de la Croix-Rouge commence dès la phase de demande d’asile.

Le programme accéléré

Le programme accéléré constitue une tentative pour faciliter une arrivée précoce des réfugiés sur le marché du travail local, alors qu’ils sont toujours dans la phase de demande d’asile, et ce programme a été testé et mis en place dans cinq municipalités danoises entre 2015 et 2017. Habituellement, les réfugiés au Danemark sont répartis entre les 98 municipalités du pays, ce qui a pour effet de rompre le lien entre le lieu où ils ont demandé l’asile et le lieu où ils s’installent en tant que réfugiés. Cependant, avec le programme accéléré le demandeur d’asile s’inscrit au programme dans un centre pour demandeurs d’asile géré par la Croix-Rouge danoise et le service d’immigration place le participant, si le statut de réfugié lui est accordé, dans la communauté locale où il aura fait sa demande. Dès lors que le demandeur d’asile n’est plus simplement une personne en transit et devient un membre potentiel de la communauté en tant que réfugié, les résidents locaux et les réfugiés sont naturellement plus motivés à investir dans leurs relations mutuelles.

Les demandeurs d’asile entreprennent une évaluation de leurs compétences en préparation du programme accéléré. Le programme accéléré qui se déroule sur huit semaines fournit alors aux participants une introduction pratique à la culture danoise et aux compétences linguistiques, des formations professionnalisantes, et potentiellement, des stages dans des entreprises locales, tout en leur enseignant des techniques de recherche d’emplois, en leur apportant des informations sur la culture locale du travail et en leur fournissant des conseils sur comment déveloper un réseau et conserver leur motivation. Pris dans son ensemble, ce programme représente un effort global pour lier l’intégration au monde du travail et le sentiment d’appartenance à une communauté locale. Durant les mois passés à attendre dans les centres pour demandeurs d’asile, ce programme entretient le sentiment indispensable de but à atteindre. Il se peut que le nouveau résident ait un emploi ou un stage à suivre au moment de s’insérer dans la communauté locale, sa transition entre demandeur d’asile et réfugié ressemblera alors davantage à un processus continu qu’à une série de nouveaux départs.

Auparavant, il était courant que les municipalités se plaignent de voir arriver les réfugiés avec des attentes irréalistes vis-à-vis des opportunités d’hébergement et d’emploi. Mais aux vus des retours transmis à la fois par les municipalités et par les réfugiés, nous avons constaté que les réfugiés qui ont participé au programme accéléré sont moins déçus et plus réalistes, et, en général qu’ils sont moins confus, plus motivés et plus à l’aise pour commencer leur vie dans un lieu qui leur est déjà familier.

Sur les 70 personnes qui ont participé à ce programme au cours des deux dernières années et auxquelles le statut de réfugié a été accordé, 61 % sont capables de subvenir à leurs propres besoins, 9 % ont déménagé vers d’autres municipalités pour diverses raisons, 4 % sont en congé maternité, et 26 % suivent des stages qui les préparent à des emplois futurs.

Mise en place dans des communautés rurales et insulaires

En 2015, une équipe d’anthropologues de l’Université de Copenhague a terminé un travail de recherche portant sur la rencontre entre les centres pour demandeurs d’asile et les sociétés rurales[1]. Ils ont constaté des sentiments d’inquiétude vis-à-vis de la criminalité et de l’effondrement du marché immobilier, mais entremêlé à ces craintes habituelles, ils ont aussi trouvé un optimisme local surprenant. Dans les zones rurales où les centres de demandeurs d’asile réussissent à bien s’intégrer au tissu social, aux côtés des crèches, des écoles, des supermarchés et des associations locales, ils sont perçus comme des coups de pouce bien nécessaires pour la durabilité de ces zones.

L’évolution de l’approche danoise en matière d’emploi des réfugiés s’inscrit dans une conversation sur le dépeuplement des campagnes du Danemark, y compris de ses communautés insulaires, qui est de plus en plus souvent à l’ordre du jour. L’île de Bornholm, par exemple, a perdu près de 20 % de sa population depuis 1965. Les îles de Samsø, Ærø, Læsø et l’Association des petites îles danoises ont donc commencé à se positionner en tant que lieux tout particulièrement propices à l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés.

En mars 2018, le programme accéléré a démarré à Bornholm, une île reculée de 40 000 habitants dans la mer Baltique qui est particulièrement vulnérable sur le plan socio-économique et qui est éloignée des zones urbaines du Danemark. La vulnérabilité de Bornholm est due en grande partie à la dépopulation et au manque de main-d’œuvre qualifiée. Nos entretiens sur les îles de Bornholm et de Samsø, menées en 2016 et 2017, ont débouché sur trois conclusions principales qui nous permettent de préciser les défis qui restent à relever. Alors que les entretiens ont été menés à la lumière du projet accéléré, ils se sont plus généralement concentrés sur des questions portant sur les points d’intersection entre réfugiés, intégration et marché du travail local.

Le premier défi qui est, peut-être sans grande surprise, le plus souvent mentionné en tant que tel est le langage ; bien qu’avoir un niveau de connaissance minimale en danois permettant de fonctionner sur le lieu de travail est un facteur déterminant pour l’emploi stable des réfugiés, la poursuite soutenue d’un développement linguistique reste nécessaire pour l’avancement d’une carrière, mais aussi pour permettre une interaction plus large, au-delà du contexte professionnel.

Le deuxième défi découle de l’incertitude quant à la question de savoir si les réfugiés resteront dans la communauté après la période de placement obligatoire de trois ans. Pour la municipalité locale, il existe une différence importante entre les demandeurs d’asile et les réfugiés. Alors que l’État est responsable de toutes les dépenses liées aux demandeurs d’asile, les dépenses liées aux réfugiés relèvent des municipalités locales. Lors d’entretiens avec des représentants de la municipalité de Samsø, la question soulevée la plus importante concernait des préoccupations plus profondément enracinées sur comment l’investissement local dans l’emploi des réfugiés pourrait en même temps faire partie de la lutte contre le dépeuplement.

Troisièmement, le type et la taille du lieu de travail jouent un rôle important pour faciliter l’intégration. Habituellement, dans les entreprises de plus grande taille, il est possible de confier la gestion de l’emploi des réfugiés à d’autres employés, souvent sur une base de volontariat, comme une tâche spécialisée au sein de l’organisation. De toute évidence, les entreprises plus petites ne disposent pas des mêmes moyens organisationnels pour travailler avec les réfugiés. En outre, la demande en main-d’œuvre qualifiée est criante, mais ce n’est pas vrai pour une main-d’œuvre non qualifiée. Cela signifie que lorsque les réfugiés viennent en tant que travailleurs qualifiés, ils jouent un rôle crucial dans le développement durable au niveau local, mais s’ils recherchent des emplois non qualifiés, ils se trouvent en concurrence avec les résidents danois. Des recherches complémentaires restent toutefois nécessaires pour mieux comprendre les perspectives qui en découlent pour les résidents locaux, comme pour les réfugiés.

Une municipalité qui, du point de vue statistique réussit à mieux intégrer les réfugiés dans le marché du travail, est également perçue comme un succès en matière d’intégration. Mais comme les populations réfugiées rurales sont souvent trop petites pour intéresser les recherches statistiques, elles ne sont souvent pas incluses dans les enquêtes. Par exemple, bien que les municipalités insulaires de Samsø et de Ærø aient été profondément impliquées et touchées par les réfugiés, elles ne figurent pas sur les cartes comparatives de l’emploi des réfugiés au Danemark. Cela signifie que les îles, et ce que nous pouvons apprendre d’elles, ne font pas partie des discussions autour de la question de l’intégration. En outre, on suppose souvent dans les statistiques qu’un emploi stable et une intégration réussie sont des facteurs mutuellement dépendants, mais nous ne savons presque rien sur la véracité établie de ce lien et la forme qu’il prend dans la vie quotidienne. Un aspect que le programme accéléré offre justement l’opportunité d’explorer.

 

Martin Ledstrup ledstrup@sdu.dk
Chercheur postdoctoral, Centre pour les études contemporaines sur le Moyen-Orient, Université du Danemark du Sud
www.sdu.dk

Marie Larsen marl@redcross.dk
Consultante en développement, Croix-Rouge danoise http://bit.ly/DanishRedCross-asylum


[1] Larsen B R, Whyte Z et Fog Olwig K (2015) Den nye landbefolkning: Asylcentrenes betydning og konsekvens for lokale fællesskaber i danske landdistrikter Institut for Antropologi, Københavns Universitet http://antropologi.ku.dk/Forskning/nyeste_publikation/den-nye-landbefolkning/Rapport__Web_Den_nye_landbefolkning_2015.pdf

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