CAFOD et Islamic Relief sont deux organisations qui ont derrière elles une longue expérience de travail conjoint en réponse à différentes crises humanitaires au cours desquelles pour des raisons de sécurité, de sensibilité du conflit ou d’autres facteurs de risque, l’une ou l’autre aurait été incapable d’agir seule. Avant leur implication en République centrafricaine (RCA), les deux organisations avaient déjà établi des modalités leur permettant de travailler ensemble.
Le souhait des agences musulmanes britanniques de répondre à la crise en RCA, motivé et par les besoins humanitaires croissants et par les attentes de leur base de soutien, est l’une des principales raisons qui a suscité la réponse interreligieuse en RCA. À l’exception d’Islamic Relief, les agences musulmanes britanniques qui avaient montré de l’intérêt pour les programmes de CAFOD et pour la possibilité d’un partenariat ne finançaient aucun programme en RCA, et aucune d’entre elles n’avait de présence dans le pays. La situation d’insécurité et de violence constantes dont les populations musulmanes sont la cible principale, et le nombre croissant d’attaques contre les travailleurs et les biens des ONG internationales empêchaient les agences musulmanes de s’impliquer activement en République centrafricaine. Un partenariat avec des agences chrétiennes qui travaillent en collaboration étroite avec la Plateforme interreligieuse se trouvant dans le pays[1], et qui ont défendu l’idée de consacrer davantage d’efforts à la médiation interreligieuse s’est imposé comme une solution adaptée au conflit pour permettre à ces organisations caritatives musulmanes de répondre à la crise.
Les deux côtés ont ainsi pu augmenter leur potentiel de financement. Dans le cas de CAFOD cela représentait une possibilité de réunir des financements pour ses organisations partenaires travaillant dans le pays non seulement à travers des donations privées provenant d’organisations caritatives musulmanes comme Islamic Help et Muslim Aid mais aussi grâce aux relations d’Islamic Relief et du Muslim Charities Forum (Forum des organisations caritatives musulmanes – MCF) avec les bailleurs institutionnels.
Dès le début de la crise actuelle en RCA, la religion a été manipulée par ceux au pouvoir. Au sein de la plateforme interreligieuse[2] l’archevêque Dieudonné Nzapalainga, l’imam Omar Kobine Layama et le pasteur Nicholas Guérékoyame Gbangou, ont travaillé sans relâche pour transmettre un message de modération, de tolérance et de respect par le dialogue avec les communautés mais aussi par l’exemple à travers leurs propres actions. Alors que s’amplifiaient les tensions et les violences entre les communautés, l’archevêque et l’imam se sont installés ensemble dans la résidence de l’archevêque dans un but de protection mais aussi afin de donner, en dépit de la poursuite du conflit, un exemple de paix et de cohésion. Leurs efforts ont également été décisifs pour attirer l’attention internationale sur la crise en RCA.
Plaidoyer
Si l’on excepte un regain d’intérêt médiatique aux alentours de décembre 2013 et janvier 2014, la crise en République centrafricaine s’est vue largement ignorée par la communauté internationale. Consciente de la valeur symbolique de la Plateforme interreligieuse et s’en inspirant, CAFOD a cherché activement à amplifier ses efforts de plaidoyer en approchant le Forum des associations caritatives musulmanes (Muslim Charities Forum – MCF) et en explorant les possibilités de communiqués conjoints sur les enjeux à défendre. L’objectif de cette relation était d’amplifier les messages de plaidoyer de CAFOD, non seulement grâce à la réputation du MCF au sein du secteur mais aussi grâce à l’effet moteur qu’une voix unie entre organisations musulmanes et chrétiennes pourrait avoir auprès des décideurs politiques. Parce qu’elle avait consacré une part importante de sa réponse initiale à la crise en RCA au plaidoyer, et qu’elle avait investi beaucoup de temps à l’analyse de la situation, CAFOD s’est trouvée en position de procurer aux organisations caritatives musulmanes qui pour la plupart n’avaient aucune présence dans le pays et une capacité de plaidoyer limitée sur ce type de questions, une force de plaidoyer conséquente.
À travers ce lien entre CAFOD et le MCF les relations entre les agences catholiques et musulmanes travaillant en RCA ont été développées afin d’étendre cette valeur symbolique à la distribution de l’assistance. La baronne Berridge a affirmé devant le parlement britannique en juin 2014 : « Si la communauté chrétienne en RCA reçoit son assistance alimentaire des agences d’aide musulmanes britanniques, cela contribuera à reconstruire la confiance intercommunautaire qui fait tant défaut ». Cette vision consistant à promouvoir la cohésion sociale à travers des programmes humanitaires interreligieux conjoints reflétant les actions et les messages de la Plateforme interreligieuse est devenue le moteur derrière les relations de travail entre organisations d’aide musulmanes et catholiques unies pour répondre à la crise en RCA.
Investissement et accomplissements.
CAFOD coordonnait déjà de nombreuses activités de plaidoyer relatives à la RCA, et le MCF quant à lui s’impliquait sur ces questions et participait régulièrement aux réunions. C’est le MCF qui a conseillé à Islamic Help et Muslim Aid d’approcher CAFOD pour s’enquérir de son rôle en RCA et pour obtenir des orientations sur comment soutenir ce travail dans le cadre d’un partenariat. En réponse à ces demandes d’Islamic Help et du Forum des organisations caritatives musulmanes, CAFOD a organisé une réunion pour que se rencontrent plusieurs organisations caritatives musulmanes et Catholic Relief Services (CRS), son organisation sœur américaine, afin de discuter d’un financement potentiel et de possibilités de partenariat et de programmation conjointe.
Résultant de cette réunion, CAFOD, Islamic Relief, le MCF et Muslim Aid ont organisé une mission conjointe d’une semaine en RCA. Il s’agissait d’un investissement conséquent visant à établir des relations de travail entre les différentes agences. Le groupe a eu la possibilité de visiter de nombreux projets qui reproduisent l’approche de la Plateforme interreligieuse et observer des exemples dans lesquels catholiques, musulmans et protestants travaillent ensemble pour guérir les blessures du conflit et diriger des efforts de médiation et de réconciliation. Cette visite a également aidé les agences à effectuer les évaluations de besoins requises et à explorer les options de programmation et de financement conjoints. La mission a en outre contribué à donner davantage de résonnance aux messages de plaidoyer du groupe en ajoutant une valeur symbolique significative à cette démarche et, elle a permis à ceux qui y ont participé, de s’adresser à leur retour aux décideurs politiques et à leurs sympathisants en s’appuyant sur leur expérience directe du pays.
À travers ses efforts interreligieux conjoints, le rassemblement des ONG confessionnelles britanniques a obtenu un accès aux décideurs politiques britanniques qu’ils ont utilisé sans relâche pour mettre en avant la nécessité de soutenir la cohésion sociale en RCA. Cet accès a été facilité par l’estime internationale que suscite le travail de la Plateforme interreligieuse.
Ignorer la religion reviendrait à limiter gravement toute analyse de la situation actuelle dans le pays. En RCA les institutions religieuses en soi sont perçues par les communautés comme un sanctuaire et un abri. Pratiquement toutes les églises sont entourées d’un camp de PDI et apportent de l’assistance aux communautés chrétiennes et musulmanes qui s’y réfugient. La mission conjointe a également permis depuis qu’elle a eu lieu, un certain degré de coopération au niveau des programmes ; Islamic Relief finance maintenant directement le CRS pour qu’il mette en place des programmes d’abri et de sécurité alimentaire et a établi une présence plus permanente à Bangui.
Ce processus ne s’est toutefois pas déroulé sans difficultés. Les cinq organisations qui ont organisé et participé à la mission conjointe (CAFOD, le CRS, Islamic Relief, le MCF et Muslim Aid) ont dû consacrer un investissement et des capacités conséquentes dans cette aventure, particulièrement pour organiser la visite à Bangui. De même, le maintien de ces relations demande un investissement et des capacités qui ne sont pas toujours disponibles du fait de demandes concurrentes. Alors qu’il était relativement facile de coordonner la communication et le plaidoyer aux lendemains immédiats de la mission conjointe, au fil du temps la poursuite de la coordination entre les cinq agences peut s’avérer compliquée.
Possibilités
Malgré ces défis, la crise en RCA se poursuit et les efforts en vue de promouvoir la cohésion sociale devront être étendus à l’intérieur du pays. Il existe sans aucun doute des avantages évidents à la poursuite d’une approche interreligieuse de la réponse humanitaire en RCA et au travail conjoint des organisations catholiques et musulmanes. Travailler avec des organisations confessionnelles différentes favorise une approche plus sensible du conflit et permet d’amplifier les messages de plaidoyer tout en obtenant davantage d’influence auprès des décideurs politiques. Les besoins de plaidoyer n’ont pas disparu, notamment en vue d’obtenir des conditions adéquates permettant le retour en toute sécurité de ceux qui ont été déplacés par le conflit et l’assurance que les programmes humanitaires réunissent bien les conditions permettant ce retour.
Du fait de la volatilité de la situation, il reste difficile de mesurer l’impact de cette approche interreligieuse destinée à promouvoir la cohésion sociale. Cela étant dit, on trouve dans le travail du CRS avec les communautés musulmanes des exemples qui démontrent de façon évidente qu’une implication de ce type permet d’améliorer l’accès humanitaire et facilite le dialogue entre les groupes sur place. Même s’il est certain que chaque contexte d’urgence est différent et nécessite sa propre analyse, il n’en reste pas moins dans des situations similaires où la religion joue un rôle important pendant le conflit comme dans le processus de réconciliation, que travailler avec des organisations confessionnelles différentes puisse être souvent, non seulement nécessaire mais aussi préférable.
Catherine Mahony cmahony@cafod.org.uk est Coordinatrice régionale des services d’urgence pour l’Afrique de l’Ouest et les Grands Lacs, CAFOD. www.cafod.org.uk
[1] Voir en page 4 l’article de Nzapalainga, Layama et Gbangou.
[2] Alors que l’on se réfère internationalement au rassemblement des chefs religieux en parlant de la Plateforme interreligieuse, son nom officiel est « Plateforme des Confessions Religieuses en Centrafrique ».