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Le trafic des êtres humains pour leurs organes

La 23ème session de la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale, qui s’est tenue en mai 2014, a adopté une résolution parrainée par la Biélorussie et intitulée « Prévenir et combattre le trafic des organes humains et le trafic des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes ». Cette résolution confie à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime la mission de réaliser une étude exhaustive sur cette question puis de remettre un rapport à la Commission en 2016, dans l’objectif de mieux comprendre ce crime et, par conséquent, d’aider à élaborer des politiques efficaces pour le combattre.

Il n’existe actuellement aucune définition universellement acceptée du crime du trafic d’organes, ni aucun outil universel adapté qui soit juridiquement contraignant. Cette double absence ne doit toutefois pas être interprétée comme un signe de la faible amplitude de ce crime. Au contraire, il s’agit plutôt d’un signe de sa nature émergente, dont la communauté internationale commence seulement à saisir la portée.

Ce crime revêt trois formes particulières. Premièrement, alors que le trafic des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes est reconnu comme une forme de trafic des êtres humains par le Protocole de Palerme relatif au trafic de personnes (2010), un nombre croissant d’acteurs réalisent aujourd’hui qu’il s’agit également d’une forme de trafic d’organes. Deuxièmement, il y a ce que l’on appelle le « tourisme de transplantation »,[1] dans le cadre duquel des bénéficiaires potentiels issus principalement (mais pas exclusivement) de pays développés se rendent dans un pays en développement pour se faire transplanter un organe acheté à un donateur local. Vu sous cette lumière, le trafic des organes ne touche pas seulement aux mouvements des organes, mais concerne plutôt le mouvement des personnes : des pays émergents et en développement vers les pays riches sous la forme du trafic des personnes aux fins d’un prélèvement d’organes, et dans l’autre sens sous la forme du tourisme de transplantation. Enfin, la troisième forme est le trafic des organes au sens étroit du terme, c’est-à-dire le mouvement illicite des organes humains entre différents pays.

La croissance de l’industrie de la transplantation d’organes à travers le monde est le facteur à l’origine de ce nouveau défi transnational. Toutefois, le crime du trafic des organes n’a pas émergé à cause de cette industrie en elle-même, mais plutôt à cause d’un écart de plus en plus grand entre la demande d’organes humains et l’offre légitime.

Comme pour toutes les activités clandestines, la portée véritable du trafic des organes n’est pas connue avec précision. En 2004, l’assemblée générale de l’ONU a passé une résolution intitulée « Prévenir, combattre et punir le trafic d'organes humains » pour tenter d’en apprendre un peu plus à ce sujet. Toutefois, un rapport produit ultérieurement par le Secrétaire général de l’ONU reconnaissait que les États membres n’avaient pas fourni suffisamment d’informations et, par conséquent, que le problème du trafic des organes restait encore largement inexploré. Pourtant, même si les données officielles sont insuffisantes, de nombreuses informations sur le trafic des organes sont disponibles auprès de sources non officielles. On entend même dire que le trafic des organes aux fins de transplantation représente 10 % des cas de transplantation à travers le monde et génère jusqu’à 1,2 milliards de dollars de recettes illicites chaque année.[2]

Approches internationales

En règle générale, la communauté internationale suit une approche prohibitionniste en matière de transplantation d’organes. En d’autres termes, les États interdisent l’achat et la vente d’organes humains. L’industrie fonctionne donc sur la base du don volontaire et altruiste d’organes, une vision basée sur des considérations morales et éthiques selon lesquelles la transplantation d’organes est justifiée uniquement lorsqu’il s’agit d’un acte de don volontaire car, dans la plupart des cas, un tel acte met en relation deux personnes qui sont déjà proches l’une de l’autre.

Cette approche prohibitionniste découle des Principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains, élaborés par l’Organisation mondiale de la santé en 1991. Ces principes ne sont pas contraignants, et ne sont pas respectées par tous les pays. La Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation représente un autre outil non contraignant, issu d’une conférence internationale en 2008.

En revanche, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997) du Conseil de l’Europe ainsi que son protocole additionnel de 2002, interdisent l’achat et la vente d’organes humains. De plus, le Conseil de l’Europe travaille actuellement à l’adoption d’une Convention contre le trafic des organes humains, qui met en lumière le besoin d’un document international juridiquement contraignant et consacré exclusivement au crime du trafic d’organes.

En anticipation d’une étude sur le trafic d’organes qui sera publié par l’ONUDC en 2016, la Biélorussie a amorcé fin 2014 une discussion au sujet d’un éventuel outil universel juridiquement contraignant contre le trafic des organes humains, à l’occasion de la 7ème session de la Conférence des États parties à la Convention de l’ONU contre la criminalité organisée transnationale, qui s’est tenue à Vienne, ainsi qu’à New York en marge de la 69ème session de l’Assemblée générale de l’ONU.

Il existe plusieurs justifications pour la création éventuelle d’un nouvel outil. Premièrement, il est nécessaire de s’attaquer à la cause principale du trafic d’organes, c’est-à-dire le manque crucial d’organes humains. Une solution pourrait s’inspirer des modèles nationaux d’approvisionnement en organes qui ont réussi, tels que le « consentement présumé » qui implique, en substance, que chaque citoyen d’un pays est un donneur d’organes à moins qu’il n’ait expressément retiré son consentement. Deuxièmement, il n’existe pour l’instant aucune définition approuvée internationalement du terme « trafic d’organes ». Troisièmement, un nouveau document universel devrait s’attaquer non seulement aux causes du trafic d’organes mais aussi à ses conséquences. En d’autres termes, il devrait comprendre des dispositions criminalisant non seulement le trafic des personnes à cette fin mais aussi le trafic des organes humains ; alors que de nombreux États ont déjà criminalisé l’achat d’organes sur leur territoire de compétence, très peu ont également criminalisé l’achat d’organes par leurs citoyens à l’étranger.

Un nouvel instrument devrait servir à renforcer considérablement la coopération à ce sujet, et avant tout dans des domaines tels que l’extradition, la confiscation des actifs et des produits issus de la vente d’organes, et l’assistance juridique mutuelle. Enfin, un nouveau document devrait également servir l’objectif de mieux éduquer le public au sujet de l’importance du don d’organes mais aussi des menaces posées par le trafic d’organes en tant qu’activité criminelle.

Alors que le trafic humain aux fins de prélèvement d’organes est couvert par le Protocole de Palerme relatif au trafic de personnes, qui est juridiquement contraignant, le tourisme de transplantation et le trafic d’organes ne le sont pas. Les liens entre ce crime et le trafic des êtres humains mettent en lumière le besoin de couvrir pleinement la portée du trafic d’organes, mais aussi de l’appréhender dans toute sa complexité.

 

Vladimir Makei est le ministre des Affaires étrangères de Biélorussie. Vous pouvez le contacter sur iravelichko@gmail.com



[1] Il ne faut pas confondre le tourisme de transplantation et les personnes voyageant légitimement à l'étranger pour subir une transplantation.

[2] Emily Kelly (2013) ‘International Organ Trafficking Crisis: Solutions Addressing the Heart of the Matter’, Boston College Law Review. http://tinyurl.com/Kelly2013-organ-trafficking

 

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