Pour marquer le vingtième anniversaire de la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés de 1984[1], les États d’Amérique latine et des Caraïbes ont entamé un processus consultatif qui a abouti à l’adoption de la Déclaration et du Plan d’action de Mexico en 2004[2]. Ce document guidait les actions en matière de protection des réfugiés dans la région pour les dix années à venir et incluait notamment le Programme de réinstallation solidaire, conçu comme un outil de protection de même qu’une solution durable pour les réfugiés latino-américains (principalement d’origine colombienne) exposés à des risques dans les pays voisins. Ce programme avait également pour ambition de devenir un mécanisme de solidarité internationale et de partage des responsabilités entre les États de la région, en cherchant à soulager les pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés. Entre 2005 et 2014, environ 1 151 réfugiés (en très grande majorité colombiens) ont été réinstallés de l’Équateur et du Costa Rica vers l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Paraguay et l’Uruguay dans le Cône Sud de l’Amérique latine.
Ces pays de réinstallation d’urgence, comme on les appelait, ont principalement reçu une assistance technique et financière de la part du HCR pour les aider à concevoir et mettre en œuvre leurs programmes, mais aussi de la part de pays de réinstallation traditionnels, dont la Norvège et l’Australie. Toutefois, les processus d’intégration des réfugiés dans leur nouvel environnement étaient très différents dans les nouveaux pays de réinstallation que dans les pays traditionnels.
Premièrement, le Programme s’appuyait sur l’engagement des États à fournir aux réfugiés un permis de séjour et des papiers et à leur accorder les mêmes droits qu’aux étrangers résidant sur leur territoire. Mais il se basait également sur l’engagement de la communauté internationale à financer, par le biais du HCR, le transfert des réfugiés individuels ou des familles et à engager des agences locales et des organisations de la société civile pour mettre en œuvre le programme, c’est-à-dire pour gérer la réception des réfugiés, la fourniture d’un hébergement et de denrées alimentaires, mais également pour soutenir leur intégration dans la population active. Toutefois, les autorités locales chargées de l’asile et l’État aurait dû jouer un rôle plus important dans le processus d’intégration qu’ils ne l’ont fait.
De plus, bien que les réfugiés colombiens ayant été réinstallés soient proches sur le plan culturel et linguistique des habitants des pays du Cône Sud de l’Amérique latine, ils s’attendaient pour la plupart à être réinstallés en Europe du Nord ou aux États-Unis et percevaient clairement la possibilité d’être réinstallés dans le Cône Sud comme l’option la moins désirable. Cette déception, conjuguée au fait que l’assistance financière et le soutien apporté étaient différents de ceux que les pays traditionnels pouvaient offrir, s’est traduite chez certains par une réticence à s’intégrer dans leur nouvel environnement si bien qu’ils ont refusé l’offre de réinstallation ou sont retournés d’où ils venaient peu de temps après leur arrivée.
Pour ceux qui avaient accepté l’offre de réinstallation, le processus d’intégration était difficile en raison des complexités structurelles typiques des sociétés réceptrices (liées à l’accès à l’emploi ou au logement, à la génération de revenus, à la sécurité publique et ainsi de suite).
Enfin, comme les pays de premier asile et le pays d’origine étaient proches géographiquement, certains réfugiés qui rencontraient des difficultés (même s’il s’agissait de difficultés typiques du processus d’intégration dans n’importe quelle nouvelle société) ont décidé de quitter leur pays de réinstallation. Selon une récente évaluation du programme, 78 % des réfugiés qui étaient arrivés dans le Cône Sud via le Programme de réinstallation solidaire étaient restés dans leur pays de réinstallation, tandis que 22 % l’avaient quitté. Ce rapport observait que « le départ de nombreux réfugiés réinstallés pour retourner dans leur pays d’origine ou dans leur pays de premier asile, ou pour gagner un pays tiers, donnait aux pays de réinstallation la sensation que le programme échouait ou que la réinstallation n’était pas l’outil de protection que les États avaient envisagé au moment où ils se s’étaient engagés dans le Programme de réinstallation solidaire[3]. »
Cependant, en tant qu’outil de protection, le programme présentait clairement et présente toujours des aspects positifs. En déployant des efforts et en persévérant, les réfugiés réinstallés parviennent à surmonter les obstacles initiaux, quoique leur réussite dépende d’un vaste éventail de facteurs.
Solutions alternatives
Au cours de la première consultation régionale en préparation du trentième anniversaire de la Déclaration de Carthagène, les autorités des États parties au Marché commun du Sud (Mercado Común del Sur, ou Mercosur) et ses États associés ont déclaré « reconnaître la valeur du Programme régional de réinstallation solidaire en tant qu’exemple véritable de partage des responsabilités » et recommandé « d’évaluer sa continuité et/ou son expansion, en fonction des possibilités et des expériences dans les pays respectifs, en termes de quotas, d’inclusion des réfugiés non originaires de la région et d’une augmentation de la part des financements publics » et « exhorté les pays de la région à débattre de la possibilité d’adhérer au Programme régional de réinstallation (…) »[4] .
Les conclusions et les recommandations de cette consultation et de trois autres ayant eu lieu dans le cadre du processus de Carthagène + 30 ont abouti à l’adoption de la Déclaration et du Plan d’action du Brésil[5]. L’un des nouveaux programmes établis dans ce plan fait explicitement référence au Programme de réinstallation solidaire et propose diverses actions, dont les suivantes : l’évaluation conjointe des différents programmes nationaux de réinstallation « afin d’identifier les obstacles et les meilleures pratiques au cours des phases de sélection et de profilage et du processus d’intégration » ; une coopération avec les pays du Triangle Nord de l’Amérique centrale, au vu de leur vulnérabilité aux activités du crime organisé transnational ; et la solidarité avec les crises humanitaires internationales.
Les États ont proposé de considérer des solutions alternatives au Programme de réinstallation solidaire, en partant du principe que « ces alternatives pourraient être applicables en l’absence d’option d’intégration locale des réfugiés dans le pays d’accueil ou en tant que mesures de solidarité pour partager le fardeau d’un pays recevant un grand nombre de réfugiés, transformant ainsi le programme en mécanisme régional de partage des responsabilités ».
Le Plan d’action du Brésil inclut également le Programme de mobilité de la main-d’œuvre, qui vise à faciliter la mobilité des réfugiés dans le cadre des accords du Mercosur relatifs à la migration, permettant ainsi aux réfugiés (en tant que ressortissants des pays membres du Mercosur) ayant des difficultés à s’intégrer au niveau local de migrer au sein de la région. Les sauvegardes nécessaires suivantes en matière de protection seraient incluses : reconnaître le caractère extraterritorial du statut de réfugié afin de respecter le principe de non-refoulement ; garantir la confidentialité ; faciliter la délivrance de documents d’identité personnels et de voyage ; et respecter l’unité familiale, en plus des sauvegardes liées à leur statut de réfugié[6].
En réponse à cette proposition, le HCR a commandité une étude sur l’applicabilité de l’Accord sur la résidence des ressortissants des États membres du Mercosur aux personnes présentant des besoins de protection internationale dans la région, ainsi que sur sa compatibilité avec les normes du droit international relatif aux réfugiés.[7] Cette étude indique que la vaste majorité des réfugiés accueillis dans la région proviennent de la région même, principalement de Colombie. Les solutions durables traditionnelles pour la population colombienne (principalement installée en Équateur, au Venezuela et dans certains pays d’Amérique centrale tels que le Costa Rica et le Panama) se heurtent à une série d’obstacles. Par conséquent, la possibilité que les réfugiés puissent se déplacer au sein de l’espace régional, de manière temporaire ou permanente, semble constituer une solution alternative intéressante et, comme l’étude le mentionne, pourrait être « un élément complémentaire des solutions durables classiques ».
De toute évidence, l’établissement d’un système de ce type pourrait être une contribution extrêmement intéressante de la part de la région Mercosur, et de l’Amérique latine, au débat sur les solutions durables pour les réfugiés.
María José Marcogliese majomarcogliese@gmail.com
Secrétaire exécutive, Comité national d’aide aux réfugiés (CONARE) de la République d’Argentine www.migraciones.gov.ar/conare
[1] Declaración de Cartagena sobre los Refugiados de 1984, Cartagena de Indias, 22 novembre 1984 www.oas.org/dil/esp/1984_Declaraci%C3%B3n_de_Cartagena_sobre_Refugiados.pdf
[2] Declaración y Plan de Acción de México Para Fortalecer la Protección Internacional de los Refugiados en América Latina, Ciudad de México, 16 novembre 2004 www.oas.org/dil/esp/Declaracion_y_Plan_de_Accion_de_Mexico_2004.pdf
[3] Ruiz H (2015) Evaluation of resettlement programmes in Argentina, Brazil, Chile, Paraguay and Uruguay, UNHCR www.acnur.org/t3/fileadmin/Documentos/BDL/2016/10253.pdf?view=1
[4] (2014) Commemorative process of the 30th Anniversary of the Cartagena Declaration on refugees ‘Cartagena+30’: MERCOSUR Sub-Regional Consultation. Summary of conclusions and recommendations www.acnur.org/t3/fileadmin/Documentos/BDL/2014/9777.pdf
[6] Voir note de fin de page no 5
[7] Bello J (2015) El MERCOSUR y la protección internacional: aplicabilidad de las políticas migratorias regionales a la luz del Derecho Internacional de los Refugiados. Informe de la Consultoría del Alto Comisionado de Naciones Unidas para los Refugiados. Proceso Cartagena+30 www.acnur.org/t3/fileadmin/Documentos/BDL/2015/10216.pdf?view=1