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Le concept de migration pour cause de crises

Les problèmes de protection et d’assistance peuvent être tout aussi aigus au lendemain d’une catastrophe naturelle que lors d’un conflit; les personnes déplacées peuvent subir la même pénurie d’accès aux ressources et aux droits fondamentaux et ressentir une détresse psychologique tout à fait comparable. Jusque très récemment toutefois, la communauté internationale s’est focalisée sur la protection des personnes déplacées par les conflits bien que le nombre de personnes déplacées par les catastrophes naturelles soit de plus en plus important (et même supérieur). Le Haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés a déclaré: «alors que la nature des déplacements forcés évolue rapidement, les réponses dont dispose la communauté internationale n’ont pas suivi»[1] et, selon le Coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies, les catastrophes plus fréquentes et plus graves risquent de devenir «la nouvelle norme».[2]

Cependant, même si instinctivement nous pouvons penser que la «migration pour cause de crises»   implique un déplacement provoqué par un risque objectivement perceptible comme une inondation ou un séisme, ce sont les dimensions sociales sous-jacentes qui vont transformer cette rencontre avec un événement simplement dangereux en une situation de stress qui va mettre à l’épreuve la résilience à la fois des individus et des communautés et risque d’entrainer un déplacement. Ce qui constitue une ‘crise’ et provoque la migration dépendra non seulement des ressources et de la capacité de ceux qui se déplacent mais aussi de la capacité de l’État à l’intérieur duquel se produit le déplacement de répondre aux épreuves qu’ils vivent. La migration est une réponse normale et rationnelle face à des catastrophes naturelles et aux impacts plus progressifs du changement environnemental. Cela ne veut pas dire qu’il convient pour autant de supposer que la migration est volontaire, mais simplement qu’elle ne doit pas être traitée comme anormale.

Parce que les catastrophes naturelles et les autres dangers sont courants dans certains environnements, ils ne se manifesteront pas sous la forme de ‘crises’ à moins que d’autres variables ne soient également présentes. Un événement soudain peut toutefois se conjuguer à d’autres facteurs de stress comme la pauvreté, la surpopulation, la précarité environnementale, certaines pratiques de développement et la faiblesse des institutions politiques. Ainsi, ce que certaines communautés ou individus peuvent supporter peut constituer une crise pour d’autres.

Il est donc plus judicieux de comprendre la «migration pour cause de crises» comme une réponse face à une combinaison complexe de facteurs sociaux, politiques, économiques et environnementaux qui peuvent être déclenchés par un événement extrême mais non causés par celui-ci. Certains événements ou processus particuliers devraient être reconnus comme un aspect unique d’un processus de crise dont les racines se trouvent dans les inégalités ou les vulnérabilités systémiques qui rendent certains groupes particuliers plus susceptibles de se déplacer. Lorsque conceptualisée de cette manière, la « migration pour cause de crises» implique une pression aigüe exercée sur la personne ou le groupe qui se déplace sans impliquer nécessairement la survenue d’un événement extrême ou soudain particulier.  

Comprendre cela en fonction des points de basculement s’avère tout à fait utile. À quel moment l’impact cumulé de différents facteurs de stress – qu’ils soient socio-économiques, environnementaux, politiques ou psychologiques – fait-il basculer quelqu’un? À quel moment, se déplacer devient-il préférable à rester sur place? Indépendamment du fait qu’une crise soit déclenchée par des conditions aigües ou chroniques, il existera des points de basculement et ils varieront d’un individu à l’autre.  

Implications politiques

Une compréhension de ce type comporte des ramifications étendues en termes de politique, parce que lorsqu’une «crise» est comprise comme étant quelque chose de plus qu’un événement soudain unique, nous pouvons commencer à envisager des interventions étalées sur des délais plus importants, des associations différentes d’acteurs institutionnels, des partenariats nouveaux et des modèles plus durables de financement. Les définitions ont encore davantage d’importance si elles déterminent l’accès à des droits juridiques et à une assistance humanitaire.

Ce n’est pas seulement au sein des cercles universitaires que les idées de «crise» et de «migration» sont considérées conjointement. Les États ont choisi «Gérer la migration dans les situations de crise» comme thème du Dialogue international sur les migrations de 2012 organisé par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Étant données les ramifications potentielles tant politiques que juridiques des délibérations effectuées dans ce type de contexte, il est absolument déterminant que celles-ci s’appuient sur des concepts absolument clairs.

Les discussions de l’OIM ont suggéré que les décideurs politiques comprenaient intuitivement le concept de «crise» comme un moment pivot ou un tournant – une situation d’urgence. Toutefois, conceptualiser la ‘migration pour cause de crise’ en en faisant la réponse d’un individu ou d’une communauté face à un événement extérieur constitue un problème car cela peut cacher des fragilités préexistantes et concentrer l’attention sur des conditions matérielles plutôt que sur une évaluation globale des circonstances socio-économiques d’ensemble. Un autre sujet de préoccupation est le fait que certaines pratiques améliorées de développement (programmes de réduction de la pauvreté, etc.), qui disposent déjà de cadres institutionnels solides risquent de ne pas être envisagées comme pertinentes au profit d’interventions d’urgence typiquement réactives et ponctuelles qui traitent les symptômes et non les causes.[3]

Bien plus, il est essentiel que les décideurs politiques se rendent compte de la manière dont la mobilité a, ou n’a pas, une incidence historique sur certaines communautés particulières. Sinon, les interventions risquent d’être erronées. Dans les îles du Pacifique, par exemple, la mobilité est un aspect fondamental du vécu historique et présent, et en conséquence il convient de comprendre le déplacement comme une stratégie d’adaptation faisant partie d’un continuum historique.

Pour effectuer des changements qui ont du sens, il sera nécessaire de transcender les démarcations politiques conventionnelles afin de promouvoir la coordination à l’intérieur et entre les gouvernements, les agences internationales et locales et les ONG. Une approche plus globale entre l’ensemble des différents secteurs est nécessaire ainsi qu’une amélioration des liens entre les communautés humanitaires et du développement.

La nature et l’opportunité des interventions politiques joueront un rôle majeur et définiront la forme que prendront les conséquences de la «migration pour cause de crises». Elles contribueront également à déterminer si ce type de migration peut fonctionner comme une forme d’adaptation ou si au contraire elle constitue un échec d’adaptation.[4] La migration en tant qu’adaptation fait du déplacement une force productive à exploiter et à développer, plutôt qu’une calamité humanitaire à résoudre.  

 

Jane McAdam j.mcadam@unsw.edu.au est Professeure de Droit et Directrice fondatrice du Centre Andrew & Renata Kaldor de Droit international des réfugiés de l’université de New South Wales en Australie. www.kaldorcentre.unsw.edu.au



[1] Déclaration d’António Guterres lors de l’ « Evénement intergouvernemental au niveau ministériel à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et du 50e anniversaire de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie », décembre 2011 www.unhcr.org/4ecd0cde9.html.

2 Déclaration liminaire de John Holmes lors de la Conférence DIHAD de 2008, avril 2008. www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900sid/YSAR-7DHL88?OpenDocument

[3] Anthony Oliver-Smith, ‘Theorizing Disasters: Nature, Power, and Culture’ dans Susanna M Hoffmann et Anthony Oliver-Smith (éditions), Catastrophe and Culture: The Anthropology of Disaster, School of American Research Press, Santa Fe, 2002, 32.

[4] Koko Warner, ‘Assessing Institutional and Governance Needs Related to Environmental Change and Human Migration’, Équipe d’étude sur les migrations imputables au climat, German Marshall Fund of the United States, juin 2010.

 

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