Qu’ils soient docteurs, enseignants, ingénieurs ou spécialistes informatiques, les réfugiés très instruits que j’ai interviewés en Norvège, en Suède et en Allemagne entre 2016 et 2017 aspiraient à continuer de travailler dans leur domaine professionnel. Pour cela, ils doivent valider leurs qualifications étrangères mais, pour certaines professions, ce processus de validation est extrêmement long, au point d’empêcher certains réfugiés hautement qualifiés de recommencer à pratiquer leur profession pendant de nombreuses années.
Les processus de reconnaissance et de validation des qualifications diffèrent considérablement entre les divers groupes professionnels, la différence la plus importante étant entre les professions réglementées par la loi (par exemple, les médecins et les enseignants) et celles qui ne le sont pas (par exemple, les ingénieurs informatiques). Pour les personnes exerçant une profession non réglementée, le processus de validation des qualifications est souvent simple et rapide. Pour celles dont la profession est réglementée par la loi, les choses sont très différentes. Afin de pouvoir continuer à travailler comme médecins ou enseignants, par exemple, les professionnels étrangers doivent obtenir un permis d’exercer dans le pays, qui nécessite généralement de fournir une preuve de maîtrise de la langue du pays d’accueil, de passer un examen, d’assister à des cours complémentaires et (souvent) de suivre une période de formation pratique.
Tous les médecins et les enseignants ayant participé à mon projet de recherche et qui s’étaient embarqués dans ces processus d’obtention d’un permis en Norvège, en Suède et en Allemagne ont décrit de nombreuses difficultés. Certains avaient l’impression que le test de connaissances et les formations complémentaires obligatoires ne tenaient aucunement compte de leurs connaissances et de leur expérience existantes, tandis que certains spécialistes médicaux doutaient que le permis délivré par le pays de destination soit équivalent au niveau professionnel qu’ils avaient atteint dans leur pays d’origine. La plupart des participants à cette recherche se sont plaints de la lenteur des processus d’octroi de permis.
En Suède, par exemple, les enseignants étrangers doivent attendre entre cinq et huit ans avant d’obtenir un permis d’enseignement suédois. Le service public de l’emploi suédois, à la demande du gouvernement suédois et en coopération avec des partenaires de divers secteurs, a mis en place des programmes accélérés[1],afin de permettre aux migrants d’accéder plus rapidement au marché du travail.
D’abord conçus pour les professions souffrant d’une pénurie de main-d’œuvre, les premiers programmes ont été lancés en 2015 et il existe aujourd’hui des programmes destinés aux migrants chefs cuisiniers et travailleurs sociaux, ainsi que pour ceux qui exercent une profession réglementée, par exemple les enseignants. Les participants au programme doivent se soumettre à un processus de validation des qualifications, suivre des cours de terminologie suédoise spécifique à leur profession, réaliser des stages et suivre des cours théoriques complémentaires. Les participants prennent part à ces activités simultanément, ce qui réduit le temps nécessaire à l’obtention du permis national. De plus, ces programmes fournissent aux participants un cadre institutionnel qui esquisse les étapes qu’ils doivent suivre afin d’atteindre leur objectif et qui leur offre des conseils au fil de leurs démarches.
L’un de ces programmes accélérés est un programme de 26 semaines qui s’adresse aux enseignants étrangers à Malmö, en Suède. Il se compose de cours de pédagogie et à propos du système scolaire suédois, enseignés à la fois en suédois et en arabe (partant de l’hypothèse que la plupart des participants sont arabophones), d’un stage dans l’une des écoles locales et d’un cours de langue suédoise conçu sur-mesure pour les enseignants. Le stage pratique en milieu de travail permet aux personnes d’améliorer leur maîtrise de la langue suédoise et d’établir les contacts professionnels nécessaires pour leur future recherche d’emploi. Qui plus est, la décision d’envoyer une personne suivre un programme de formation complémentaire pour enseignants étrangers afin d’obtenir un permis d’enseignement (une décision prise par l’agence nationale de l’éducation suédoise lorsqu’elle reçoit une demande de validation des qualifications) peut être réévaluée en fonction des résultats de la personne concernée au cours du programme accéléré.
Possession matérielle de diplômes
Afin de pouvoir valider leurs qualifications, les réfugiés hautement instruits doivent être en possession de leur diplôme de formation. Cependant, de nombreuses personnes interrogées nous ont expliqué avoir perdu tout ou partie de leurs diplômes dans les décombres de leur logement bombardé ou au cours de leurs déplacements. L’obtention de nouveaux diplômes auprès des institutions éducatives où ils avaient étudié représentait souvent un obstacle quasiment insurmontable, dans la mesure où les institutions publiques se montraient souvent réticentes ou peu disposées à délivrer un diplôme de formation à des personnes établies à l’étranger, et qu’elles n’en avaient même parfois pas le droit.
Pour résoudre ce problème, et en vue de satisfaire aux exigences de la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, l’Agence norvégienne de l’assurance qualité dans l’éducation (NOKUT) a mis au point une procédure de reconnaissance pour les personnes sans documentation vérifiable (également appelée la procédure UVD)[2]. Cette procédure s’adresse aux personnes ayant fait des études supérieures à l’étranger, mais pour lesquelles la procédure de reconnaissance générale n’est pas adaptée car leurs papiers d’identité et/ou leurs diplômes sont introuvables, insuffisants ou invérifiables. Par conséquent, elle concerne principalement les réfugiés et les personnes dans une situation semblable à celle de réfugiés. La procédure UVD fait intervenir un ou deux employés du NOKUT connaissant bien le système éducatif du pays d’origine du demandeur, ainsi que deux experts spécialisés externes. Le parcours éducatif du demandeur est vérifié par le biais d’un questionnaire, d’un entretien et d’examens oraux et écrits dans le domaine d’expertise du demandeur. Bien que la Norvège soit le seul pays européen disposant de la procédure UVD, quelques autres pays recourent à des procédures semblables, notamment la Suède.
Sous l’effet de l’augmentation du nombre de réfugiés, de la nature chronophage et intensive en ressources de la procédure UVD et du fait qu’un groupe toujours plus grand de réfugiés ne répond pas aux critères d’évaluation fixés par cette procédure, NOKUT a développé, en collaboration avec le Centre national d’information sur la reconnaissance académique du Royaume-Uni, une nouvelle procédure d’évaluation plus rapide et moins coûteuse pour les personnes ne disposant pas de documents vérifiables. La nouvelle évaluation des qualifications des réfugiés[3] conjugue une évaluation des documents disponibles et un entretien structuré réalisé par un responsable de dossier expérimenté du NOKUT.
Les tentatives décrites ici sont des exemples d’évolution positive visant à résoudre les difficultés liées à la reconnaissance des qualifications. Il reste à voir comment ces programmes continueront d’évoluer et comment ils seront mis en œuvre ailleurs.
Katarina Mozetič katarina.mozetic@sosgeo.uio.no
Chercheuse de doctorat, Département de sociologie et de géographie humaine, Université d’Oslo
https://www.sv.uio.no/iss/personer/vit/katarmo/