L’approche « Abris d’une pièce » (One Room Shelter ou ORS) que la mission au Pakistan de l’Organisation internationale des Nations Unies pour les migrations (OIM) a mise en œuvre pour répondre aux besoins de relèvement des populations touchées en 2010 s’est démarquée par rapport aux interventions d’urgence habituelles. Le programme a favorisé des méthodes de construction autochtones et a travaillé avec les praticiens et les communautés pour permettre un accès massif à la propriété de maisons à bas coût. Ce faisant, il a permis d’aider plus de 77 000 familles touchées par la catastrophe à reconstruire des abris capables de résister aux aléas. Le mode de construction a utilisé des techniques et des matériaux locaux, ce qui a permis de minimiser les impacts négatifs sur l’environnement et sur le marché du travail que des abris utilisant des matériaux industriels et des briques en terre cuite auraient eus. La promotion et le choix d’une solution localement produite ont permis au programme de relever deux défis d’importance : convaincre les partenaires de la communauté humanitaire d’adopter de nouvelles directives et inscrire un changement de comportement à long terme au sein des communautés.
Construire de manière à résister aux catastrophes
La raison primordiale qui incite les acteurs humanitaires à préférer l’utilisation de matériaux industriels pour les abris trouve son origine dans un préjugé concernant la supériorité des matériaux modernes par rapport aux constructions traditionnelles et aux matériaux locaux, et à l’absence de prise en considération des impacts environnementaux et sociaux négatifs des premiers. Le modèle de construction d’abris d’une pièce permet également la personnalisation de l’abri ainsi réalisé, et de fait, peut contribuer à généraliser la réduction des risques de catastrophe (RRC).
Le programme ORS constitue une solution locale d’abris à bas coût avec un impact minimal sur l’environnement. Grâce à des formations détaillées au niveau des villages, le programme encourage les communautés à adopter des techniques de RRC, comme surélever le socle des habitations, renforcer la base des murs avec un rebord et utiliser un enduit de boue et de chaux peu coûteux pour plâtrer les murs. Une méthode de construction qui permet aux femmes de participer à la reconstruction des abris, contrairement à une approche privilégiant le concours des entrepreneurs, et dans laquelle des matériaux industrialisés sont manipulés directement par les équipes des ONG ou par des constructeurs professionnels. La participation de la population à son propre rétablissement – « l’autorelèvement » – a contribué à renforcer le sentiment d’appropriation et d’orgueil à l’égard des nouveaux abris, ce que les décorations et les peintures murales sont venues confirmer. Le programme ORS a démontré que des solutions plus sûres et mieux adaptées au contexte local qui tirent parti des techniques et des capacités autochtones peuvent être mises en œuvre à bas coût.
Le principal défi pour le programme a été de réunir autour de l’approche proposée un consensus et l’adhésion des homologues gouvernementaux et des ONG au niveau national et provincial au sein du groupe de travail sur les abris. L’impression largement partagée à l’époque était que ces types d’abris n’étaient pas pukka, c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas de qualité optimale et pas suffisamment résistants parce que construits de manière traditionnelle. D’importants arguments politiques ont été échangés entre les agences nationales et provinciales de gestion des catastrophes, mais progressivement l’énormité des besoins et la limitation des fonds à disposition ont rendu l’approche ORS plus tentante. Au cours du projet pilote, différentes options ont été proposées aux bénéficiaires de l’assistance, concernant les matériaux qu’ils pouvaient utiliser. Offrir une sélection de matériaux à livrer et fournir des conseils techniques détaillés et des capacités de construction à l’échelle adéquate n’a toutefois pas été possible. L’OIM a fortement encouragé les familles à choisir une conception autochtone mieux adaptée au terrain et à l’environnement local, et moins coûteuse que les matériaux industriels modernes. Le recueil minutieux des données et les consultations avec des partenaires techniques ont donné lieu à des directives en faveur d’un modèle de structure d’une seule pièce enduite d’un mélange de boue et de chaux adapté au contexte local.
Près de 11 750 séances de formation communautaire ont été organisées à l’intention de plus de 500 000 individus et membres de communautés, dont plus de 130 000 femmes. S’appuyant sur ce qui avait été appris au cours du projet pilote, la formation, exclusivement concrète et pratique, était souvent complétée par la construction d’abris de démonstration. Obtenir à cette échelle un niveau de standardisation en matière de qualité de la formation à travers l’ensemble des partenaires d’exécution s’est avéré difficile, mais différents mécanismes de contrôles, à savoir des personnes de référence ou des systèmes directs de suivi et de plaintes au niveau des communautés, ont permis de veiller à la qualité dans la mesure du possible.
Appropriation du projet par la communauté grâce à un soutien en espèces
Contrairement aux modalités habituelles de mise à disposition de matériaux destinés à la construction d’abris, le programme a apporté un soutien direct en espèces qui a permis aux familles de faire des choix concernant la conception, les matériaux utilisés et la nature du processus de construction tout en recevant parallèlement une formation technique. Le versement du soutien en espèces était soumis à la réalisation d’étapes intermédiaires de construction, et différentes tranches étaient payées après vérification de la qualité du travail.
Une évaluation du programme de 2011 – 2012 a montré que, dans leur immense majorité, les personnes interrogées avaient utilisé des sommes attribuées exclusivement à la construction d’abris. Toutefois, et même si les intéressés ont indiqué que les sommes attribuées étaient suffisantes, des éléments anecdotiques indiquent que certains bénéficiaires ont dû dépenser des sommes supplémentaires pour transporter les matériaux ou se procurer des matériaux supplémentaires, principalement des portes et des fenêtres. Néanmoins, cette approche fondée sur la remise d’espèces a permis aux personnes concernées de faire des choix, elle a contribué à renforcer les capacités d’autonomie des communautés et à revitaliser les chaines d’approvisionnement ainsi que les marchés locaux.
L’OIM a utilisé les enseignements positifs issus de projets de microfinancement et a favorisé la création d’un comité focal Abri au niveau du village avec une personne de référence pour chaque groupe de familles bénéficiaires. Cette personne nommée par ceux qui construisaient des abris était quelqu’un en qui ils avaient confiance pour les représenter auprès du partenaire local et de l’OIM. Ce système s’est avéré plus efficace pour tirer parti de la pression de groupe et garantir l’achèvement des constructions dans les délais acceptés par chaque communauté particulière.
Il s’agissait souvent d’un notable local – un chef religieux, un instituteur, un homme ou une femme d’affaires. Cette personne devait savoir lire et écrire et être en mesure d’ouvrir un compte en banque. Elle recevait les paiements en espèces pour le compte du groupe et se chargeait de les distribuer. En confiant à ces chefs locaux nommés par les bénéficiaires la tâche de remettre les fonds et de contrôler les progrès, le programme a considérablement amélioré sa couverture pour inclure davantage de femmes, de personnes âgées, de personnes handicapées et d’autres membres de la communauté qui autrement n’auraient pas pu ou voulu, pour des motifs culturels, faire partie du programme[1].
L’approvisionnement local a représenté une difficulté pour 50 % des participants au projet, principalement à cause de l’inflation du prix des matériaux pendant la période d’urgence, des problèmes de transport et de la qualité médiocre des matériaux. Dans la plupart des cas toutefois, la participation comme médiateurs au plan local des personnes de référence de la communauté ou des employés des ONG, et un approvisionnement en masse au nom des communautés ayant accepté le projet, ont contribué à atténuer ces difficultés.
La saison agricole a également eu une forte influence sur la capacité à construire les abris, dans la mesure où les familles pressées par le manque de ressources financières ne pouvaient se permettre de perdre leur principale source de revenus. Dans de nombreux cas, cela a signifié que les femmes ont pris en charge une grande partie du travail de construction pendant que les hommes travaillaient dans les champs. En dépit de tout cela, les communautés n’ont démontré aucun ressentiment à l’égard de ce modèle d’autorelèvement. Au contraire, de nombreux bénéficiaires ont prouvé à quel point ils s’étaient approprié le projet en consacrant des ressources propres à la personnalisation des constructions.
Conclusion
Afin de consolider la base factuelle du projet et en permettre la réutilisation lors d’autres interventions futures, le Groupe de travail du Pakistan a entrepris une étude pour mieux comprendre la résilience, la durabilité et l’acceptabilité relatives de différents types d’abris. Ce travail permettra au groupe de mettre en évidence des orientations scientifiquement corroborées et de déterminer quelles sont les solutions d’abris à bas coût compatibles avec l’architecture et les techniques de construction autochtones, capables de résister aux inondations et minimiser les impacts sur l’environnement tout en étant les plus rentables, et ce, même s’il n’est pas encore possible de répondre entièrement à la question de la durabilité.
La stratégie du programme ORS a servi à présenter un modèle de construction à bas coût aux communautés de la zone rurale de la province de Sind qui n’étaient pas sensibilisées aux mesures de protection contre les inondations, et le recours au versement en espèces leur a permis d’apprendre en faisant. Son évaluation a montré que le programme avait « de manière générale rempli ses objectifs et [qu’il] avait été unanimement apprécié par les bénéficiaires […] particulièrement par les femmes, à qui il incombe traditionnellement dans le sud de la province de Sind de se charger de la construction des habitations »[2]. Outre les réalisations du programme, il est intéressant de noter à titre d’anecdote que quelques femmes ont réussi par la suite à compléter leurs revenus en utilisant les compétences en maçonnerie qu’elles avaient acquises au cours de cette construction. De plus, les bénéficiaires ont mentionné les multiples éléments de RRC qu’ils avaient appris et appliqués pendant le processus de construction. Par contre, il n’y a que peu d’exemples pour démontrer que des personnes auraient imité les techniques du programme ORS sans en avoir été bénéficiaires. Toutefois, ce processus de construction qui fait de l’occupant le moteur de l’action et optimise la couverture des familles les plus vulnérables semble être un succès et, en 2017, des stratégies similaires continuent d’être appliquées et d’éclairer les programmes de réhabilitation d’abri.
Ammarah Mubarak amubarak@iom.int
Responsable des opérations humanitaires, Mission de l’OIM au Pakistan
Saad Hafeez shafeez@iom.int
Chargé de programme, Mission de l’OIM au Pakistan
OIM, Organisation des Nations Unies pour les migrations www.iom.int
[1] Pereria M M (2016) « Pakistan: involving women in reconstruction », Slide Share www.slideshare.net/ManuelMarquesPereira/iompakistanwomen-in-ors
[2] Shelter Centre for IOM Mission in Pakistan (2014) Evaluation of One Room Shelter Programme for the 2011 flood response in South Sindh, Pakistan, IOM Country Documents www.iom.int/sites/default/files/country/docs/pakistan/IOM-Pakistan-Evaluation-of-One-Room-Shelter-Program-for-2011-Flood-Response.pdf