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Liberia : Politique locale, édification de l’État et réintégration des populations

Les litiges fonciers qui opposent des groupes de population retournant dans leur pays après-guerre menacent les efforts de paix dans de nombreux contextes post-conflit encore fragiles. Au cours des 15 années de guerre civile au Liberia, près d’un million de personnes ont fui en tant que PDI ou réfugiés après avoir abandonné leur logement et leurs terres. Beaucoup d’entre elles ont trouvé ces propriétés occupées alors qu’elles rentraient chez elles au cours de la phase de reconstruction post-conflit, avec pour résultat des tensions croissantes, de nombreux litiges fonciers et un risque latent d’éruptions de violence.

La guerre civile a dévasté le Liberia entre 1989 et 1996 puis de nouveau entre 1999 et 2003. Depuis 2003, la communauté internationale porte ses efforts sur le Liberia pour y renforcer les capacités de l’État et y réintégrer les populations touchées par la guerre. Les réfugiés, PDI et anciens combattants, tous perçus comme des groupes déconnectés de leur communauté d’origine et donc nécessitant une assistance, rencontrent de semblables difficultés. Les interventions qui visent à promouvoir durablement leur réintégration présentent également une ressemblance frappante. Toutefois, sur le terrain, dans le contexte de la reconstruction de l’État, la réintégration des anciens combattants et la réintégration des migrants forcés pourraient s’appuyer sur des intérêts divergents et même aboutir à des résultats antagonistes. Il est donc crucial de comprendre la situation politique post-conflit pour garantir le succès des efforts de réintégration des uns comme des autres.

La ville de Ganta, dans le nord du pays, est un centre commercial et de transit important qui attire les commerçants et les négociants, mais la guerre y a modifié les modalités d’accès et de contrôle des terres si bien que des litiges ont commencé à apparaître entre différents groupes, notamment entre les anciens combattants et les réfugiés de retour. Ces litiges sont exacerbés par le fait que ces deux groupes appartiennent à des ethnies différentes, n’ont pas la même religion et soutenaient des factions rivales au cours de la guerre.

Au début du processus de désarmement, une majorité d’anciens combattants a choisi de s’installer de manière permanente à Ganta car ils s’y sentaient plus en sécurité et que le ville semblaient leur offrir de meilleures possibilités de subsistance, mais aussi en raison de l’infrastructure sociale existante. Ils ont utilisé le premier versement de l’indemnité transitionnelle de sécurité sociale (Transitional Safety Net Allowance), versée aux anciens combattants dans le cadre des programmes de Désarmement, Démobilisation et Réintégration pour assurer leur indépendance financière dans la période précédant la réintégration, pour atténuer leur dépendance envers leurs anciens commandants et démarrer des petites entreprises informelles. Il leur semblait avantageux d’acquérir les propriétés des quartiers centraux de la ville car elles sont proches des marchés et que les rues principales sont considérées comme cruciales pour le succès des entreprises informelles.

En 2004, dans le cadre des programmes de rapatriement et de réintégration de nombreux PDI et réfugiés, des milliers de personnes sont rentrées des camps situés au Liberia ou en Guinée voisine pour regagner la propriété qu’elles avaient abandonnée à Ganta. L’UNHCR a entrepris des projets exhaustifs de réintégration communautaire dans l’ensemble des régions de retour des PDI au Liberia, qui étaient aussi pour la plupart des régions de retour des réfugiés. Il existe donc un haut degré de cohésion entre les processus de réintégration des PDI et des réfugiés.

Politique locale et absence d’État

À la fin de la guerre, en 2003, les aînés locaux de Ganta et les commandants de certaines milices ont nommé un maire et rétabli le conseil municipal, donnant ainsi aux autorités civiles municipales une structure politique. Plusieurs commandants sont alors devenus des dirigeants locaux de facto en s’arrogeant le contrôle des pouvoirs publics locaux, tout en continuant de protéger les anciens combattants qui restaient sous leur tutelle, tandis que la communauté internationale entamait le processus d’édification d’institutions nationales fonctionnelles, principalement à Monrovia, la capitale.

La réintégration réussie des combattants est une condition préalable à l’établissement d’un niveau de sécurité permettant la réintégration sans heurt des réfugiés et la stabilisation des pays post-conflit et des États fragiles. Toutefois, dans ce cas, les subventions internationales en faveur des anciens combattants ont facilité l’apparition de communautés de squatteurs sur des terres urbaines de grande valeur et posé les fondations de litiges fonciers persistants entre les rapatriés et les anciens combattants ou leurs appuis politiques. Il existe donc des liens étroits (mais antagonistes) entre, d’un côté, la réintégration des réfugiés et, d’un autre côté, la démobilisation et la réintégration des combattants

Dans plusieurs régions du Liberia, le rôle et les fonctions des autorités locales et nationales se recoupent, notamment en matière de location de terrains publics ou d’octroi de droits aux squatteurs. Il est généralement admis que l’administration municipale peut octroyer de tels droits sur les terres qui appartiennent à l’État. Toutefois, à Ganta, après 2003, le maire et le conseil municipal ont accordé ces droits aux personnes installées sur des terres privées. Entre 2003 et 2006, les autorités centrales libériennes étaient virtuellement absentes de la municipalité et ne sont intervenues que sporadiquement dans les affaires locales. Ce n’est qu’en 2008, sur ordre direct du ministère de l’Intérieur, que le maire a dû suspendre et révoquer tous les droits accordés aux squatteurs – du moins sur le papier. En effet, malgré la révocation de leurs droits, les anciens combattant squattaient toujours des terrains du centre de Ganta en 2010.

Dans le processus de reconstruction d’une nation après la guerre, les litiges fonciers comptent parmi les plus grands obstacles au rétablissement de la paix et de la sécurité à l’échelle du pays. En 2006, le président libérien a établi une Commission des terres chargée principalement d’enquêter sur les divers litiges fonciers qui étaient la source de tensions ethniques continues. Cette commission a organisé des consultations et des audiences publiques tout autour du pays dans l’intention de donner à toutes les parties l’occasion d’exprimer leurs griefs et leurs préoccupations. En raison de son poids économique, Ganta constituait l’une des zones les plus disputées.

Puisque la plupart des litiges concernaient sa rue principale, la commission y a recommandé la construction de nouvelles rues afin d’attirer des entreprises à la fois plus nombreuses et plus diversifiées. Cette mesure n’a toutefois pas permis de résoudre la situation, pas plus que la commission de suivi établie fin 2008. Ainsi, de nombreux litiges fonciers restent à ce jour irrésolus.

Dans le Liberia de l’après-guerre, les litiges et les luttes sociales relatifs aux terres ne sont pas seulement une question foncière mais aussi, sur un plan plus général, une question d’autorité et de légitimité. Les rapatriés revendiquent ces terres et ces propriétés car ils en étaient les détenteurs avant la guerre et qu’ils font valoir leur droit à revenir à une situation identique à celle de l’avant-guerre. Les anciens combattants, eux, basent leurs revendications sur leur présence physique et leur occupation de facto de ces terres, sur des menaces de violence et sur un droit moral à posséder ces terres en tant que «récompense» pour leur héroïsme et pour les avoir défendues pendant la guerre. À l’heure actuelle, le retour des réfugiés et des PDI et la réintégration des combattants semblent être deux processus mutuellement exclusifs. Il en résulte une réorganisation profonde des relations sociales, politiques et économiques des populations locales et un retardement du processus de réconciliation véritable. À ce jour, la communauté internationale a cherché à stabiliser l’État libérien sur le plan central, à Monrovia, et ne s’est que timidement attaqué aux questions de l’accès aux terres et de l’exercice local du pouvoir politique.

Conseils pour les organismes externes

Les conclusions ci-dessus suggèrent que la communauté internationale devrait :

  • prendre note des contextes politiques et économiques locaux lorsqu’elle intervient pour porter assistance aux PDI et réfugiés dans un État fragile;
  • traduire et adapter les normes internationales, telles que celles prescrites pour la réintégration des anciens combattants et des migrants forcés, aux contextes particuliers de l’organisation politique locale émergente dans les États fragiles afin de garantir des résultats sur le terrain; et
  • baser les programmes de réintégration, qu’ils soient destinés aux anciens combattants ou aux migrants forcés, sur des recherches factuelles concernant la situation économique et politique d’après-guerre dans les États fragiles.

 

Jairo Munive jari@diis.dk est chercheur postdoctoral pour l’unité Paix, risque et violence de l’Institut danois d’études internationales www.diis.dk/sw18950.asp

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