Le lien entre les changements climatiques et l’augmentation de la mobilité humaine est largement reconnu, tout comme le sont les lacunes en matière de protection juridique auxquelles les personnes qui se déplacent dans le contexte de ces changements sont confrontées. Les cadres de protection actuels ont tendance à cibler une catégorie spécifique de personnes, à ne s’appliquer qu’une fois que ces personnes se sont déplacées ou ont franchi les frontières nationales, et à se concentrer sur des situations de migrations ou de déplacements forcés. Ils ne s’appliquent pas aisément, par exemple, aux déplacements liés à des événements à évolution lente ou à la dégradation de l’environnement. Il existe toutefois une autre source d’outils juridiques permettant de combler ces lacunes : le régime des changements climatiques, qui comprend la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Accord de Paris et la Conférence des parties.
La CCNUCC et l’Accord de Paris ont été largement ratifiés et contiennent un ensemble d’obligations en matière d’adaptation – ce que nous appellerons ici obligations d’adaptation. Ces obligations offrent à leur tour une base pour remédier aux lacunes en matière de protection, car elles peuvent contribuer à orienter et à façonner les efforts d’adaptation des États (notamment en matière de mobilité), à habiliter les personnes les plus vulnérables à prendre part et à contribuer à la conception de ces efforts et à obtenir un soutien international. Toutefois, les obligations d’adaptation doivent être clarifiées et concrétisées. Il est possible d’y parvenir par le biais d’une interprétation intégrant le droit relatif aux droits humains.
Obligations d’adaptation
Le régime des changements climatiques fait état de trois types d’obligations liées à l’adaptation : les obligations d’agir sur l’adaptation par la planification et la mise en œuvre, l’aide financière et technologique à l’adaptation et la coopération[1]. Ces obligations d’adaptation sont générales et ambiguës, en partie à dessein, car leur champ d’application permet une large gamme d’activités et laisse également place à l’interprétation. Pourtant, même si les États peuvent déterminer les activités qu’ils jugent appropriées, ils doivent néanmoins prendre des mesures pour satisfaire à ces obligations. Dans le cadre de ce régime, une grande partie du travail sur l’adaptation a porté sur la planification, notamment par le biais des Programmes d’action nationaux d’adaptation (PANA) et des Plans nationaux d’adaptation (PNA), mais il est de plus en plus urgent de passer à la phase de mise en œuvre.
La règle sur l’interprétation des traités fournit un moyen de clarifier les obligations d’adaptation. En vertu du droit international, un traité doit être interprété conformément au sens ordinaire de ses termes dans le contexte qui s’applique (le contexte du traité étant son préambule, son texte et toutes ses annexes) et à la lumière de son objet et de sa vocation. En outre, l’interprétation doit tenir compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties[2] », une règle également connue sous le nom de « principe d’intégration systémique ». Ensemble, ces éléments forment la base de l’interprétation des obligations d’adaptation à la lumière du droit relatif aux droits humains[3].
Le préambule de l’Accord de Paris, par exemple, reconnaît que « lorsqu’elles prennent des mesures face aux changements climatiques, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme », y compris les droits des migrants. Cette formulation ne crée en soi aucune obligation juridique. Cependant, elle fait partie du contexte et peut donc contribuer à ajouter du sens aux termes de l’Accord à des fins d’interprétation. L’interprétation nécessite également la prise en compte d’autres éléments de la règle. L’évolution des objectifs des traités climatiques et le texte de l’article 7 de l’Accord de Paris – son article portant sur l’adaptation – insistent sur la nécessité d’inclure les droits humains. L’Accord vise, par exemple, à améliorer la mise en œuvre de la CCNUCC, en partie en « renforçant les capacités d’adaptation » aux changements climatiques. L’article 7 précise les raisons d’être de l’adaptation, notamment en tant qu’élément clé de toute réponse visant à « protéger les populations, les moyens d’existence et les écosystèmes ». L’adaptation est ainsi alignée sur les objectifs de protection du droit relatif aux droits humains, ce qui établit son importance et sa pertinence générales.
C’est cette pertinence du droit relatif aux droits humains qui nécessite une intégration systémique dans l’interprétation des obligations en matière d’adaptation. Les impacts climatiques affectent la jouissance d’une multitude de droits, dans l’immédiat et à plus long terme. Pourtant, ces impacts se produisent dans un contexte qui inclut les risques géographiques, les conditions socio-économiques, culturelles et politiques, ainsi que les vulnérabilités et les préférences communautaires et individuelles. Ainsi, les droits les plus pertinents à l’interprétation varient, et la mise en œuvre des obligations d’adaptation peut et doit être adaptée au lieu et au moment.
Enfin, les principes opérationnels du régime des changement climatiques guident également l’interprétation et la mise en œuvre des obligations. Ces principes sont énoncés à l’article 3 de la CCNUCC et comprennent le principe de précaution, qui appelle à une action préventive pour éviter des dommages graves ou irréversibles et n’autorise pas l’incertitude comme raison valable pour justifier l’inaction. Lorsqu’il est lu parallèlement à l’intégration des droits humains, cet article renforce la nécessité d’agir pour éviter ou atténuer les dommages prévisibles causés par les changements climatiques. Une telle interprétation des obligations d’adaptation constitue la base juridique de la mobilité adaptative : une approche proactive de la mobilité qui peut contribuer à prévenir ou à atténuer les déplacements, à remédier aux conditions sous-jacentes qui contribuent à la vulnérabilité et à faire en sorte que les personnes ne se déplacent pas vers des zones plus fragiles.
Mobilité adaptative
Lorsque les devoirs positifs correspondants aux droits humains pertinents sont intégrés dans une interprétation des obligations d’adaptation, ils peuvent contribuer à définir ce que les plans et politiques d’adaptation doivent prendre en considération et inclure. Ce processus d’interprétation peut conduire à une obligation pour les États de prendre des mesures pour anticiper et faire face de manière positive aux problèmes afin de garantir la jouissance des droits. Dans certaines circonstances, une telle action comprendra des mesures visant à faciliter la migration ou la réinstallation comme une forme d’adaptation. Lorsque les impacts climatiques, par exemple, mettent en danger l’accès à l’eau potable ou à la nourriture, le devoir positif de garantir l’accès à un niveau minimum et essentiel du droit à l’eau ou à la nourriture devient pertinent. Par conséquent, une interprétation intégrant les droits exige que des États qu’ils prennent des mesures d’adaptation pour garantir l’accès aux ressources élémentaires. Il peut s’agir de mesures permettant aux personnes de rester sur place aussi longtemps que possible, en modifiant les infrastructures et les politiques, et en mettant des ressources à disposition. Lorsque ces mesures deviennent insuffisantes et que les ressources et les droits ne sont plus accessibles, les personnes doivent alors se déplacer. La manière dont cette mobilité est entreprise est déterminante pour l’expérience qu’en auront les personnes concernées.
La mobilité adaptative nécessite une planification et des actions pour faire face aux risques prévisibles. Elle est ancrée dans les droits humains et est axée sur les personnes. Elle renforce les arguments selon lesquels des mesures doivent être prises de manière préventive pour garantir l’accès aux ressources et droits essentiels. De même, l’intégration des devoirs qui découlent des droits procéduraux – c’est-à-dire l’accès à l’information et la participation – peut se traduire par des obligations d’adaptation visant à fournir aux personnes concernées des informations et la possibilité de participer de manière significative à la prise de décision. Ceci est particulièrement important dans le cadre de toute réinstallation planifiée et a plus de probabilité d’aboutir à des résultats positifs lorsque la participation des personnes affectées est garantie.
Un soutien et un financement adéquats sont nécessaires pour mettre en œuvre la mobilité adaptative. Dans le cadre du régime des changements climatiques, le principe des « responsabilités communes, mais différenciées, et des capacités respectives [impose aux] pays développés Parties [de ] montrer la voie » de l’action climatique. Et si la différenciation des obligations des Parties a évolué dans l’accord de Paris (par exemple, avec la création de contributions déterminées au niveau national et l’attente que toutes les parties fixent des objectifs de réduction de leurs émissions), en ce qui concerne l’adaptation, l’obligation reste largement inchangée. Les pays développés sont tenus d’aider les pays en développement qui sont signataires dans leurs efforts d’adaptation. Comme le précise l’article 7 de l’Accord de Paris, le soutien doit être « renforcé [et] continu », et inclure au minimum la mise à disposition de ressources financières.
Exemples
Une mise en œuvre réussie des obligations d’adaptation – de telle sorte que l’intégration des devoirs en matière de droits humains ait été précisée – nécessitera du temps et une préparation adéquate afin de garantir un accès permanent aux droits, la participation des personnes affectées avant, pendant et après le mouvement, le suivi des processus et des mesures d’adaptation, un financement, ainsi qu’un soutien et un accès aux ressources suffisants. À continuation figurent, à titre illustratif, quelques exemples, ainsi que des suggestions d’autres moyens permettant d’avancer dans cette voie.
Politiques visant à prévenir, réduire ou minimiser les dommages causés par les déplacements liés au climat : Le Bangladesh, par exemple, a développé une stratégie nationale pour gérer les catastrophes et les déplacements induits par le climat. Il considère les droits humains comme essentiels à cette gestion et propose des actions visant à réduire la vulnérabilité des personnes, notamment à travers la sécurité des droits de propriété, l’amélioration des infrastructures et des conditions de vie urbaines et, si nécessaire, la réinstallation des personnes déplacées dans des lieux plus sûrs[4].
Lignes directrices pour la mise en œuvre d’une stratégie de réinstallation planifiée fondée sur les droits : Les Fidji, par exemple, ont élaboré des lignes directrices en matière de réinstallation planifiée qui décrivent une approche « d’anticipation active » à toutes les étapes du processus de réinstallation et sont explicitement liées à l’Accord de Paris et aux instruments des droits humains[5].
Coordination de la mobilité transfrontalière : Une telle coordination pourrait se matérialiser par une admission dans un autre État, une extension des conditions d’obtention de visas, des programmes de migration de main-d’œuvre ou des accords de libre circulation. Ces types de visas, programmes et accords existent. Ils pourraient offrir un accès à des territoires internationaux et y permettre l’entrée, le séjour et le travai,l ainsi qu’un statut permanent ou régularisé. Ils nécessiteraient, cependant, d’être modifiés de manière à garantir la protection des droits et la réduction des obstacles bureaucratiques.
Intégrer les droits et la mobilité à la planification de l’adaptation : Les PAN et autres plans d’adaptation constituent une première étape pour faciliter la mobilité adaptative et l’accès aux financements et à l’assistance. Ils permettent aux États d’intégrer l’adaptation à la planification nationale et de considérer la mobilité comme une stratégie d’adaptation.
Soutien à la mobilité adaptative et aux migrants : Un large éventail de mesures pourrait apporter ce type de soutien, notamment en facilitant les transferts de fonds, en aidant à obtenir des terres et en mettant à disposition un soutien financier, technique ou technologique.
Conclusion
Une approche anticipative fondée sur les obligations juridiques existantes constitue un moyen indispensable pour combler les lacunes qui existent dans les cadres de protection actuels. Une telle approche fait valoir que les droits doivent être ancrés dans les mesures et le soutien fourni par les États en matière d’adaptation. C’est en intégrant les différents articles des droits humains pertinents ainsi que leurs devoirs positifs dans une interprétation des obligations en matière d’adaptation que cela peut être accompli. Dans certaines circonstances, cela exigera des États qu’ils facilitent cette mobilité adaptative. En outre, étant donné que ces obligations peuvent imposer d’agir avant que les personnes ne soient forcées de partir, elles offrent un moyen de prévenir les déplacements et les migrations précaires, et donc une meilleure garantie que les personnes les plus vulnérables puissent vivre en sécurité et dans la dignité.
Lauren Nishimura lauren.nishi@gmail.com
Lauréate d’une bourse postdoctorale McKenzie, Faculté de droit de Melbourne, Université de Melbourne
[1] Voir, par exemple, les articles 4(1)(b), 4(1)(e) ; 4(3), 4(4), 4(5) de la CCNUCC ; les articles 7.9 ; 7.13, 9.1, 9.3 de l’Accord de Paris.
[2] Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), 1155 UNTS 331, article 31.
[3] Le protocole d’interprétation des obligations d’adaptation est décrit plus en détail dans Nishimura L (à paraître en 2022) « Adaptation and Anticipatory Action: Integrating Human Rights Duties into the Climate Change Regime », Climate Law, vol. 12, 1-29.
[4] National Strategy on the Management of Disaster and Climate Induced Internal Displacement (NSMDCIID) www.preventionweb.net/files/46732_nsmdciidfinalversion21sept2015withc.pdf
[5] Voir l’article de Liam Moore dans ce numéro.