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Suivi des perceptions communautaires au Venezuela pendant la COVID-19

En juin 2020, Oxfam a lancé un projet dirigé par des partenaires locaux afin de motiver l’implication des communautés dans la prévention de la propagation de la COVID-19. Dans un contexte où la disponibilité des données officielles était limitée, un Outil de suivi des perceptions communautaires (Community Perception Tracker – CPT) a été utilisé pour enregistrer les idées et les préoccupations des communautés au sujet du virus dans le but de leur permettre d’exprimer leurs opinions et de les aider à développer leurs propres plans d’action pour réduire la transmission de la maladie[1]. 

Lors de la première épidémie de choléra en Haïti en 2010, et lors de la réponse à Ebola en Afrique de l’Ouest en 2013-14, Oxfam a tiré des enseignements précieux sur l’engagement auprès des communautés lors d’épidémies. L’importance de la collecte de données qualitatives a été reconnue comme étant essentielle pour placer les personnes touchées par la crise au centre de la réponse[2], et en 2018, Oxfam a développé son outil de suivi des perceptions communautaires (CPT). Il a alors a été piloté en République démocratique du Congo pendant l’épidémie d’Ebola de 2018-19. En 2020, Oxfam a adapté le CPT à la COVID-19 et l’a mis en œuvre dans 13 pays, notamment au Venezuela où la pandémie avait exacerbé une crise préexistante dans laquelle environ sept millions de personnes avaient déjà besoin d’aide humanitaire.

Comment fonctionne le CPT ?

Un formulaire chargé sur un dispositif mobile (qu’il s’agisse d’un téléphone, d’un ordinateur portable ou d’une tablette) à l’aide du logiciel Survey CTO est utilisé pour enregistrer les perceptions des personnes – leurs questions, préoccupations, croyances et pratiques en rapport avec la propagation de la maladie. Les répondants sont interrogés sur leur situation géographique, leur âge et leur sexe, pour savoir s’ils sont en situation de handicap et s’ils (ou un membre de leur famille) ont eu la COVID-19. Il leur est également demandé où et par qui ils ont obtenu les informations qui ont influencé leurs perceptions. Ces questions sont répétées régulièrement – tous les jours ou toutes les semaines – en raison de la nature dynamique du déclenchement de l’épidémie et des interventions. Les équipes et les partenaires d’Oxfam saisissent les données sur les perceptions des individus et des groupes qu’ils rencontrent (en personne ou à distance) au cours de leurs activités quotidiennes. Selon la sensibilité du contexte, les informations peuvent être enregistrées directement dans le formulaire sur le dispositif mobile, ou sur papier, puis transférées sur un ordinateur ultérieurement.

Les perceptions sont regroupées en fonction de douze catégories prédéterminées (entre autres, l’existence de la maladie, le traitement, la vaccination et la stigmatisation) afin de faciliter l’analyse et identifier les tendances. L’analyse des données qualitatives est ensuite triangulée avec les données épidémiologiques. Des rapports hebdomadaires résument l’analyse des données et les interventions recommandées, et un retour d’information rapide peut alors être fourni aux communautés et aux autorités. À mesure que les priorités et les perceptions des personnes changent, le personnel est en mesure de suivre et d’adapter les réponses. Lorsque des informations complémentaires plus approfondies sont nécessaires, d’autres méthodes de collecte de données, telles que des discussions de groupe et des entretiens semi-structurés, sont utilisées. Le CPT est particulièrement utile dans la mesure où il permet de faire entendre la voix des communautés – grâce aux informations factuelles recueillies – au niveau des plateformes de coordination et de plaidoyer

Constatations tirées du Venezuela

De juin à décembre 2020, Oxfam a analysé les perceptions de la population dans 16 communautés à travers trois États, ce qui a fourni des informations précieuses sur la situation des personnes en déplacement. Les communautés locales ont fait part de leurs inquiétudes quant aux risques de contagion dans les abris temporaires accueillant les migrants de retour. En outre, les personnes ont parlé de leur crainte d’être contaminées par les rapatriés et ont exprimé des convictions et des attitudes discriminatoires à leur égard. L’absence de mesures de prévention de la COVID-19 aux points non officiels de passage à la frontière a accru les inquiétudes des communautés locales et les a conduites, dans certains cas, à imposer aux migrants de retour des restrictions d’accès à leurs communautés.

« Dans la zone frontalière, cela nous affecte directement car les rapatriés empruntent quotidiennement les routes illégales et cela signifie que le virus risque d’être plus répandu à cause du nombre important de personnes qui passent par-là ».

(Résident de sexe masculin, municipalité de Pedro María Ureña)

Grâce à une meilleure compréhension des perceptions de la population, les partenaires locaux d’Oxfam ont encouragé le dialogue autour de l’inclusion afin de limiter la discrimination ; en outre, des informations sur la façon de rester en sécurité et de prévenir la propagation du virus tout en accueillant les migrants de retour ont été incorporées aux plans d’action communautaires. Les membres de la communauté ont diffusé des messages de promotion de l’inclusion sur les réseaux sociaux et hors ligne.

L’une des caractéristiques importantes du CPT au Venezuela a été sa capacité à fournir des informations systématiques là où l’on constatait depuis longtemps un manque de données épidémiologiques officielles. Sa capacité à mettre en évidence les tendances s’est avérée essentielle pour concevoir et adapter la réponse humanitaire d’Oxfam. Entre juin et décembre 2020, les préoccupations les plus couramment citées concernant la COVID-19 avaient trait à la perception du risque de contagion représenté par les migrants de retour au pays, aux questions relatives à la prévention, aux doutes sur l’efficacité de l’utilisation des masques, à la mauvaise acceptation de l’importance de la distanciation physique, aux inquiétudes relatives aux activités génératrices de revenus et à l’accès à la nourriture, aux préoccupations relatives à l’éducation des enfants et finalement, aux conséquences psychologiques de la pandémie. Au cours des premiers mois de collecte de données, certaines personnes ont même nié l’existence de la COVID-19. Six mois plus tard, les gens étaient convaincus de son existence. En décembre, la principale préoccupation exprimée concernait les moyens de prévenir la COVID-19.

Dans l’état de Zulia, les données reflétaient un excès d’informations partagées avec les communautés qui se traduisait par une mauvaise compréhension de la transmission et du traitement de la COVID-19. Par conséquent, lors du lancement de toutes leurs activités, Oxfam et ses partenaires ont organisé des séances de questions-réponses dirigées par le personnel médical. Par exemple, un garçon a déclaré : « J’aurais peur d’aller à l’hôpital si je ressentais le moindre symptôme ». Étant donné que cette crainte était largement partagée, par la suite, davantage d’informations sur l’auto-isolement et le confinement ont été diffusées afin que les personnes puissent elles-mêmes se protéger, même si elles ne se rendaient pas dans les établissements de santé.

L’analyse des données recueillies dans le cadre du processus de CPT a été transmise aux communautés qui ont été encouragées à en utiliser les résultats pour développer des plans d’action communautaires dans le but de renforcer leur propre capacité à prévenir la transmission de la COVID-19. Parmi les exemples de plans d’action communautaires figurent des plans de diffusion d’informations, des séminaires en face à face et virtuels, des formations destinées aux promoteurs communautaires, la remise de brochures contenant des informations sur les mesures préventives pour atténuer les risques de contagion, la distribution de kits d’hygiène et le recours aux arts de la rue pour transmettre des messages de prévention.

Défis et succès

Compte tenu des restrictions de mobilité, toutes les réunions de formation, d’analyse et de suivi du CPT ont été menées à distance. Cela s’est avéré difficile en raison des coupures de courant constantes, de la mauvaise connectivité Internet et des réseaux de téléphonie mobile défaillants, mais grâce à leur motivation, leur créativité et leur capacité d’adaptation, les partenaires locaux ont réussi à établir des relations avec les communautés.

Depuis 2015, le ministère de la Santé du Venezuela a cessé de publier son bulletin épidémiologique. L’absence de diffusion régulière de données officielles a conduit les organisations locales à s’interroger sur la fiabilité des données effectivement disponibles. Bien que le CPT ne puisse pas se substituer aux données épidémiologiques officielles, il fournit des données régulières, pertinentes, utiles et fiables générées à partir des perspectives communautaires.

Le CPT n’est pas en mesure de cerner pleinement les préoccupations des personnes en déplacement car son utilisation nécessite des contacts répétés avec les mêmes membres de la communauté. Les migrants et les personnes qui se déplacent fréquemment ne restent pas assez longtemps pour faire périodiquement part de leurs perceptions via le CPT ou pour établir une relation de confiance avec le personnel qui souhaite enregistrer leurs perceptions. Il est également plus difficile de communiquer les résultats du CPT avec les migrants. Néanmoins, les communautés qui ont participé au CPT sont fortement touchées par la migration et la mobilité. Beaucoup de leurs membres ont été déplacés par le passé ou ont des parents proches vivant ailleurs, et leurs opinions sont influencées par les tendances de mobilité au sein de leurs communautés.

L’outil comporte également une autre limitation, qui a également été constatée dans d’autres pays où le CPT a été utilisé, à savoir que celui utilisé pour la COVID-19 ne permet pas nécessairement de saisir d’autres préoccupations telles que celles concernant les catastrophes naturelles ou d’autres maladies. Oxfam étudie la manière dont un CPT couvrant un plus large éventail de questions pourrait être développé et mis en œuvre.

Dans l’évaluation menée à Zulia parmi les communautés disposant de plans d’action communautaires, les gens ont indiqué qu’ils avaient le sentiment d’être pleinement investis dans les plans d’action et ils ont décrit des changements dans leurs convictions et attitudes concernant la prévention de la COVID-19. En prenant le pouls des communautés et en facilitant leur engagement actif, le CPT a contribué à la création d’un environnement propice à l’auto-protection, malgré les défis auxquels les personnes se trouvent confrontées. Au cours de ces plusieurs mois d’utilisation, les organisations locales ont développé leurs compétences en matière d’écoute et d’analyse, et le CPT est devenu partie intégrante de leur façon de travailler. Au Venezuela, le CPT a également contribué à fournir des données et des analyses précieuses pour permettre aux communautés de concevoir et de mettre en place leurs propres plans d’action afin de prévenir la propagation du virus, ce qui était l’objectif de l’équipe d’Oxfam.

L’utilisation combinée de méthodes et d’outils participatifs pour comprendre les communautés affectées dans le cadre de réponses humanitaires n’est pas une nouveauté, mais elle concerne le plus souvent un secteur d’intervention spécifique (comme la promotion de la santé, la protection ou les moyens de subsistance) et n’est pas toujours bien documentée. La nouveauté du CPT est qu’il procure un outil unique pour toutes les équipes et tous les partenaires, une approche plus globale de l’écoute des communautés ainsi que des moyens rapides et systématiques de collecte des données et d’élaboration de rapport. Au cours du processus, tous les secteurs – mais aussi les responsables et les équipes chargées du suivi, de l’évaluation, de la redevabilité et de l’apprentissage – travaillent ensemble pour aller au cœur des préoccupations des communautés lors de la survenue d’épidémies. Le CPT a démontré l’importance de la valeur ajoutée qu’il peut apporter pour améliorer l’engagement communautaire dans les interventions en réponse aux épidémies, même si l’intégralité de son potentiel n’a pas encore été exploitée.

 

Raissa Azzalini raissa.azzalini@oxfam.org

Conseillère en santé publique/Coordinatrice CPT, équipe humanitaire mondiale, OXFAM en association avec l’équipe d’Oxfam au Venezuela[3].

 

[1] www.oxfamwash.org/communities/community-perception-tracker

[2]  Voir : UNICEF (2020) Minimum Quality Standards and Indicators for Community Engagement, pp18-19.
https://resourcecentre.savethechildren.net/node/17647/pdf/19218_minimumquality-report_v07_rc_002.pdf.pdf

[3] Pour des raisons de sécurité, les personnes ne sont pas identifiées.

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