Les populations déplacées de force sont exposées de manière répétée aux risques et menaces de santé publique lorsqu’elles abandonnent leurs réseaux sociaux, leurs moyens de subsistance, leurs prestataires de services et leurs infrastructures. Les personnes déplacées voient souvent leur état de santé se dégrader au cours de leur périple car elles souffrent d’un manque d’alimentation adéquate tant en quantité qu’en qualité nutritive, d’eau potable et de services d’assainissement, et qu’elles n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour maintenir une hygiène de base.
Il peut exister des facteurs de risque de santé publique propres à une population déplacée, ce qui rend les migrants forcés particulièrement vulnérables par rapport à la population d’accueil. Ces facteurs de risque supplémentaires sont liés à un manque d’accès aux dossiers médicaux, à des antécédents de vaccination inconnus et à une méconnaissance des systèmes de santé, ainsi qu’à un accès limité aux services de soins. Ces risques de santé publique sont exacerbés par d’autres difficultés auxquelles sont confrontées les personnes déplacées, notamment l’absence de droit au travail, la restriction de leur liberté de mouvement, l’absence de documents et l’accès limité aux services financiers, au logement, à la terre et aux droits de propriété.
Tous ces facteurs de risque créent des vulnérabilités qui se traduisent souvent par une morbidité et une mortalité accrues, conséquences de maladies infectieuses (par exemple, les infections respiratoires, les maladies diarrhéiques, la typhoïde, la rougeole et l’hépatite) et des maladies à transmission vectorielle (comme le paludisme, la dengue, la maladie à virus Zika et la leishmaniose[1]). Le manque d’accès à des services sécurisés d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH) est responsable d’environ 829 000 décès par an dans le monde, dont 297 000 chez les enfants de moins de cinq ans[2], qui auraient pu être évités. L’eau non potable, la disponibilité insuffisante d’eau pour l’hygiène et le manque d’accès à l’assainissement contribuent ensemble à environ 88 % des décès dus aux maladies diarrhéiques[3], la diarrhée étant la deuxième cause de décès et une cause majeure de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans[4].
La nature prolongée de nombreuses situations de déplacement exige un changement dans la façon dont la santé publique d’urgence traditionnelle est fournie, et s’accompagne de la nécessité de donner la priorité aux solutions durables, y compris celles qui renforcent les systèmes locaux et nationaux. Ces solutions requièrent une synergie de divers éléments – tels que la fourniture de services WASH – qui contribuent à l’obtention de résultats durables en matière de santé.
Défis pour le secteur WASH
Au cours des dix dernières années, et en ce qui concerne les situations d’urgence liées au déplacement, les réponses de la communauté humanitaire en matière de santé publique se sont heurtées à des difficultés pour fournir des secours vitaux tout en s’attaquant aux causes sous-jacentes des maladies infectieuses. Le secteur WASH n’a souvent pas réussi à assumer un rôle critique et proactif dans sa contribution à l’amélioration des résultats sanitaires se limitant souvent à assumer un rôle réactif de coordinateur de fourniture de services.
Les raisons de ces résultats décevants sont nombreuses, notamment : la complexité et la durée croissantes des situations de déplacement ; des lacunes considérables au niveau de la coordination entre les différents secteurs d’assistance ; un financement insuffisant de la réponse de santé publique, et ; une pléthore d’agences humanitaires répondant aux crises, ce qui entraîne une mise en concurrence importante pour le financement. Ces agences ont un éventail de mandats, qui se chevauchent parfois et peuvent représenter des défis considérables en termes de coordination et collaboration. En outre, il arrive que les domaines d’expertise collectifs de ces organisations ne correspondent pas aux besoins sur le terrain. Enfin, ces facteurs sont aggravés par l’absence de cadres clairs favorisant la collaboration, ce qui peut saper les efforts considérables entrepris par les acteurs individuels.
La dégradation de l’environnement et le changement climatique sont des défis majeurs à relever pour limiter la propagation des maladies infectieuses. Le secteur WASH doit développer une compréhension approfondie de la relation entre santé publique et environnement – y compris des aspects tels que la gestion des ressources en eau et la sécurité de l’eau, le contrôle de la pollution de l’air et du sol, le contrôle des vecteurs, le traitement et l’élimination des armes chimiques, la gestion des déchets dangereux, et le traitement et la gestion des déchets humains.
Le déficit en termes de financement constitue un autre défi majeur. Au cours de la dernière décennie, le secteur WASH a souffert d’un sous-financement chronique, accusant un retard considérable par rapport aux autres secteurs[5]. Le Yémen, par exemple, est confronté à l’une des urgences humanitaires les plus complexes des temps modernes, avec des épidémies simultanées de choléra et de COVID-19 qui nécessitent des services WASH comme élément déterminant de la réponse. Malgré ce besoin évident, les ressources consacrées au WASH au Yémen diminuent de façon spectaculaire : en 2020, le financement des services WASH ne représentait que 1,2 % du financement global alloué à la gestion de la crise. Le lien entre les investissements dans les services WASH de base et les impacts sur les résultats en matière d’environnement et de santé publique a été clairement démontré, et pourtant le WASH reste sous-financé.
Outre le manque de financement, les organisations humanitaires sont confrontées à la complexité croissante des situations d’urgence qui entrave leur capacité d’action. Par exemple, entre 2017 et 2020, plus de cinq millions de personnes ont été déplacées de force en République démocratique du Congo dans un contexte d’instabilité et de menace de conflit armé doublé de nombreux risques de santé publique, notamment des épidémies de fièvre jaune, de rougeole, de peste, de choléra, d’Ebola et, plus récemment, de COVID-19. Ces dangers s’ajoutent aux fardeaux préexistants auxquels la population est confrontée, tels des taux élevés de malnutrition aiguë et une forte morbidité due au paludisme. Assurer la sécurité et le bien-être des personnes déplacées dans cet environnement complexe est un véritable défi, lequel est aggravé par les attaques directes visant les acteurs humanitaires qui ont vu certaines agences retirer leur personnel et cesser leurs opérations.
Contrairement au secteur de la santé, le secteur humanitaire WASH n’est pas encore équipé de systèmes cohérents ou efficaces pour mesurer ou évaluer les liens de causalité, les résultats ou les impacts de ses activités. Les agences et les organismes de coordination ne disposent pas des ressources nécessaires pour développer et étendre un système de suivi solide. Il est donc difficile de plaider efficacement en faveur d’une augmentation des dépenses WASH dans un contexte de financement compétitif.
Création d’une feuille de route
Un processus visant à intégrer les interventions WASH, de santé et de nutrition des programmes de santé publique efficaces et complets pour faire face aux crises humanitaires a débuté fin 2017. Ce processus a été conçu afin de répondre à tous les domaines pertinents, allant des établissements de soins de santé aux programmes destinés à modifier les comportements sociaux. Il a culminé avec le lancement d’une initiative quinquennale dédiée appelée « Intégration et coordination du secteur WASH dans les questions de santé publique » dans le cadre de la feuille de route de WASH, laquelle intégrera les contributions mondiales, régionales et nationales des acteurs du secteur WASH.
En juin 2017, Médecins Sans Frontières a publié un rapport mettant en évidence les principales limites du secteur WASH humanitaire qui couvre les compétences techniques du secteur, la capacité opérationnelle de réponse rapide et une culture de la complaisance. Le rapport met au défi les acteurs de supprimer les « cloisonnements » du secteur WASH dans le cadre des réponses humanitaires, de se projeter au-delà de la phase d’urgence, et de rendre plus clairs les liens entre le WASH et les conséquences en matière de santé[6]. Le rapport a constaté que les réponses d’urgence sous-optimales dans les crises de santé publique (telles que les épidémies de choléra en Haïti, en Somalie et au Nigeria, et la crise Ebola en Afrique de l’Ouest et en RDC) jettent un doute sur la compétence et la capacité du secteur humanitaire WASH à fournir une réponse humanitaire WASH opportune, efficace et adéquate à une urgence de santé publique. Par exemple, lors de l’une des pires épidémies de choléra jamais enregistrées au Yémen, très peu d’acteurs WASH ont pu intervenir pendant la phase d’urgence aiguë (en partie à cause du manque d’accès, mais aussi à cause du manque de capacités opérationnelles et logistiques), et ce, en dépit d’une augmentation du nombre d’acteurs dans le monde.
En octobre 2017, le Groupe inter-agences WASH (IAWG) – un groupe informel formé dans les années 1990 qui regroupe les plus grandes organisations WASH – et le Global WASH Cluster (GWC) ont invité les principales parties prenantes et agences WASH à un atelier de deux jours afin d’identifier les défis et les opportunités dans le secteur. Les recommandations issues de cet atelier[7] ont servi de base à la feuille de route WASH. Une analyse complète a ensuite été commandée par le GWC et présentée aux partenaires en 2019. En lien avec la réunion annuelle du GWC, l’UNICEF, l’IAWG et le GWC ont organisé une réunion avec les directeurs et directrices chargé·e·s des urgences des 15 plus grandes agences internationales impliquées dans le secteur WASH afin de lancer officiellement le processus de la feuille de route WASH.
Approbation et déploiement
En début d’année 2020, la rédaction du document de la feuille de route WASH s’est achevée. Il comprend trois piliers fonctionnels – capacité, coordination et financement – et propose trois axes opérationnels. Le premier de ces axes est la nécessité (et la capacité) du secteur WASH à mettre sur pied une intervention humanitaire efficace qui réponde aux besoins vitaux des populations affectées à bonne échelle et avec suffisamment d’impact – cet axe porte également le nom de « WASH de survie ». L’un des principaux objectifs de la feuille de route WASH est de faire en sorte que, d’ici 2025, les réponses humanitaires WASH soient systématiquement intégrées dans les cadres opérationnels et dans les programmes de santé publique, et qu’elles soient axées sur les résultats en matière de santé publique.
Dix-sept initiatives stratégiques, chacune dirigée par une ou plusieurs agences chefs de file, mettront en œuvre la feuille de route WASH, en partageant le travail de mise en œuvre entre les différentes agences. En janvier 2021, les 15 directeurs et directrices chargé.e.s des urgences ont officiellement approuvé la feuille de route WASH, confirmant ainsi leur engagement à contribuer et à soutenir son plan de mise en œuvre. Un certain nombre d’initiatives ont été classées prioritaires pour le déploiement, notamment « l’initiative 3.3 : Intégration et coordination du programme WASH dans les questions de santé publique ». Cette initiative quinquennale qui concerne la santé publique dans le cadre de la feuille de route WASH vise à identifier les lacunes existantes et à analyser les défis plus en profondeur afin d’assurer une coordination efficace entre ces secteurs. Sur la base de cette analyse et des enseignements tirés d’autres programmes pertinents (des mécanismes de coordination nationale, par exemple), les agences chefs de file de cette initiative élaboreront des orientations, des outils et des procédures opérationnelles standard intersectoriels pour créer un environnement propice à une approche bien coordonnée des réponses aux urgences de santé publique. Les phases finales du plan examineront une liste d’avenues et d’opportunités pour déployer les outils, les piloter à partir de plates-formes pertinentes et assurer la coordination avec les autorités locales. Dans le même temps, un corpus de données probantes sera constitué pour soutenir les actions de plaidoyer et garantir un financement.
Parmi les domaines spécifiques qui seront explorés dans le cadre de cette initiative figurent les questionnements suivants :
- documenter l’utilisation systématique des données relatives à l’épidémiologie et à l’environnement afin d’améliorer le ciblage dans le cadre des interventions WASH d’urgence
- créer un protocole pour la conception et la documentation systématiques des interventions humanitaires WASH basées sur les résultats sanitaires, notamment l’impact sur les vies sauvées et la réduction de la charge de morbidité
- accroître la capacité du secteur à s’attaquer aux risques environnementaux et à leur impact sanitaire
- renforcer la gestion communautaire des infrastructures WASH liées aux établissements de soins de santé et aux centres nutritionnels afin de s’assurer du respect des normes minimales WASH, développer l’utilisation des services et améliorer la fourniture de services WASH en général
- renforcer l’engagement et la participation au système des Nations Unies en matière de santé (cluster)
- tirer parti et renforcer les partenariats qui soutiennent et font progresser les approches transversales
- créer des liens avec les efforts de plaidoyer et porter les interventions à l’échelle.
Bien que des efforts significatifs aient été faits par certaines agences clés pour assurer l’inclusion systématique des interventions WASH dans les stratégies de réponse de santé publique, il reste un travail considérable à faire. La mise en œuvre réussie des activités issues de cette initiative nécessitera une approche inclusive avec un engagement actif des praticiens de terrain, des universitaires, des autorités gouvernementales, des donateurs, des personnes déplacées et des communautés affectées. En promouvant une réponse de santé publique intégrée, la communauté humanitaire peut réduire les risques de santé publique et les conséquences environnementales néfastes pour des millions de personnes déplacées de force dans le monde.
Claudio Deola c.deola@savethechildren.org.uk
Conseiller humanitaire supérieur WASH, Save the Children
Syed Yasir Ahmad Khan syahmad@InternationalMedicalCorps.org.uk
Conseiller mondial WASH, International Medical Corps
Antonio Torres atorres@iom.int
Coordinateur mondial WASH, Organisation internationale pour les migrations
Emmett Kearney kearney@unhcr.org
Responsable principal WASH, HCR
Ryan Schweitzer vivevitu@gmail.com
Ancien responsable WASH, HCR
[1] HCR (2014) Stratégie globale pour la santé publique 2014-2018
www.unhcr.org/fr-fr/protection/health/53ba648c9/strategie-globale-sante-publique.html?query=stratégie%20globale%202014
[2] OMS (2019) « Eau » www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/drinking-water
[3] Prüss-Üstün A et OMS (2008) Safer water, better health: costs, benefits and sustainability of interventions to protect and promote health https://apps.who.int/iris/handle/10665/43840
[4] OMS (2017) « Maladie diarrhéique » www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/diarrhoeal-disease
[5] Global WASH Cluster (2020) ‘Delivering humanitarian water, sanitation and hygiene (WASH) at scale, anywhere and anytime: Roadmap for 2020–2025 bit.ly/WASH-roadmap
[6] MSF (2017) The Evolution of Emergency WASH in Humanitarian Action bit.ly/WASH-MSF-2017
[7] Groupe inter-agences WASH (2017) ” Where now for the Water, Sanitation and Hygiene sector’s response in emergencies? “.