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Les États non signataires et le régime international des réfugiés

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 constituent le fondement du régime international des réfugiés, c’est-à-dire les normes juridiques et les institutions compétentes en matière de protection des réfugiés. La majeure partie des nations du monde entier ont signé ou ratifié cette Convention et son Protocole, et pourtant, un grand nombre des pays qui accueillent le plus de réfugiés au monde ne l’ont pas fait : 149 États-membres de l’ONU sont actuellement parties à la Convention, à son Protocole de 1967 ou aux deux, tandis que 44 ne le sont pas.

Ces États non signataires se trouvent principalement au Moyen-Orient et en Asie du Sud et du Sud-Est. Dans la région du Moyen-Orient, seul l’Iran, Israël, l’Égypte et le Yémen sont parties à la Convention, tandis que des États tels que l’Irak, le Liban et la Jordanie, de même que la plupart des États du Golfe n’en sont pas signataires. En Asie du Sud et du Sud-Est, on retrouve l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan, le Sri Lanka, la Malaisie et l’Indonésie parmi les grands pays non signataires. Dans les autres régions du monde, les États non signataires incluent l’Érythrée, la Libye, la Mongolie et Cuba. Enfin, l’Ouzbékistan est le seul pays du Commonwealth des États indépendants à ne pas être partie à la convention, tandis que le Guyana est le seul État non signataire d’Amérique du Sud.

Aujourd’hui, les nouvelles adhésions à la Convention se font rares. En effet, au cours des dix premières années de la Convention, 27 États l’ont ratifié ou y ont adhéré ; en revanche, depuis 2006, seuls deux États sont devenus parties à la Convention, à savoir Nauru en 2011 et le Soudan du Sud en 2018. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les États non parties décident de ne pas adhérer à la Convention et ces États sont considérés depuis longtemps comme des « exceptions » au régime international des réfugiés.[1]

Historiquement, cet « exceptionnalisme » – même si ce concept a été récemment (et à juste titre) remis en question, notamment par Barbour dans ce dossier spécial de RMF – puise notamment ses racines dans le processus de rédaction de la Convention entre 1946 et 1951. Bien que de nombreux États non signataires d’aujourd’hui ne fussent pas encore indépendants à cette époque, certains États tels que le Liban, l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Irak, le Pakistan et l’Inde ont participé à différentes phases de la rédaction. En effet, durant ce processus, de nombreux États du Sud étaient opposés à l’absence proposée d’applicabilité universelle de la Convention et les recherches à ce sujet mettent depuis longtemps en lumière les multiples aspects du processus, reflétés aujourd’hui dans la Convention, qui étaient incapables de représenter la réalité au-delà du contexte européen.

Le projet de recherche BEYOND (« Protection without Ratification? International Refugee Law beyond States Parties to the 1951 Refugee Convention » / La protection sans la ratification ? Le droit international des réfugiés au-delà des États parties à la Convention de 1951 relative aux réfugiés)[2] vise à réétudier l’impact du droit international des réfugiés en analysant les diverses manières par lesquelles les États non signataires se rapprochent du régime international des réfugiés. En examinant de plus près ces interactions, nous pourrions en fait découvrir qu’un grand nombre d’États non signataires se rapprochent sous de nombreux aspects du régime international des réfugiés et que la Convention joue un rôle important dans certains de ces États.

En guise d’introduction à ce dossier thématique, le présent article décrit dans un premier temps comment le HCR fonctionne dans les États non signataires et comment les normes du droit international des réfugiés sont diffusées dans ces États, puis, dans un deuxième temps, comment les États non signataires participent au développement du droit international des réfugiés en étant à la fois présents et actifs dans le domaine de la protection des réfugiés à l’échelle internationale.

Le HCR et le droit international des réfugiés

Le HCR est en opération dans de nombreux États non signataires depuis plusieurs dizaines d’années, apportant à la fois une protection internationale et une assistance directe aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Selon le statut du HCR, sa compétence est de nature universelle pour les questions relatives aux réfugiés, sans limitation géographique.[3] Ainsi, le mandat du HCR lui permet-il, avec le consentement de l’État hôte concerné, de superviser les réfugiés, tant dans les États signataires que dans les États non signataires. Dans ces derniers, le HCR déploie d’ailleurs une forte présence opérationnelle et endosse souvent des responsabilités incombant généralement aux États, telles que la détermination du statut des réfugiés.[4] Son action est avant tout axée sur la promotion et la négociation de « l’espace de protection » des réfugiés, généralement envisagé comme « …un environnement sensible aux principes de la protection internationale et qui permet leur mise en œuvre au profit de toutes les personnes ayant droit à telle protection ».[5]

La coopération entre le HCR et les États hôtes non signataires peut revêtir la forme spécifique d’un Protocole d’accord bilatéral. En définissant les conditions de la coopération et en réitérant les principes essentiels de la protection des réfugiés, ces protocoles peuvent créer un lien important entre les États non signataires et la Convention relative aux réfugiés. Toutefois, il n’existe pas d’approche universelle pour sceller de tels accords, dont le contenu varie considérablement.

Le protocole signé en 1998 entre le HCR et la Jordanie, étudié dans l’article de Clutterbuck et de ses coauteurs dans ce dossier, constitue un bon exemple de protocole adoptant une définition du terme « réfugié » semblable à celle de la Convention. Il garantit l’engagement de la Jordanie à respecter les normes internationales de protection des réfugiés, y compris le principe de non-refoulement. À titre de comparaison, dans le cas du Pakistan, le contenu substantiel de l’accord pourrait contraindre l’État hôte à observer des normes et des principes qui dépassent de loin ce que l’on pourrait tirer de la Convention elle-même.[6] Cependant, il arrive également que ces accords soient loin d’être inoffensifs, voire qu’ils constituent en eux-mêmes un problème de protection. Par exemple, l’accord conclu en 2003 entre le HCR et la Direction générale de la sûreté générale (DGSG) du Liban a été critiquée dans certains milieux pour être le fruit d’une négociation exclusive avec l’agence de sécurité du pays et, en tant que telle, pour adopter une vision qui apparente les réfugiés à une menace sécuritaire.

Le HCR joue souvent un rôle essentiel dans l’établissement d’espaces nationaux par le biais desquels les acteurs étatiques sont agglomérés au régime du droit international des réfugiés, c’est-à-dire que ces acteurs sont amenés à accepter certaines normes internationales qui, à leur tour, influencent leur comportement. Le soutien apporté par le HCR à la formation et à l’enseignement supérieur dans le droit international des réfugiés en est un bon exemple : en Inde, le HCR a récemment mis sur pied une initiative de recherche et de plaidoyer avec des universitaires travaillant sur les questions relatives aux réfugiés, tandis qu’en Arabie Saoudite, il a collaboré avec un établissement universitaire pour favoriser la diffusion du droit international des réfugiés auprès d’agents responsables de l’application des lois dans la région. Dans la même veine, le HCR coorganise régulièrement des formations sur le droit international des réfugiés à l’Institut international de droit humanitaire de San Remo, en Italie, où il parraine la participation de juges, de fonctionnaires publics et d’acteurs de la société civile.

Mais ce processus d’agglomération peut également se dérouler dans d’autres espaces différents. Dans certains États, le HCR (souvent en collaboration avec des organisations locales et régionales de la société civile) mobilise également le soutien populaire en faveur de réformes juridiques nationales et participe activement à ces réformes. Au Pakistan, le HCR a même soutenu qu’une telle modification de la législation « pourrait être un premier pas vers la signature par le Pakistan de la Convention de 1951 relative aux réfugiés de l’ONU ».[7] De la même manière, en Indonésie, le HCR a soutenu l’élaboration d’un cadre national de protection pour aider les autorités à gérer la présence de demandeurs d’asile.

Enfin, comme le démontrent avec force les articles de ce dossier consacrés au Bangladesh et à Hong Kong, les tribunaux nationaux des États non signataires se réfèrent occasionnellement aux normes et aux principes du droit international des réfugiés. Par exemple, la cour suprême du Bangladesh a fait directement référence à la convention dans des affaires concernant des ordres d’expulsion de réfugiés rohingyas, tandis qu’à Hong Kong une série d’affaires a poussé les autorités à mettre en place leur propre mécanisme de détermination des demandes de protection contre le non-refoulement en vertu de l’article 33 de la Convention.

L’élaboration du droit international des réfugiés

Les forums internationaux sur la protection des réfugiés sont des espaces clés par le biais desquels les États signataires comme les États non signataires s’incorporent progressivement non seulement au régime international du droit des réfugiés, mais où ces mêmes États réaffirment et aident aussi à développer les concepts fondamentaux du droit international des réfugiés. Le comité exécutif (ExCom) du HCR a été établi en 1958 ; il comprend aujourd’hui 107 États, parmi lesquels un grand nombre n’ont pas adhéré à la Convention relative aux réfugiés. Toutefois, en participant à ce forum, les États non signataires participent activement au développement de la substance même du droit des réfugiés en rédigeant les conclusions annuelles de l’ExCom. Même si ces conclusions, adoptées en plénière par consensus, sont officiellement non contraignantes, elles n’en demeurent pas moins très pertinentes dans la mesure où elles sont l’expression d’un consensus international sur des questions juridiques relatives aux réfugiés.

En plus des travaux de l’ExCom du HCR, les États non signataires participent également à d’autres réunions et forums de haut niveau. En 2011, à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention, un communiqué ministériel a été adopté, dans lequel les représentants des États signataires et non signataires réaffirmaient :

…que la Convention de 1951 relative au statut de réfugié et son Protocole de 1967 constituent le fondement du régime international de protection des réfugiés, dont la valeur et la pertinence demeurent entières au XXIe siècle. Nous reconnaissons l’importance qu’il y a à respecter les principes et les valeurs qui sous-tendent ces instruments, y compris le principe essentiel du non-refoulement et, le cas échéant, nous considérerons d’adhérer à ces instruments et/ou de suspendre nos réservations.[8]

Plus récemment, les États non signataires ont participé aux négociations ayant abouti à l’adoption de la Déclaration de New York de 2016 pour les réfugiés et les migrants et au Pacte mondial sur les réfugiés en décembre 2018, et ont également participé au premier Forum mondial sur les réfugiés fin 2019, où des engagements ont été pris pour mettre concrètement en œuvre le Pacte mondial. (Ce forum était en fait coorganisé par le Pakistan.) Dans ce dossier spécial de RMF, l’article de Thanawattho et ses coauteurs décrit la participation des autorités thaïlandaises à ces processus et la manière dont, au niveau local, la société civile a donné suite aux engagements pris par les autorités au niveau international.

Le plus notable de ces processus est probablement le Pacte mondial sur les réfugiés, qui a été adopté par 181 États membres, parmi lesquels un grand nombre d’États non signataires. Bien qu’il prenne la Convention de 1951 comme point de départ et réaffirme un grand nombre de ses principes essentiels, le Pacte dépasse aussi, à bien des égards, les engagements juridiques inscrits dans cette convention. Une section du Pacte reconnaît explicitement les contributions apportées par les États non signataires, en appelant par ailleurs ces derniers à envisager d’adhérer à la Convention.

Ces exemples démontrent que la distinction entre les « membres » et les « non-membres » est souvent floue lorsqu’il s’agit de la participation des États non signataires aux processus mondiaux formels. Par leur participation au niveau international, les États non signataires participent indubitablement à créer des obligations de droit souple qui s’appuient sur le droit contraignant (la Convention) auquel ces États ont pourtant formellement refusé de souscrire. Enfin, il existe un autre aspect complexe et particulièrement négligé qui mérite d’être davantage étudié et que Cole explore dans ce dossier : la manière dont les États non signataires participent au régime international des réfugiés en leur qualité d’États donateurs importants, influençant ainsi potentiellement l’orientation des opérations du HCR et, par là-même, de la fourniture de la protection et de l’assistance internationales.

Conclusion

Malgré la croyance répandue et profondément enracinée selon laquelle la protection des réfugiés est mieux garantie dans les États signataires que dans les États non signataires, il n’existe en fait aucune étude comparative et systématique corroborant l’hypothèse selon laquelle une adhésion à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés implique automatiquement une meilleure protection. Au contraire, dans de nombreux États, qu’ils soient signataires ou non, la limitation de l’accès des réfugiés à l’asile est devenue de toute évidence un objectif politique de plus en plus commun, et dans certains cas, la protection apportée par les États non signataires pourrait même être meilleure que celle des États signataires. Nous devons donc cesser de nous centrer uniquement sur les États signataires, comme nous le faisons actuellement dans les débats relatifs au régime international des réfugiés. En effet, le droit international des réfugiés a également voix au chapitre dans les États non signataires, et les États non signataires contribuent eux aussi au droit international des réfugiés.

 

Maja Janmyr Maja.janmyr@jus.uio.no @MYRMEK

Professeure de droit international de la migration, Université d’Oslo

 

[1] Jones M (2017) « Expanding the Frontiers of Refugee Law: Developing a Broader Law of Asylum in the Middle East and Europe », Journal of Human Rights Practice, Vol 9, numéro 2 https://doi.org/10.1093/jhuman/hux018

[2] Le projet BEYOND est financé par le Conseil européen de la recherche (numéro de subvention : 851121).

[3] Article 6 du statut du HCR www.unhcr.org/uk/protection/basic/3b66c39e1/statute-office-united-nations-high-commissioner-refugees.html

[4] Slaughter A and Crisp J (2009) « A Surrogate State? The Role of UNHCR in Protracted Refugee Situations »,  UNHCR www.unhcr.org/research/working/4981cb432/surrogate-state-role-unhcr-protracted-refugee-situations-amy-slaughter.html

[5] Feller E, discours d’ouverture de la Conférence de 2009 du Centre d’études sur les réfugiés www.rsc.ox.ac.uk/events/protecting-people-in-conflict-and-crisis-responding-to-the-challenges-of-a-changing-world

[6] Zieck M (2008) « The Legal Status of Afghan Refugees in Pakistan, a Story of Eight Agreements and Two Suppressed Premises », International Journal of Refugee Law, Vol 20, numéro 2 https://doi.org/10.1093/ijrl/een014

[7] UNHCR (2004) « Boosting Refugee Protection in Pakistan » www.unhcr.org/news/latest/2004/12/41c6d2524/boosting-refugee-protection-pakistan.html

[8] www.unhcr.org/4ee210d89.pdf

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