Après avoir fui le génocide au Myanmar en 2013, je me suis retrouvé piégé en Indonésie. J’espérais trouver refuge en Australie, mais j’ai été confiné dans une chambre d’hôtel pendant trois mois, puis transféré dans un centre de détention où j’ai été détenu pendant près de deux ans. Je me considère malgré tout plus chanceux que la plupart des réfugiés qui sont souvent détenus pendant plus de cinq ans. Depuis huit ans, je vis en Indonésie privé de mes droits fondamentaux.
L’Indonésie n’a pas adhéré à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. En l’absence de mécanismes de protection efficaces au niveau national, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont considérés comme des migrants irréguliers. Aucune loi ne protège les réfugiés contre la détention indéfinie, les mauvais traitements infligés par les fonctionnaires de l’État et la corruption. Même si les demandeurs d’asile voient leur statut de réfugié reconnu par le HCR, cela ne leur donne aucune garantie de liberté ou de sécurité. S’ils ont la chance de quitter les centres de détention, ils sont alors placés dans des logements communautaires financés par l’OIM. En 2015, j’ai été libéré et placé dans un logement communautaire où je pensais être libre, mais au lieu de cela je me suis trouvé confronté à de nouvelles souffrances sans pouvoir exercer mes droits fondamentaux et sans aucune certitude quant à mon avenir.
Dans les logements de l’OIM, des affiches sur les murs décrivent les règles et les restrictions auxquelles les réfugiés doivent se soumettre. Un couvre-feu strict est appliqué entre 22 heures et 6 heures du matin, et nous ne pouvons ni rendre visite à des amis ni recevoir des invités. Nos déplacements sont limités et nous ne sommes pas autorisés à nous éloigner de plus de 20 km de notre logement. Nous devons signaler tous nos mouvements à la sécurité et il nous est interdit de posséder un véhicule. Même l’amour nous est interdit ! Il nous est interdit de nous marier en dehors de notre communauté ou de nous engager dans une relation avec une personne indonésienne locale. Quelques réfugiés se marient avec des Indonésiennes mais se voient refuser un certificat de mariage ; ils ne sont pas autorisés à habiter avec leur femme, ni à la recevoir dans leur propre logement.
« Pourquoi est-ce un problème de vivre avec ma famille ? Ne suis-je pas un être humain ? Ils ont dit que nous sommes en sécurité et libres ici, mais pourquoi m’empêche-t-on de travailler pour nourrir mes enfants ? », demande Nur Islam, un réfugié rohingya père de quatre enfants, marié à une femme locale et vivant en Indonésie depuis huit ans.
Nous ne sommes pas autorisés à travailler. Nous ne pouvons même pas poursuivre des études. En 2016, j’ai essayé de m’inscrire à l’Université Hasanuddin (à Makassar, dans le sud de Sulawesi) mais j’ai été refusé alors que j’ai toutes les qualifications requises. Le doyen m’a dit que les services de l’immigration ne reconnaissent pas mon statut de réfugié.
Nous n’avons aucun droit de propriété. Nos cartes de réfugiés ne sont pas acceptées dans les agences telles que les banques et nous ne pouvons donc pas ouvrir de compte bancaire. Nous sommes également exclus des services nationaux de santé. Ceux qui vivent dans des logements communautaires ne reçoivent qu’une assistance médicale limitée, et beaucoup sont morts en raison de retards dans l’obtention de médicaments ou de traitements. L’insomnie est très courante, tout comme l’anxiété et la dépression.
Les citoyens indonésiens sont largement connus comme des personnes tolérantes, mais ils n’ont quasiment jamais élevé la voix pour soutenir les réfugiés. Lorsque, en 2019, nous avons protesté devant le bureau du HCR contre les traitements cruels infligés par les agents de l’immigration à Makassar, les habitants se sont plaints à la police que nous les dérangions. Vingt-huit de mes amis ont été placés en isolement et beaucoup ont été battus. J’ai été menacé de détention et on m’a rendu la vie tellement difficile – en raison de mon travail de journaliste, dont je me sers pour défendre les droits des réfugiés – que j’ai dû fuir Makassar pour Jakarta en 2020.
Ce que nous demandons
De nombreux réfugiés en Indonésie – comme moi – avaient à l’origine l’intention de demander l’asile en Australie, mais celle-ci a fermé ses portes aux réfugiés (bien qu’elle finance l’OIM pour nous offrir des billets d’avion gratuits et 2 000 dollars si nous acceptons d’être rapatriés). Nous subissons des pressions de toutes parts pour accepter un soi-disant rapatriement volontaire, malgré la guerre et les persécutions qui se poursuivent dans les pays que nous avons fuis. Dans le logement de l’OIM, une affiche accrochée au mur indique que le quota de réinstallation est très limité et que l’OIM aidera les personnes désireuses de retourner dans leur pays. Le HCR nous dit également de rentrer chez nous car nous ne serons probablement jamais réinstallés[1].
Le gouvernement ne considère pas les réfugiés comme une priorité. Nous refusant la possibilité d’une intégration locale, mais trop préoccupée par les responsabilités et les coûts qu’elle encourrait si elle signait la Convention sur les réfugiés, l’Indonésie se contente simplement de passer la responsabilité des réfugiés à des agences internationales telles que le HCR et l’OIM.
L’une des raisons invoquées pour expliquer la réticence de l’Indonésie à signer la Convention sur les réfugiés est son manque de ressources pour mettre en œuvre la protection des réfugiés. Si les citoyens ne bénéficient pas d’un accès complet à la santé et à l’éducation, les « non-citoyens » ne devraient certainement pas bénéficier de ces privilèges[2]. Toutefois, dans un amendement à sa loi n° 39 de 1999, l’Indonésie a reconnu le droit de demander l’asile, elle est partie aux principales conventions internationales sur les droits de l’homme et a adopté les normes relatives aux droits de l’homme dans sa législation nationale. Elle est donc tenue par des obligations juridiques internationales et nationales de faire respecter ces droits. La disposition pertinente la plus importante concernant la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés est la reconnaissance du fait que toute personne a des droits égaux à la jouissance des droits décrits dans ces conventions, sans discrimination aucune. Bien que l’Indonésie respecte le principe de non-refoulement, elle aurait – à de nombreuses reprises – remorqué et renvoyé en haute-mer des bateaux de migrants rohingyas en détresse[3].
La première chose que le gouvernement indonésien pourrait faire pour atténuer nos souffrances serait de lever toutes les restrictions. Une bonne initiative politique consisterait à délivrer des cartes de permis de séjour temporaire aux réfugiés en transit vers la réinstallation, ce qui nous permettrait de travailler légalement. Une telle politique améliorerait non seulement la santé et la dignité des réfugiés, mais nous permettrait également de payer des impôts au gouvernement indonésien. Plus important encore, nous serions en mesure de contribuer à l’économie locale par notre travail, nos talents et notre allégeance, en construisant des communautés et en travaillant avec tous les Indonésiens en vue d’un avenir meilleur. Nous demandons également à l’Indonésie d’user de son influence auprès de l’Australie pour demander une augmentation de ses quotas d’accueil annuel de réfugiés venant d’Indonésie.
En tant que réfugiés bloqués en Indonésie, nous demandons l’intervention de la communauté internationale pour trouver et faire adopter une solution menant vers un avenir sûr.
JN Joniad jnjohn3d@gmail.com @JN_Joniad
Journaliste rohingya
[1] https://jakartaglobe.id/context/refugees-go-home-or-wait-years-for-resettlement
[2] Missbach A (2016) Troubled Transit: Asylum Seekers Stuck in Indonesia.