A bien des égards, la pandémie de COVID-19 a créé une solidarité entre les pays et au sein des communautés par le biais des efforts déployés pour faire face aux risques de santé publique et minimiser les impacts socio-économiques du virus. Après d’importants efforts de sensibilisation et d’engagement auprès des gouvernements entrepris par une série d’acteurs, certaines bonnes pratiques ont vu le jour, notamment l’élargissement de l’accès gratuit au dépistage, au traitement et aux vaccins contre la COVID-19 pour tous les migrants, quel que soit leur statut, et l’accès aux services de base pour les migrants bloqués et les personnes sans visa. Cependant, si ces développements politiques doivent être salués, défendus et reproduits, nous devons également réfléchir à ce que cette situation extraordinaire et cette urgence de santé publique mondiale ont signifié pour les personnes confrontées à des obstacles permanents qui entravent leur accès aux services de base – y compris aux vaccins contre la COVID-19 – et à la manière dont cela se répercute sur les résultats en matière de santé individuelle et publique.
La recherche coordonnée par le Laboratoire mondial des migrations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sur la manière dont la politique relative à la COVID-19 a affecté l’accès des migrants aux services de base montre que, bien que les décideurs politiques affirment souvent que « nous sommes tous dans le même bateau », les voix de ceux qui sont loin de chez eux relatent une histoire différente[1]. Alors que la recherche portait sur tous les migrants, nous nous concentrons ici sur les personnes demandant l’asile[2] et les réfugiés, sur les facteurs qui augmentent pour eux les risques d’infection et de transmission de la COVID-19, et sur les défis auxquels ils sont confrontés pour rester en sécurité et en bonne santé.
Les obstacles existant de longue date en matière d’accès, ainsi que les nouveaux défis posés par les restrictions de mouvement et les ordres de confinement, sont susceptibles de compromettre les efforts de santé publique. L’étude a été menée par les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de huit pays : Australie, Colombie, Égypte, Éthiopie, Philippines, Soudan, Suède et Royaume-Uni (des perspectives provenant de la région du Sahel ont également été prises en compte)[3]. Les résultats en concluent que les approches inclusives pour atteindre et soutenir les migrants et les réfugiés doivent être intégrées dans les plans nationaux et locaux de préparation, de réponse et de rétablissement en cas de pandémie, à la fois pour mettre fin à la pandémie et pour s’assurer que chacun·e a la possibilité de recevoir une assistance dans la dignité et avec le niveau de soutien approprié. Si les politiques d’inclusion ne sont pas complétées par des directives opérationnelles visant à éliminer les obstacles dans la pratique, les risques pour la santé publique persisteront.
Exclusion juridique
L’exclusion fondée sur le statut juridique a été identifiée comme un obstacle majeur à l’accès aux services de base, soins de santé y compris, pendant la pandémie. En Australie, par exemple, 67 % des sans-papiers interrogés ont explicitement cité l’inéligibilité due au statut en matière de visa comme le principal obstacle les empêchant d’accéder à l’aide, tandis que 100 % d’entre eux ont rencontré un certain degré de difficulté pour accéder aux services de base, notamment soins médicaux, nourriture, logement ou aide financière. Et si la plupart des pays étudiés ont fini par offrir à tous un accès gratuit au dépistage et au traitement contre la COVID-19 (mais pas nécessairement aux services de santé publique plus larges), les préoccupations en matière de santé et de sécurité et la peur ont empêché de nombreuses personnes d’accéder à cette assistance. Au Royaume-Uni, par exemple, des contrôles d’immigration sont effectués (et des frais sont appliqués) pour les personnes ayant un statut d’immigration précaire lorsqu’elles cherchent à obtenir des soins de santé secondaires ; bien que ce ne soit pas le cas pour le dépistage et le traitement de la COVID-19, la peur de l’application des lois sur l’immigration reste réelle, ce qui empêche les gens d’obtenir des services de santé. En Australie, un prestataire de services de santé a expliqué que « des personnes ne se présentent pas à l’hôpital même si elles sont gravement malades parce qu’elles ont peur d’être dénoncées et d’être expulsées ou détenues », et ce, malgré l’accès gratuit au test et au traitement contre la COVID-19.
Ces recherches ont mis en évidence une application incohérente des lois et politiques pertinentes, ce qui montre la nécessité d’associer les changements de politique à des directives opérationnelles destinées au personnel de première ligne. En Égypte, par exemple, le gouvernement a prolongé la période de renouvellement des permis de résidence pour les réfugiés et a autorisé l’utilisation des permis expirés pour accéder à certains services, notamment les soins de santé. Cependant, les personnes interrogées ont expliqué que cette politique nationale ne se reflétait pas toujours au niveau local dans la prestation de services de première ligne et que certains s’étaient vus refuser l’accès à l’aide. Même constat en Australie, où un prestataire de services a expliqué : « [Il y a] de la confusion autour de la gratuité du test COVID-19… parmi les clients et les prestataires de services. Un client s’est rendu dans une clinique privée parce que c’est ce qu’un [fonctionnaire] de santé publique lui avait conseillé de faire. Cela a affecté non seulement son accès personnel mais aussi probablement celui de sa communauté. Il a dû payer pour le test… ce qui a donné l’impression que le test n’était pas gratuit… Et a créé une barrière [et] une réticence à se faire dépister à l’avenir. »
Accès à l’information
Le manque d’informations accessibles sur la COVID-19 dans les langues parlées et les canaux utilisés par les communautés de migrants et de réfugiés a un lien direct avec la santé individuelle et communautaire. Comme l’a expliqué un réfugié au Royaume-Uni : « Les gens sont très confus… ils ne reçoivent pas les bonnes informations…. Ils ne savent pas quoi faire ni même où aller pour obtenir des informations… ». Reconnaissant que les informations essentielles n’atteignaient pas ces communautés, en Égypte, le personnel et les bénévoles de la Société nationale ont aidé le gouvernement à traduire les messages officiels de santé publique de l’arabe vers les langues parlées par les communautés de migrants et de réfugiés,. En l’absence d’informations accessibles sur la prévention de la COVID-19 et concernant les lieux et la manière d’accéder au dépistage et au traitement, les risques d’augmentation de la prévalence ou de la transmission sont accrus.
Obstacles financiers
Toutefois, l’accès aux soins et à l’information n’est pas le seul facteur susceptible de soutenir ou de saper les efforts de santé publique visant à contrôler le virus. L’accès aux soins de santé recoupe les impacts économiques. Les obstacles financiers aux soins de santé existaient avant la pandémie et ont augmenté pendant la pandémie en raison de la perte des moyens de subsistance et des revenus. Les difficultés économiques et l’insécurité financière font partie des principaux impacts mis en évidence par l’étude. Comme l’a expliqué un répondant en Égypte, « le principal facteur déterminant pour obtenir des services est l’argent et vous obtenez de l’argent grâce à votre travail, lequel a été affecté par le confinement ».
Cette perte de revenus s’est conjuguée à une tendance des migrants sans statut de résident permanent (y compris les réfugiés et les personnes demandant l’asile) à se voir exclus des mesures de soutien socio-économique destinées aux ressortissants nationaux ou aux résidents permanents, ainsi qu’à être exclus des principaux services d’aide sociale et de l’accès aux logements publics. Une telle exclusion augmente la probabilité de vivre dans des logements précaires, empêche l’accès aux traitements médicaux et contribue à accroître les risques d’infection et de transmission car les personnes ne sont pas en mesure de suivre les recommandations de santé publique (telles que la distanciation physique ou l’isolement). En Australie, 14 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles devaient continuer à travailler malgré le risque d’exposition au virus, car elles n’avaient pas d’autre moyen de soutien financier. Au Royaume-Uni et en Égypte, en raison de l’augmentation des coûts et de la perte des moyens de subsistance, les personnes interrogées ont affirmé avoir eu des difficultés à acheter du savon, du désinfectant pour les mains et des masques pour se protéger.
Recommandations
Les données probantes recueillies suggèrent que l’exacerbation des obstacles aux services de base qui existaient avant la pandémie contribue à créer des impacts disproportionnés sur la santé, la sécurité et le bien-être des personnes demandant l’asile et des réfugiés. Au niveau individuel, les obstacles qui entravent l’accès à l’aide sanitaire ont entraîné une détérioration de l’état de santé, notamment en ce qui concerne la santé mentale. Comme l’a dit sans ménagement un réfugié en Égypte, « [la COVID-19] a encore bouleversé nos vies… alors que nous sommes déjà traumatisés ». Au niveau communautaire, les obstacles qui freinent l’accès aux services de base et les pratiques d’exclusion continuent de mettre tout le monde en danger.
Il est de la responsabilité première des États de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme de tous les migrants, y compris leurs droits économiques et sociaux. Le rapport de cette étude recommande aux États de collaborer avec les autres parties prenantes pour faire en sorte que tous les migrants, quel que soit leur statut juridique :
- soient inclus dans les réponses locales et nationales à la COVID-19 qui garantissent l’accès aux services de base, notamment soins de santé, logement, nourriture, services WASH (eau, assainissement et hygiène), soutien psychosocial, éducation, soutien d’urgence et services de protection.
- puissent obtenir rapidement des informations précises et fiables sur la COVID-19 (et toute autre pandémie future) dans une langue qu’ils comprennent et par des canaux de diffusion accessibles.
- soient inclus dans les politiques de dépistage, de traitement et de vaccination contre la COVID-19 et bénéficient d’un accès égal à ces services.
- puissent accéder à un soutien socio-économique lié à la pandémie (aujourd’hui et à l’avenir) s’ils en ont besoin.
Les États doivent également continuer à adapter les lois et politiques existantes afin de garantir un accès inclusif aux services de base, et fournir des directives opérationnelles et une formation de sensibilisation aux intervenants de première ligne afin de s’assurer que les droits prévus par la loi sont respectés dans la pratique. En outre, les personnes demandant l’asile et les réfugiés (et tous les autres migrants) doivent pouvoir accéder en toute sécurité à l’aide humanitaire sans craindre d’être arrêtés, détenus ou expulsés. En toutes circonstances, la considération première doit être de traiter les personnes avec humanité, en tenant compte de leurs vulnérabilités spécifiques et de leurs besoins de protection, et de respecter leurs droits en vertu du droit international.
Alors que le monde se tourne avec espoir vers les vaccins pour mettre fin à la pandémie, il est essentiel de s’attaquer aux obstacles qui entravent l’accès aux services de base afin de garantir un accès égal et équitable pour tous. Nous devons collaborer avec les communautés de réfugiés et de migrants pour une approche plus inclusive de la préparation, de la réponse et du rétablissement en cas de pandémie – y compris en ce qui concerne les politiques de vaccination contre la COVID-19 et les stratégies de déploiement de la vaccination. Nous devons veiller à ce que les décideurs politiques comprennent l’impact de la pandémie sur la vie de tous les membres de la société, en particulier les plus vulnérables. Nous devons veiller à ce que toutes les recommandations d’action soient fondées sur des preuves solides et sur les conseils des personnes directement concernées. Les efforts de santé publique ne porteront leurs fruits que s’ils sont envisagés parallèlement à l’accès à d’autres services et aides de base, et s’ils s’attaquent aux obstacles formels et informels auxquels sont confrontés les personnes demandant l’asile et les réfugiés.
Vicki Mau vmau@redcross.org.au
Chef des programmes d’aide à la migration
Nicole Hoagland nhoagland@redcross.org.au
Chef (par intérim), Laboratoire mondial de la migration de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
Croix-Rouge australienne
[1] Laboratoire mondial de la Migration de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (2021) Confinés et exclus ? Pourquoi l’accès des migrants aux services de base est essentiel à nos activités d’intervention et de rétablissement face à la pandémie de COVID-19 www.redcross.org.au/globalmigrationlab
[2] L’utilisation par les auteures de l’expression « personne demandant l’asile » plutôt que « demandeur d’asile » est intentionnelle, conformément à leur approche consistant à appliquer les bonnes pratiques par l’utilisation d’un langage centré sur la personne et où les termes ne sont pas utilisés pour définir une personne par ses circonstances.
[3] Les recherches menées en Australie, en Égypte, en Suède et au Royaume-Uni ont porté spécifiquement sur les personnes demandant l’asile et/ou les réfugiés.